This is the end. Depuis l’arrivée (le retour) de Larry Page aux manettes, Google ferme des services à tout de bras. Récemment, près de 10 services sont concernés. Dernière victime en date, l’encyclopédie Knol, censée à l’époque de son lancement, venir rivaliser avec Wikipédia (l’occasion de relire cet excellent billet 😉 La plupart de ces fermetures étaient attendues ou à tout le moins prévisibles : pour n’en citer que deux, Google Wave s’était lamentablement ramassé en terme d’ergonomie et d’interface (et du buzz), et Google Gears (pourtant si pratique) ne rentre plus dans une stratégie de migration complète dans les nuages de l’ensemble des contenus « possédés ». A l’heure de la connexion permanente et de l’accès centralisé dans le cloud via un empilement de terminaux mobiles, l’intérêt d’une synchronisation « online-offline » n’est plus guère pertinente pour la stratégie des firmes en nuage. Idem pour Google Desktop, à l’époque de son lancement passerelle indispensable entre notre disque dur et nos services en ligne, désormais condamné par la disparition ou la vocation inutile de nos capacités de stockage résidentes (l’occasion de relire cet article visionnaire 😉
The end my Friend. Mais parmi ces fermetures, il faut aussi noter, à côté de celui de certains services, l’arrêt ou la suppression de certaines fonctionnalités de recherche. Ainsi la Google Search Timeline permettant de représenter les résultats d’une recherche sur une frise chronologique sera bientôt inopérante. Les opérateurs de recherche permettant de trouver les pages liées et les pages similaires à une page donnée sont désormais exclus de l’interface de recherche avancée. L’évolution de cette même page va également dans le sens d’un masquage de plus en plus grand des options de recherche disponibles. Alors qu’il y a de cela quelques mois ou années (selon l’interface linguistique) l’ensemble des opérateurs étaient visibles par défaut sur la page de recherche avancée, ils sont aujourd’hui pour la plupart masqués, ne laissant à l’affichage que ceux jugés – par Google – comme étant les plus utiles, ou en tout cas les plus utilisés.
INTERFACE DE RECHERCHE AVANÇÉE : JUILLET 2010
INTERFACE DE RECHERCHE AVANÇÉE : DECEMBRE 2011
L’accès même à la page de recherche avancée, à l’époque visible dès la page d’accueil du moteur, à côté de la zone de saisie, est désormais « remonté » et masqué dans les options en haut à droite.
Du point de vue des usages, et pour enseigner régulièrement les arcanes des opérateurs booléens et autres joies du « allintitle » à de jeunes étudiant(e)s, je confirme que ces différents masquages n’encouragent pas vraiment une utilisation systématique de toutes les potentialités (pourtant immenses) dudit moteur.
Sanctuarisation ? Ces changements d’interface, ces choix de fermeture de service, ce masquage d’un certain nombre de fonctionalités pourtant apparemment dans le coeur de métier de Google, attestent s’il en était encore besoin du recentrage d’un écosystème de services qui peinaient à remplir le rôle qui leur était initialement assigné, c’est à dire capter de l’attention, du temps de cerveau disponible, pour mieux faire tourner la régie publicitaire du moteur. Mais ils indiquent également que l’on se dirige vers une forme de sanctuarisation du « Search ». Et cette sanctuarisation peut, à moyen terme, devenir inquiétante au regard de l’ensemble de l’évolution de l’écosystème du web.
Don’t be evil. The evil is outside. Outside of me. Depuis que Google existe, le reproche lui étant le plus fréquemment adressé est celui de renforcer la visibilité de sites déjà en position dominante au détriment des autres. Soit le principe même de « popularité » qui est le coeur du Pagerank. Un reproche argumenté, vérifiable, mais qui n’est pas imputable à une quelconque stratégie de la firme ; les stratégies de Google s’étant construites a posteriori et en conscience sur l’instrumentalisation rendue possible de la nouvelle distribution des cartes (et des côtes de popularité) inaugurée par ledit Pagerank (et ceci au travers, notamment, des mises à jour du même algorithme et des Google Danses occasionnées). Mais les moteurs, et Google en tête, restent par nature autant que par fonction des écosystèmes d’accès centrifuges, qui n’ont pas vocation à maintenir entre leurs seuls murs les internautes de passage, simplement à monétiser au maximum le temps que durera ce passage. Voilà pour la théorie. Même si la pratique est une négation récurrente de ladite théorie, tant le modèle économique desdits moteurs s’est construit sur la possibilité d’accroître de manière exponentielle ce temps de passage et donc d’attention. Ainsi se sont construits les écosystèmes de services de Google, de Google Books au rachat de YouTube.
Le resserrement actuel, la logique de sanctuarisation qu’il semble révéler, peut faire craindre que ne subsistent sur une partie du web, sur sa partie la plus large et la plus fréquentée, que d’immenses sanctuaires, de profils par ici, de requêtes par là, d’applications par ailleurs. Le web d’une navigation carcérale, au sein de jardins emmurés. Un web sanctuarisé dans lequel il n’y aurait plus que des réponses, plus que des magasins, des hypermarchés de la requête.
Pourtant … Robert Cailleau, Tim Berners-Lee, Vinton Cerf, et tant d’autres. Ils ont mis à notre diposition des navigateurs pour découvrir le monde. Il sont eu l’ambition de faire de nous des navigateurs. Et assis à la proue de nos requêtes, nous ne voyons aujourd’hui guère plus loin que le bout de nos caddies.
Nous en sommes là. Nous posons des questions à des applications, les réponses affichées sont des applications. Des écritures applicatives.
Nous en sommes là. Le web est juste derrière.
Excellent article sur une dérive réelle de l’internet. Toutefois, il me semble qu’on pourrait préciser ce que vous entendez par sanctuarisation : est-ce pour parler d’un rapport religieux – ici plutôt magique – au moteur de recherche qui donne comme par miracle des résultats ? Est-ce pour désigner le caractère fermé et bientôt inviolable de la requête ?
Bonjour Stéphane, et merci 🙂
Vous avez raison de me demander des précisions : il s’agit ici du « caractère fermé et presque inviolable de la requête », même si, à un autre niveau d’analyse disons … plus métaphorique, l’argument d’une relation magique au moteur pourrait aussi être entendu 🙂
Bonjour Olivier,
Cette évolution, je la constate moi aussi depuis plusieurs années chez Bing et GG, et aussi chez les interfaces des plateformes en ligne payantes de plusieurs éditeurs juridiques.
Pour autant, ces mêmes éditeurs, comme GG, maintiennent les opérateurs booléens alors même qu’ils nous disent que les requêtes avec opérateurs ne constituent que 1 à 3% du total. J’allais dire « normal » puisqu’on ne pousse pas à les utiliser.
Pourtant, mon expérience personnelle me prouve que, correctement formés, les « chercheurs » juristes les utilisent, ces opérateurs, lorsque la difficulté de la recherche l’exige.
Autrement dit : la recherche avancée est un luxe nécessaire. Opérateurs logiques {not dead}.