50 millions d'heures par jour. C'est le temps que nous passons en moins sur Facebook. Nous y passons 50 millions d'heures en moins chaque jour. Chaque jour nous pouvons donc consacrer 50 millions d'heures à faire autre chose que d'être sur Facebook (ou Messenger ou Instagram ou une autre acquisition de la plateforme). Et cela fait suite aux changements d'algorithme. Cela fait suite à la remise en avant des liens avec nos amis au détriment des médias et des fake news. Cela fait suite à la vigilance nouvelle de Facebook, à sa prise de conscience le tort que nous causaient les vidéos faussement virales et autres stratégies de Dame Putaclic l'ensorcelleuse.
Et c'est donc cette baisse du temps passé sur sa plateforme que Mark Zuckerberg décide de mettre en avant dans le communiqué de presse sur son bilan financier, le "Facebook Reports Fourth Quarter and Full Year 2017 Results." Convenez qu'il est assez inédit pour un patron des Gafam de souligner que les utilisateurs passent moins de temps sur sa plateforme dans le document qui est aussi la Bible et le Viagra de son actionnariat.
D'autant qu'il y met les formes et de l'insistance :
"2017 fut une année forte pour Facebook, mais également difficile. (…) En 2018 nous nous concentrons sur les moyens de faire que Facebook ne soit pas simplement "fun" à utiliser, mais aussi qu'il soit utilisé pour le bien des gens. Pour y parvenir nous encourageons les connections qui font sens entre les gens ("meaningful connections between people") plutôt que la consommation passive de contenus. Déjà dans les résultats de ces 4 derniers mois, nous avons effectué des changements pour moins exposer les vidéos virales et s'assurer que le temps passé serait du temps bien dépensé (Time Well Spent). Au total nous avons fait des changements qui ont réduit le temps passé sur Facebook d'à peu près 50 millions d'heures chaque jour."
Et de conclure :
"By focusing on meaningful connections, our community and business will be stronger over the long term."
18 milliards d'heures par an.
50 millions d'heures par jour c'est 1500 millions d'heures par mois (1,5 milliard donc) et 18 250 millions d'heures par an (18 milliards et 250 millions).
On arrondit ? Ok. Donc grâce aux changements de l'algorithme du NewsFeed, Facebook, au choix :
- nous a permis de récupérer plus de 1,5 milliard d'heures de temps de cerveau disponible par mois (18 milliards par an).
- a perdu 1 milliard et demi d'heures de temps de cerveau disponible à monétiser et à scruter depuis un mois (et en aura perdu 18 milliards dans un an à ce rythme là).
18 milliards par an ou 1,5 milliard par mois, ce n'est pas rien, y compris pour l'imaginaire numéraire du numérique. Ou plutôt si. C'est peanuts. Je vous explique.
Dans le même communiqué de presse sur ses résultatss financiers, Facebook indique que le nombre de "Monthly Active Users" est, pour décembre 2017, de plus de 2 milliards (2,13 exactement), et que ce chiffre est en augmentation chaque année de 14%.
L'opération à réaliser consiste donc à diviser 1,5 milliard (d'heures mensuelles passées en moins sur Facebook) par deux milliards (d'utilisateurs actifs s'y connectant chaque mois). Soit un résultat de 0,75 heures mensuelles.
Trois-quarts d'heure, 45 minutes de temps passé en moins sur la plateforme, par mois et par usager. Ramené à l'activité journalière nous en sommes à 45 minutes divisé par 30 jours = 1,5 minute par jour. 90 secondes.
90 secondes par jour.
La révolution algorithmique du Newsfeed, la prise de conscience de toute ce temps de cerveau mal employé et les mesures drastiques prises par la plateforme ont donc permis à ses utilisateurs de passer … 90 secondes de moins chaque jour sur Facebook.
Autant vous dire que les actionnaires et les annonceurs ont fait le calcul avant moi et qu'ils ne sont pas, mais alors pas du tout, inquiets. Car si ce chiffre n'a rien d'affolant, il l'est encore moins – affolant – si on le corrèle à l'autre chiffre déterminant : celui qui permet de savoir combien de temps les utilisateurs passent en moyenne chaque jour sur Facebook.
Ce chiffre, on s'en doute n'est pas facile à obtenir (et l'on est un peu obligé de croire Facebook sur parole quand il veut bien nous le donner), mais un article du New-York Times citant une conférence donnée par Zuckerberg lui-même en Mai 2016 indiquait qu'un utilisateur passait en moyenne …
50 minutes par jour sur Facebook.
50 minutes par jour dans l'écosystème Facebook (le réseau social et/ou Instagram et/ou Messenger). 50 minutes moins 90 secondes = 48'30.
Moralité : nous n'y passons plus que 48 minutes et 30 secondes. Tout ça pour ça.
En Juin 2016, interviewant Tristan Harris, le fondateur du label "Time Well Spent", Rue89 titrait : "Des millions d'heures sont juste volées à la vie des gens". Le solde n'est pas prêt de redevenir positif avec les 90 secondes par jour que nous "rend" Facebook si aimablement.
Cela va peut-être vous étonner mais je suis – presque – sincèrement convaincu que Mark Zuckerberg essaie, en effet, d'améliorer l'expérience du temps passé sur sa plateforme. Il n'a de toute façon pas trop le choix tant l'image de la marque a été sévèrement écornée en fin d'année dernière et depuis les Fake News et l'élection de Trump. A ce titre, annoncer cette perte de temps de cerveau disponible est en effet un signal positif envers les annonceurs et l'actionnariat puisqu'ils entendent et retiennent surtout deux choses :
- primo "on essaie de régler la crise dans l'opinion",
- et deuxio "vous affolez pas les copains, en fait les gens se connectent presque toujours autant, la baisse annoncée n'a rien de significatif".
Car bien sûr ces chiffres devraient être considérablement affinés : le temps passé sur mobile n'est pas équivalent (en quantité et en qualité) à celui passé sur la plateforme depuis un navigateur sur un ordinateur portable ou de bureau. D'autant que sur ordinateur, Facebook tourne souvent en tâche de fond, la fenêtre de navigateur dédiée au réseau social pouvant rester en permanence ouverte sur une journée complète. Et puis il faudrait sérier le temps passé dans Facebook, sur Messenger, sur Instagram, etc … Mais grosso modo donc, et malgré les Fake News, malgré les campagnes de dénigrement d'anciens employés, malgré les alertes incessantes des médias sur l'utilisation "des écrans", malgré tout cela, nous continuons de passer presque une heure par jour sur Facebook. Et au final seul Facebook sait vraiment combien de temps nous y passons.
La grande force de la plateforme est aussi liée à sa capacité de résistance aux agressions extérieures. Et le communiqué de Zuckerberg en est une éclatante démonstration.
Revoici donc le bon communiqué de presse :
"2017 fut vraiment une année de merde entre cette baderne de Trump, les histoires de Fake News et ces ingrats d'anciens employés qui font leur crise de la quarantaine en racontant dans tous les médias que Facebook est une merde et qu'il interdisent à leurs enfants de s'en servir. (…) En 2018 va donc falloir gérer cette crise majeure dans l'opinion pour retrouver une adhésion à notre marque. Du coup on va communiquer sur les valeurs standards de la famille et du "temps bien dépensé" comme dit l'autre Tristan Harris et sa bande de néo-Beatniks dégénérés ; et on va bidouiller deux ou trois trucs dans l'algo du Newsfeed pour que tous les annonceurs captifs crachent davantage au bassinet de la budgétisation publicitaire par peur de voir leur audience disparaître complètement (déjà qu'on les ballade depuis des années avec la fluctuation de la portée organique, ça devrait pas être très dur, ha ha ha). Et puis aussi on va leur balancer des très très très gros chiffres qui ne veulent rien dire mais qui feront bien diversion et on va transformer une perte en gain, le coup de comm. classique qu'on t'apprend en première année d'école de commerce. Plutôt que de raconter que les gens, sur presque une heure par jour, passent quelques toutes petites minutes de moins sur nos plateformes, on va raconter que c'est nous et notre stratégie de bison futé qui avons permis de réduire le temps passé sur Facebook pour le bien de l'humanité. Allez hop, tous en slip dans la piscine de champagne, et faites péter les stock-options."