Pour continuer avec notre série engagée il y a peu du "petit lien du week-end", c’est cette fois Régis Debray qui s’y colle avec cet excellent canular paru dans l’édition du Monde du 6 Mars et intitulé : "Dépoussiérer les livres".
Tous les ingrédients du parfait canular y sont réunis : sérieux du ton, rigueur de l’exposé, et surtout, suuuurtout, crédibilité de la thèse présentée. Un cas d’école donc.
J’en reprends juste pour la bonne bouche les points les plus saillants :
- "1. Fin du dépôt légal. (…) Qu’une ordonnance de François Ier (1537) fasse encore loi à
l’ère du numérique confine au grotesque. Feront désormais l’objet d’un
dépôt obligatoire les seuls ouvrages qui répondent à une demande réelle
du consommateur : la liste des meilleures ventes hebdomadaires de L’Express fera foi. (…)" - "4. Abrogation du prix imposé. (…) la loi Lang, typiquement corporatiste et n’hésitons pas à le
dire d’inspiration soviétique, punit en fait le consommateur pour
complaire à une profession protégée. Prix unique, parti unique, pensée
unique (…)" - "5. L’affaire Google. (…) Il est clair qu’un vague consortium
d’établissements publics européens n’aura pas les moyens financiers de
rivaliser avec le pionnier d’outre-Atlantique. Pourquoi ce dernier nous
voudrait-il du mal ? L’Occident ne doit pas disperser ses forces, qu’il
s’agisse de la lecture sur écran comme de la chasse au taliban. Il est
temps de rallier le Google Book Search en même temps que les
commandements intégrés de l’OTAN." (rappelons pour mémoire qu’on lui demande déjà plein de conseils …) - "6. Mécénat d’entreprise. (…) Plus d’une serait logiquement
intéressée à attacher son logo à la version numérique d’ouvrages de
qualité. Dassault, à Vol de nuit. Hermès (les écharpes), au Petit Prince. Pfizer (les molécules contre l’asthme), à la Recherche du temps perdu. Ou encore l’American Express, à Paul Morand." (rappelons pour mémoire que les ouvrages du domaine public disponibles sur Google Book Search le sont avec le filigrane de la firme).
Du pur bonheur. Et un court canular qui alerte autant sur le sujet qu’une thèse académique de 400 pages. Le danger que pointe Debray est bien celui d’un pragmatisme décomplexé à courte vue, celui d’une politique culturelle littéralement aveugle, c’est à dire sans aucune "vision" à part peut-être celle, en ligne de mire, de la collecte de subsides qui lui permettront d’asseoir et de reconduire ce "manque" politique. Ou comment vendre une "politique de civilisation", en appliquant une politique du chiffre et de la statistique : les "chiffres" du nombre d’étrangers reconduits à la frontière, les "chiffres" du nombre de chômeurs en moins, les "chiffres" du nombre d’entrées d’un film, les "chiffres" de fréquentation des musées. Les chiffres. L’alpha et l’oméga d’un électroencéphalogramme politique dont la ligne varie à l’unisson de celui des marchés. Ceci n’est pas une politique.
normal:
http://www.politiquedecivilisation.com
Patrick> un bien bel achat dans votre portefeuille (d’actions ?). Et programmatique avec ça 🙂
trés drole et salutaire…Votre conclusion me fait également penser aux chiffres du WEB : au nombre de « clics », de visites, de visiteurs uniques, de pages vues, de pages indexées, au nombre d’abonnés à facebook ou myspace, au nombre de « videos vues », au nombre de lecteurs abonnés au fil rss, aux nombres de liens, aux classements en tout genre…il faut dire stop : les chiffres ne font pas le WEB mais ils plaisent tellement aux journalistes (et parfois flattent un peu l’ego de certains blogguer) qu’on y plonge sans retenue et sans prendre garde…
« C’est la civilisation démocratique développée qui est en état de choc. Une guerre intestine la déchire, une véritable guerre civile froide qui s’accentue à mesure que la quantification généralisée, le cognitivisme, la génétique, les bio et nano technologies affirment leur prétention à régenter pour ainsi dire, le dasein. »
Jacques-Alain Miller dans « le Nouvel Ane »
et sur http://www.causefreudienne.org/
La bataille contre la quantification est lancée ! Très bien.
fred, un documentaliste nantais
(et bravo pour votre remarquable site)