Il y a longtemps que je ne vous avais pas reparlé de l'affaire #AnneFrank. Et je suis sûr que cela vous avait manqué. Alors d'abord je vais bien. Je n'ai (pour l'instant) pas de procès aux fesses, et le texte "libéré" le 1er Janvier 2016 sur ce blog et sur celui d'Isabelle Attard continue de circuler tranquillement sur les internets. Comme circulaient d'ailleurs, et circulent encore, depuis bien avant notre initiative de nombreuses versions pirates en français.
Depuis mon dernier article sur ce sujet, la "mayonnaise" médiatique s'est calmée. A signaler cependant la parution dans l'édition du 9 avril 2016 du journal Le Monde d'un article en pleine page de Josyane Savigneau, également accessible en ligne (pour les abonnés uniquement). Concernant la position du fonds Anne Frank sur notre initiative, Yves Kugelmann indique à la journaliste :
"Olivier Ertzscheid se livre à un acte militant mais la question du copyright demeure." La fondation envisage-t-elle des poursuites ? "Nous ne communiquons pas dans les médias sur ce sujet".
Donc de ce côté là rien de neuf, sinon, tout de même, que le fonds Anne Frank semble avoir, en tout cas dans son argumentaire média, complètement abandonné l'argument selon lequel Otto Frank serait le co-auteur du journal, ce qui n'est déjà pas si mal 😉
Journée mondiale de la propriété intellectuelle.
Mais si je vous reparle d'Anne Frank aujourd'hui c'est parce que c'est aujourd'hui, 26 avril la journée mondiale de la propriété intellectuelle (#WorldIPDay). Il y a 3 jours, le 23 Avril, c'était la journée mondiale du livre, destinée selon l’UNESCO à "promouvoir la lecture, l’industrie éditoriale et la protection de la propriété intellectuelle à travers le droit d’auteur", une journée mondiale qui a – hélas – été complètement récupérée par les différents lobbys des ayants droits au service d'une vision aussi sclérosée que culpabilisante et inefficace du droit d'auteur. Et dont le seul avantage – de cette journée – est d'avoir fourni à Neil Jomunsi l'occasion de livrer un texte lumineux que je vous incite à lire et à méditer.
Mais donc aujourd'hui 26 avril c'est la journée mondiale de la propriété intellectuelle. Et c'est à cette occasion qu'un site polonais, l'association (fondation ?) "Centrum Cyfrowe", qui milite (notamment) pour domaine public, soutenu par Communia (association internationale qui milite aussi pour le domaine public) a décidé, à son tour, de libérer la version originale du journal (parue en 1947, et également dénommée "version A").
Le hashtag Twitter #ReadAnneDiary permet de suivre la diffusion du fichier et le relai donné à l'opération.
#ReadAnneDiary
Le fichier est disponible sur leur site mais, l'internet ayant désormais des frontières, il vous sera impossible de le télécharger si vous ne vous connectez pas depuis une adresse IP située en Pologne. Pour vous éviter le bidouillage de l'installation d'un VPN (sinon Hola Unblocker pour Firefox marche très bien) qui permet de contourner ce géoblocking, je vous remets en lien direct le fichier pdf en question.
Téléchargement Het-Dagboek-van-Anne-Frank-1
Le plombier (et le droit d'auteur) polonais.
Et donc me direz-vous, "OK, chouette mais le site Polonais va avoir le même problème que toi non ?" Et bien figurez-vous que non. Parce que comme l'explique très bien l'article de Communia par le biais duquel j'ai découvert le bonne nouvelle :
"Fortunately, in Poland a special provision for extended protection for works published posthumously was removed in 1952.
Moreover, in 1952 the term of protection was reduced to 20 years after the death of the author. But in 2000—due to implementation of the Copyright Term Directive into the Polish law—copyright in the diary was reinstated. Since the general rule of the author’s lifetime plus 70 years should apply here, we believe that Anne Frank’s original writings (version A and B) are in the public domain in Poland since 1 January 2016. However, publishing those writings online may be illegal if the publisher can’t prevent cross-border access from countries where protection has not expired."
Je traduis :
"Heureusement, en Pologne, l'extension spéciale dont jouissaient les oeuvres publiées à titre posthume a été retirée en 1952. De plus, en 1952, la durée de protection d'une oeuvre a été réduite à 20 ans après la mort de l'auteur. Mais en 2000 – du fait de l'ajout d'une directive sur la fin du droit d'auteur dans le droit Polonais – le copyright sur le journal est de nouveau devenu effectif. Mais comme la règle générale des 70 ans après la mort de l'auteur peut s'appliquer ici, nous pensons que les écrits originaux du Journal d'Anne Frank (version A et B) sont dans le domaine public en Pologne depuis le 1er Janvier 2016. Cependant, la publication de ces écrits en ligne peut-être illégale si l'éditeur ne peut empêcher les accès et les téléchargement en provenance d'autres pays dans lesquels la protection liée au droit d'auteur n'a pas expiré."
Donc le site polonais a mis en ligne le Journal d'Anne Frank, et mis en place un géo-blocking pour que seuls les ordinateurs avec une adresse IP polonaise puissent voir et accéder au bouton de téléchargement.
Indépendamment du fond de l'affaire et des arguments juridiques qui sont pour le moins discutables, l'association Communia en profite pour rappeler à raison qu'il est grand temps, au moins à l'échelle européenne, de passer d'une harmonisation à une unification de la durée de protection des droits.
Le journal d'Anne Frank s'il est particulièrement emblématique est en effet très loin d'être un cas isolé. S'il fallait ne choisir qu'un seul autre exemple ce serait bien sûr Le Petit Prince de Saint-Exupéry. Dans le domaine public au Canada depuis 1995, depuis 2005 dans la plupart des pays d'Europe, mais pour lequel il faudra attendre 2045 pour qu'il s'élève dans le domaine public français (parce que quand tu es "mort pour la France" tu gagnes plein d'année de "protection" dont ni toi ni tes enfants ni tes petits enfants n'ont rien à faire mais qui font du bien aux 3 ou 4 éditeurs qui se partagent le gâteau à l'échelle de la planète). Et là encore un texte facilement et rapidement accessible via n'importe quel VPN, ou même sans aucun VPN sur tout un ensemble de sites de torrents. Autant dire que le maintien du droit d'auteur dans ce cas ne sert qu'à maintenir la rente des ayants droits et à légitimer les accès illégaux, au lieu de replacer ce(s) texte(s) à disposition du public et des créateurs qui pourraient lui redonner une nouvelle vie, y compris commerciale. Bref, un grand gâchis. "Copyright Chaos".
Alors cette nouvelle mise à disposition du texte original en Pologne est-elle une bonne nouvelle et si oui, pourquoi ?
Oui. Trois fois oui. Parce que cette nouvelle mise à disposition va contribuer à la dissémination de ce témoignage si essentiel. Parce que plus ce texte circulera librement, légalement (ou illégalement d'ailleurs mais ça personne ne nous avait attendu), et plus il sera facile de mettre en place ce que moi et quelques autres essayons de faire (à notre modeste niveau et sans aucun moyen) : en fournir une nouvelle traduction française libre de droits. Parce qu'enfin devant l'absurdité de ces différents mouvements et débats autour de la diffusion d'une oeuvre qui participe de notre mémoire commune, il va être très difficile de nier que l'extension croissante des droits des ayants droits (et non des auteurs) sert autre chose qu'un strict appât du gain ou une rente devenue illégitime. Et que pendant que certains se déchirent au nom de la supposée protection d'un droit qui devrait être uniquement celui du public à disposer d'une oeuvre 70 ans après la mort de son auteur (et donc souvent plus d'un siècle après que l'oeuvre a été écrite), pendant que la "protection de l'oeuvre" ou le "devoir de mémoire" sont utilisés comme arguments, pendant que l'on continue de refuser le domaine public à la victime, l'oeuvre du bourreau qui, elle, s'est élevée dans le domaine public, caracole en tête des ventes. De quelle mémoire et de quel droit parle-t-on alors vraiment lorsqu'on refuse l'entrée dans le domaine public au Journal d'Anne Frank ? #ReadAnneDiary.