Repères pour le futur

"10 ans après la création du protocole d'interopérabilité de l'OAI, 20 ans après la création du web et 40 ans après la création du net, nous sommes encore à des années lumières de pouvoir faire ce qui ne prendrait pourtant à chacun de nous que quelques clics pour le rendre possible du jour au lendemain : libérer la littérature scientifique ("refereed research") en ligne. Il est désormais trop tard pour pouvoir précocémment le faire, mais il n'est pas trop tard pour le faire …"
Stevan Harnad dans un billet du 30 Novembre 2009, intitulé "From Here to Eternity".

A méditer immédiatement après la lecture du billet précédent, rédigé en Français par Harnad, intitulé "la liberté libre" et dans lequel, une énième fois, avec un acharnement sisyphéen, il assène encore et toujours le même argumentaire :

  • "la cible principale du mouvement pour le Libre Accès est la littérature
    lectorisée (contrôlée par les comités de lecture): les 2,5 millions
    d'articles publiés chaque année dans les 25,000 revues scientifiques
    qui se publient sur notre planète. Pour cette littérature-là, les
    auteurs/chercheurs ne souhaitent que ce que leurs textes soient
    accessibles gratuitement en ligne à tout utilisateur pour pouvoir les
    rechercher, télécharger, lire, imprimer, analyser, citer –  bref, pour utiliser leurs contenus — mais pas pour réutiliser ou republier (…)."

La suite du billet est (beaucoup) plus surprenante. Elle fait état d'une (apparente) querelle entre S. Harnad, inventeur et héraut de l'Open Access et Lawrence lessig, inventeur et héraut des licences Creative Commons. Harnad indique à la suite de son billet :

  • " (…) bref, pour utiliser leurs contenus — mais pas pour réutiliser ou republier ou autrement triptoter (sic) avec leurs verbatims dans les sortes de « remixages » que souhaitent le mouvement pour les biens communs créatifs ( « creative commons » ) tels que dans le cas des dessins animés de Disney, remixés par les ados pour ensuite afficher sur youtube."

Bigre. Voir Harnad ramener au rang de tripatouillage ou autre tripotage les licences Creative Commons a de quoi surprendre … d'autant que l'un des intérêts, et non des moindres, de ces licences est précisément – pour les auteurs qui le souhaitent – de rendre tout tripatouillage impossible ("non-modification" et "partage à l'identique" sont deux options des licences CC). L'origine de la querelle se trouve expliquée dans cet autre billet de Stevan Harnad qui fait lui-même écho à ce billet de L. Lessig.

Après lecture attentive, il s'agit davantage d'une volonté polémique de Harnad que d'une vraie dispute (ouf!). Bref rappel des faits :

  • L. Lessig (et S. Harnad) se battent actuellement pour éviter que, à cause de cet homme, les Etats-Unis ne se retrouvent dans la situation actuelle de la France, c'est à dire que l'on puisse interdire à des chercheurs travaillant sur fonds "publics" – en l'occurence ceux du NIH, sorte d'équivalent de l'INSERM et du CNRS réunis, mais en beaucoup plus gros et en beaucoup plus riche – que l'on puisse interdire, disais-je, que les chercheurs dont les recherches sont financées sur fonds public ne puissent rendre les résultats de leur recherche immédiatement et gratuitement accessibles (ce qui est pour l'instant le cas aux Etats-Unis, mais pas en France …). Et que le citoyen, ou plus exactement et avant lui les universités et les bibliothèques, ne soient obligées de payer (très cher) pour accéder aux résultats d'une recherche pourtant exclusivement financée sur fonds publics … La bataille est d'autant plus vive que les intérêts financiers en jeux sont colossaux : on touche ici au domaine médical et bio-médical et les big-pharma (grands laboratoires pharmaceutiques) sont la cheville ouvrière et le principal financeur de cet intense lobbying politique. A un point tel que Lawrence Lessig (et beaucoup d'autres) ont lancé une pétition et un site web pour changer radicalement le mode de financement des partis politiques aux Etats-Unis.

Mais vous avez raison, je m'éloigne de mon sujet. Dans le billet où il dénonce ce risque, Lawrence Lessig fait la confusion suivante (attention ça va un peu se compliquer) :

  • il (Lessig) semble indiquer qu'actuellement le NIH soutient et supporte  ce qu'Harnad a défini et théorisé comme "la voie en Or de l'Open Access" (Gold OA"), c'est à dire la publication d'articles "en Open Access" dans des revues fonctionnant elles-mêmes complètement sous le régime … de l'Open Access.
  • Or, rappelle Harnad dans sa "réponse" à Lessig, ce que le NIH défend et soutient, c'est la "route verte de l'OA" (Green OA), c'est à dire le fait – et c'est déjà pas si mal … – que des auteurs vont d'eux-mêmes auto-archiver (sur des sites d'archives ouvertes) des articles publiées dans des revues conventionnelles et ne fonctionnant pas du tout sous le régime de l'Open Access (voir y étant carrément hostiles). Autant vous dire que tout cela me parle d'autant plus que c'est du vécu 😉

Bon alors : fâchés ou pas fâchés ?? Pas fâchés. Juste susceptibles. L. Lessig et S. Harnad ont simplement, comme tous les grands défricheurs, une sensibilité probablement exacerbée qui ne tolère pas la moindre inexactitude concernant les intérêts qu'ils défendent. Et c'est tant mieux, car l'Open Access et les licences Creative Commons resteront probablement dans l'avenir comme les deux grandes "découvertes", les deux grands "déclencheurs" de la société de la connaissance. 

Ben alors pourquoi faire un billet là-dessus ?? Parce que je fais ce que je veux ce que cette "vraie-fausse" querelle permet de toucher du doigt est la ligne extrêmement fragile sur laquelle se tiennent les partisans du libre accès à la science entre, d'un côté la nécessité de se libérer des situations aberrantes de rentes imposées par quelques éditeurs, et de l'autre, la tout aussi impérieuse nécessité d'assouplir la question du droit d'auteur appliquée à la publication scientifique, sans pour autant risquer de l'effacer entièrement au profit de "tripatouillages plus ou moins autorisés".

De Nantes à Montaigu la digue Paris en passant par Berlin. En parlant d'Open Access, si vous êtes à Paris, du côté de la Sorbonne, entre le 2 et le 4 décembre, ne manquez pas la "7e conférence internationale de Berlin sur le libre accès à la connaissance scientifique".

Lettre au père noël de l'université de Nantes et à son représentant sur terre (et sur l'université de Nantes plus précisémment) : Yves Lecointe. Une conférence dont mon université (Nantes) sera "partenaire". Un partenariat d'autant plus d'actualité que c'est un Professeur de l'université (de Nantes), Laurent Guillopé, qui depuis le 1er Février 2009 est le nouveau président du Comité de pilotage des archives ouvertes (CPAO) du CNRS, en remplacement de Franck Laloë. Une nomination qui n'est d'ailleurs probablement pas étrangère (et c'est tant mieux) à l'ouverture – le mois dernier -  du portail des archives ouvertes de l'université de Nantes : http://hal.univ-nantes.fr/

Pourtant, en France, seules 6 universités** sur les 83 que compte notre hexagone ont à ce jour signé la déclaration de Berlin, la dernière en date étant l'Université de Provence. Et là bien sûr vous me voyez venir … maintenant qu'on a "notre" portail d'archives ouvertes, maintenant que c'est l'un des nôtres qui pilote LA plate-forme française d'archives ouvertes et institutionnelles, ben … ben … peut-être que sous leur sapin de Noël, le président Lecointe et l'ensemble de ses conseils scientifiques et d'administration pourraient nous offrir et s'offrir à eux-même un petit peu plus qu'un simple "partenariat" un peu "cheap".

Allez, encore un petit effort, et l'université de Nantes pourrait être la 7ème université française à signer la déclaration de Berlin. Ce serait un beau début pour l'année 2010, non ?

<Update du lendemain> Hourra. C'est confirmé. Ce n'est naturellement qu'un début mais c'est déjà pas mal 🙂 </update>

**Université Blaise Pascal, Université de Haute-Alsace, Paris-Sud 11, Montpellier 2 (toutes les 4 en 2007), Lyon 2 Lumière (en 2006) et l'université de Provence (en 2009) et donc depuis le 2 décembre 2009 :

  • Université Henri Poincaré, Université de Limoges, Université du Mans, Université de Nantes, Université de Nice, Université Paris Descartes, Université de Poitiers, Université de Rennes 2 <Update de 5 jours plus tard> l'université de Paris-Ouest Nanterre a également signé.</update>

Soit au total le 3 7 décembre 2009 : 14 15 universités signataires sur 83. Peuvent et doivent mieux faire.


6 commentaires pour “Repères pour le futur

  1. Mais je n’ai absolument rien contre les licenses CC! Ce que je conteste c’est la fausse implication que ces licenses sont prérequises pour pouvoir fournir le libre accès (LA) par la voie verte de l’autoarchivage (et pour qu’une institution puisse adopter une politique d’autoarchivage obligatoire). C’est tout aussi erronné que l’idée que les auteurs des articles scientifiques en question — comme règle général, car il peut certes y avoir des exceptions, mêmes beaucoup — souhaitent non seulement publier ces articles, et non seulement les rendre librement accessible à tout utilisateur, mais souhaitent permettre la réutilisation et la republication de leurs verbatims. (Encore, personellement, je ne vois pas de mal dans ça pour mes textes à moi, mais la clé pour le succès du LA c’est de bâtir ça fermement sur les souhaits consnuels et universels des auteurs un peu particuliers qui sont en jeu (les chercheurs), et pas sur les idéales sur lesquelles cette population déjà anomale n’est même pas en accord univoque — comme la réutilisation et la republication. (De la patience. Les moeurs érudites vont s’adapter après l’arrivée du LA vert universel.)
    (Pardon pour le « triptoter » . Il va sûrement y avoir des fautes de syntaxe et d’orthographe dans ce que j’écris, mais en l’occurrence ceci ne fut qu’une faute de frappe.)

  2. Concernant le nombre d’universités françaises signataires de la déclaration de Berlin, les choses devraient bouger assez rapidement (disons, d’ici demain matin…)
    Reste que la signature ne doit être que le commencement d’une politique d’établissement en faveur du libre accès se traduisant notamment par un soutien fort aux archives ouvertes.

  3. JF Lutz : sur le nombre de signataires j’ai effectivement les mêmes informations 😉
    Pour le reste, vous avez (mille fois) raison. Une signature ne coûte rien. Le plus dur est d’arriver à « évangéliser » aussi bien les collègues (individuellement) que les laboratoires (collectivement). Et aussi à convaincre « le » politique que les indicateurs de performance de demain seront principalement tirés des logiques d’Open Access (mais là peut-être que c’est mon enthousiasme naturel qui parle 😉

  4. Une signature ne coûte certes rien. Mais les frappes qui comptent sont celles qui dépôsent, pas celles qui déclarent. Et sauf si l’air périhexagonal diffère radicalement de l’air inspiré ailleurs, l’évangélisme ne suffira pas pour animer ces doigts oisifs: La France aussi sera obligée d’adopter les politiques de dépôt obligatoire: Elle n’en a que deux actuellement, et c’est une véritable déficience par rapport à son poids scientifique…
    http://www.eprints.org/openaccess/policysignup/

  5. Dans mon domaine (informatique), nous publions essentiellement chez des éditeurs classiques, ne sommes pas abonnés à leurs revues, tout le monde a ses publis sur HAL ou, pour les autres pays, sur des pages web, et ça marche bien comme ça…

  6. Oui, c’est les informaticiens (en premier) et ensuite les physiciens, puis les économistes qui furent sages n’ayant pas besoin d’une obligation pour déclencher leurs frappes. Mais c’est pour les autres disciplines qu’on s’en fait. (Et d’après les derniers chiffres que j’ai eu de Franck Laloe il y a quelques années, le taux de capture par HAL de l’ensemble des sorties de recherches françaises par année n’excédait pas le taux de dépôt facultatif global sur la planète, ce qui est dans les allentours d’un 15% décevant — Et c’est les informaticiens, les physiciens et les économistes un peu partout qui rende ce lamentable chiffre même aussi haut qu’il ne l’est…)

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