Le dernier billet de John Udell s’intitule "Tagging and Foldering" et il y pointe une évidence qui me paraît tout à fait éclairante sur les logiques des services en ligne ou off-line que nous utilisons désormais (presque) tous de manière quotidienne : moteurs de recherche, gestionnaire de fichier, courrier électronique, applications bureautiques, etc.
Nous sommes donc passé d’une logique d’organisation par dossier "Foldering" (aaaaah le lointain souvenir de la toute puissance de l’explorateur window$ …) à une logique d’organisation par mots-clés (tags). Ceci, du côté de nos ordinateurs personnels, a été rendu possible par l’augmentation de la puissance des processeurs (qui, entre autres choses, autorisent désormais une indexation de tous les documents en local et une recherche idoine). L’ensemble des services en ligne ont les tags ou mots-clés comme entrée principale. A titre personnel (rien de général là dedans) j’utilise essentiellement les principaux services de mon quotidien informatique à l’aide d’une entrée "mot-clé" ou "tag", qu’il s’agisse de retrouver un mail, un fil RSS dans mon agrégateur, ou un fichier sur mon mac. Ce mouvement (pour autant qu’il puisse être généralisé un peu au-delà de ma petite personne, ce que je crois), ce mouvement marque également un nouveau stade dans la substitution d’une logique de "searching" à une logique de "browsing", une nouvelle étape qui n’est pas neutre :
- « Cet article traite du problème de la recherche d’information dans un hypertexte. Dans ce contexte, le processus de recherche est envisagé comme un processus d’inférence qui peut être exécuté par l’utilisateur explorant le réseau hypertextuel (browsing), ou par le système, exploitant alors le réseau hypertextuel comme une base de connaissances (searching). » (…)
« Browsing : aller d’un endroit vers un objet [going from where to what] (en supposant que vous savez où vous vous trouvez dans la base de données et que vous voulez découvrir ce qu’elle contient à cet endroit). Searching : aller d’un objet vers un endroit [going from what to where] (en supposant que vous sachiez ce que vous cherchez et souhaitiez trouver où cela se trouve dans la base de données). » Lucarella D., « A Model for Hypertext-Based Information Retrieval. », pp.81-94, in Hypertext : Concepts, Systems and Applications, Rizk A., Streitz N., André J. (eds), Cambridge University Press, 1990. Actes de la Conférence Européenne sur l’Hypertexte, INRIA, France, Novembre 1990.
Voilà donc pourquoi ce glissement applicatif de la plupart de nos interfaces, y compris même cognitives, n’est pas neutre : il n’y a pas, peu ou plus d’inférence dans une recherche sur le mode "searching" (reposant sur des "tags"), là où le "browsing" et son organisation arborescente (simple ou complexe) en nécessite. Cette absence trouve son meilleur exemple dans les interfaces utilisant des folksonomies comme point d’entrée : le succès de ces dernières vient du fait qu’elles sont capables de pallier l’absence du mot (symptomatique chez les moteurs de recherche et leur zone de saisie désespérément vide), et le plus souvent l’absence du besoin (de recherche d’information) chez la majorité des utilisateurs : comme on arrive sur ces sites (YouTube, DailyMotion, FlickR et tant d’autres) pour y flâner, sans besoin précis, la pregnance des tags fixés sur cette "imago", cette représentation à peine conscientisée, fait office d’inférence substitutive. Ce mouvement, c’est celui que j’avais déjà tenté de problématiser dans ce billet : après le "browsing", le "searching", c’est celui du "subscribing", un mode opératoire dans lequel :
- "On ne
navigue plus, on ne recherche plus, on s’abonne, on "souscrit". Notons
d’ailleurs que l’étymologie de ce dernier vocable est intéressante :
"souscrire", "sub-scribere", littéralement "écrire en dessous", à moins
qu’il ne s’agisse d’écriture "sous autorité" : en aggrégeant les
discours écrits ou postés par d’autres, on est, de facto, placé "sous"
une "autorité" qui n’est plus notre."