Les horaires d’ouverture d’internet.

Au départ, il y avait un machin baptisé le "cyber-espace", "une hallucination consensuelle vécue quotidiennement en toute légalité par des dizaines de millions d'opérateurs (…), une représentation graphique de données extraites des mémoires de tous les ordinateurs du système humain", on était en 1984, dans le roman Neuromancien de William Gibson. Au départ c'était de la science-fiction.

Après il y a eu le cyber-espace. Et sa déclaration d'indépendance. En 1996. John Perry Barlow. C'était la période coooooool.

Après, internet a grandi. Ses deux enfants, le Web et le Net ont chacun eu leur crise d'adolescence, développé leurs propres problèmes, leurs envies d'argent, d'émancipation. Ont eu envie de leurs propres réseaux, de leurs propres espaces. Et on s'est mis à parler de "neutralité".

Après, le #bullshit du village global pour communiquants en mal de story-telling est devenu le #WTF des jardins fermés.

Et puis comme y'en a qui sont incapables de vivre sans, ils ont commencé à installer des frontières sur les internets. Des frontières sur les internets. Parce qu'une bonne frontière ça rassure. Oui mon gars. Tu pouvais plus voir tel ou tel truc, accéder à tel ou tel machin si t'habitais dans tel ou tel pays. Là ça a commencé à devenir bien pénible même si y'a heureusement pas encore besoin d'avoir un doctorat en informatique pour installer un reverse proxy. Mais quand même. C'est pénible.

Et puis là soudain, ils ont encore eu une autre idée à la con. Comme si les frontières ne suffisaient pas, ils ont voulu mettre en place des horaires d'ouverture. Oui oui. Des horaires d'ouverture des internets. Entre telle heure et telle heure, le magasin internet est fermé. Sans déconner. Par exemple entre 22h et 6h du matin, en Allemagne, tu ne pourrais plus acheter (ou vendre) des ebooks érotiques. Je sais c'est dingue. 

Surtout quand à côté du cyber-espace, dans le réel-espace je veux dire, on n'arrête pas de te bassiner avec l'ouverture des magasins le dimanche. Mais c'est vrai que c'est cohérent. Si ils arrivent à faire fermer internet le dimanche, du coup faudra bien ouvrir les magasins le dimanche. Imparable. Du coup tu te dis que quand même vraiment, soit les gars ils ont raté un truc, soit le besoin d'étaler leur incohérence à la face du monde relève de l'obsession, soit ils sont équipés d'une hormone euphorisante uniquement stimulée par le plaisir de faire chier le monde. Soit les 3.

Du coup j'attends fébrilement qu'on m'informe des horaires d'ouverture de YouPorn. Hashtag cohérence.

Faut pas croire, hein, un jour ils vont y arriver. Les frontières dans le cyber-espace on y est déjà. Les horaires d'ouverture on y arrivera. Il est là l'internet, déjà à genoux avec plein de types pointant vers lui les pistolets chargés de l'incompréhension, de l'angoisse, du c'était mieux avant et du ceci tuera cela ; des types prêts à lancer le "à mon commandement, sauvez nos rentes." Le tout au nom de la préservation de la jeunesse, de la lutte contre la pédophilie, contre la contrefaçon, contre la fonte de la banquise et pour la préservation de la fragoline à tête crêpue. C'est pas les prétextes qui manquent.

A force, ils vont bien finir par y arriver à l'abattre le cyberespace. Ils en ont déjà fait un grand centre commercial et une annexe de la Stasi. Alors comptez pas sur moi pour pleurer. D'autant que c'est pas les alternatives qui manquent. Pleurer => .onion. Mais quand même. Des horaires d'ouverture des internets, fallait y penser. Fallait oser. Paraît que ça ose tout. Paraît que tout le monde la veut, cette place de chef d'escadrille.