Bienvenue à l’université low-cost.

"Et si la prochaine bulle spéculative était celle de l'université ?" C'est le titre d'un article du Chronicle of Higher Education. La scène se passe aux Etats-Unis.

En 25 ans, 440% d'augmentation des frais d'inscription dans les universités privées.
"Avec les
frais de scolarité et de logement, les frais de
dizaines d'universités privées ("private colleges") atteignent maintenant 50 000
$ par an (…). Selon le National Center for Public
Policy, au cours des 25 dernières
années, les frais de scolarité ont augmenté
en moyenne de 440 pour cent – plus de quatre fois le taux d'inflation et près
de deux fois le taux des soins médicaux.
 
Patrick M. Callan, le président du centre, a averti que les étudiants à faible revenu trouvent l'université inabordable."

1000 $ par semaine pour aller à l'université.  Et l'article de poser une question aussi crue que révélatrice : "la plupart des familles se demandent si cela vaut encore la peine de payer 1000 $ par semaine pour envoyer leurs enfants à l'université privée."
La totalité de l'article est très instructive dans le contexte actuel, soulignant notamment que les prêts étudiants sont (partiellement à cause de la crise du crédit) une solution désormais inefficace (rappel : les mêmes prêts que le gouvernement français s'aprête à mettre en oeuvre, exemples , et ). Il rappelle également que ce sont les classes moyennes qui ont été les vaches à lait de ce mode de financement des universités, les mêmes classes moyennes dont les enfants se voient aujourd'hui privés de "bonnes" universités (privées) pour cause de frais trop élevés.
Face à cela les universités publiques ("public universities") peinent pourtant à tirer leur épingle du jeu (les frais de scolarité y avoisinent tout de même les 25 000 $ par an …), notamment du fait de leur "mauvaise réputation" (elles sont de fait et depuis longtemps "réservées" aux étudiants des classes les plus défavorisées).

Le danger des universités "low-cost".

On voit donc émerger de nouveaux types d'universités. Des universités "en ligne". Ce qui pourrait être un bien. Mais qui n'en est pas un. En effet la logique de développement de ces universités en-ligne ne correspond pas à une volonté réelle de mettre en place un nouveau rapport à l'enseignement, mais bien d'une logique "low-cost". Et ce danger là est bien réel. On est ici à des années lumières d'une politique volontariste de télé-enseignement et de mise à disposition de ressources organisées, dont le projet OpencourseWare du MIT reste l'exemple fondateur. Ce dont il s'agit dans ces nouvelles universités low-cost se situe dans une pure logique comptable : rassembler des ressources d'enseignement aujourd'hui aussi nombreuses qu'hétérogènes sur le Net, et y attacher la délivrance de diplômes. A ce titre, l'annonce par l'ONU du lancement de "l'université du peuple" me semble hélas davantage relever d'une logique low-cost que d'un réel projet pédagogique structuré.

Le Net et la formation à distance : quant ton meilleur ami devient ton pire ennemi.
La délivrance de grades ou de diplômes universitaires ne saurait évidemment s'accomoder d'une simple collation, d'une seule agglomération de ressources hétérogènes distantes. Arena sine calce. Du sable sans chaux. Pour avoir une valeur, le télé-enseignement, la formation à distance (FOAD), doivent être déployés en relai ou en appui d'un enseignement en présentiel (soit sur une année, soit sur un cursus "long"). Il est par ailleurs évident que le coût de mise en place d'un dispositif efficace et "canonique" de FOAD est au départ très élevé (par rapport à un dispositif d'enseignement classique = prof + tableau + chaises) et que les bénéfices (financiers) ne peuvent en être tirés qu'à long ou moyen terme. Une séquence pédagogique en ligne est longue à construire, à concevoir, à réaliser. Et elle ne correspond en rien à une séance pédagogique (un cours) "classique". Et elle nécessite d'abord de former les enseignants qui seront en charge de la concevoir autant que de l'administrer (car oui, même et surtout en ligne, on a encore besoin d'enseignants résidents). Et je ne parle ici même pas des dispositifs d'évaluation en ligne (sauf à faire passer des QCM à moitié bidons à tous les étudiants en attente de diplôme, ce qui est hélas de plus en plus souvent le cas, y compris dans les universités et les cours en présentiel …). Si l'on veut proposer en ligne des formations réellement diplômantes, il y faut a minima la présence d'une équipe pédagogique (un peu) stable, d'un projet d'enseignement (un peu) cohérent, et de dispositifs d'évaluation (un peu) concertés.

L'erreur du centre et de la périphérie. Pour le dire autrement, ce serait, à mon avis, une erreur catastrophique (déjà hélas moultes fois commise) de penser l'enseignement à distance et autres ENT (environnements numériques de travail) comme des dispositifs centraux alors qu'ils n'ont de pertinence qu'à la périphérie, alors que leur rôle est précisément d'aider les étudiants à circonscrire la périphérie des services d'enseignement et de ressources identifiées et organisées auxquelles ils ont accès. Ce n'est qu'à cette condition que nous parviendrons à relever le défi de la connaissance et de la formation en ligne, que nous parviendrons à imaginer des universités fonctionnant à la manière de Wikipédia ou de YouTube afin "de permettre le déploiement rapide d’expertises dispersées et la reconfiguration des champs".

<Update de 10 minutes plus tard> Sur le sujet (place des dispositifs technologiques dans l'enseignement à l'université) voir également l'analyse de Jean-Michel Salaun, notamment le passage suivant :

  • « Je ne crois pas à la fin du cours traditionnel, dispensé devant
    des étudiants (tout comme je ne crois pas à la fin du codex). Ces
    dispositifs ont fait la preuve de leur efficacité depuis des
    millénaires. Prétendre que des étudiants ne sont plus capables, ou
    simplement moins capables qu'autrefois, d'y soutenir leur attention est
    une spéculation qui mérite démonstration. Sans doute il y a nombre de
    questions à se poser en ce sens et nombre de techniques pédagogiques à
    réviser, mais prendre l'affirmation pour un acquis est dangereux.. et
    bien peu scientifique. » (…) « Les terminaux mobiles (cellulaires, blackberries, PC portables),
    sont des concurrents directs des professeurs sur la captation de
    l'attention en cours si l'on donne accès au réseau dans les
    amphithéâtres, car ils permettent d'échapper électroniquement au
    dispositif physique. L'université ne doit pas si facilement abandonner
    ses dispositifs traditionnels. En effet, le risque est que l'attention
    perdue ne se reporte pas sur l'apprentissage, mais sur bien d'autres
    activités qui permettent de dégager du temps de cerveau disponible pour
    des annonceurs. Le cerveau des étudiants est comme celui de chaque
    humain, facilement distrait. »

</Update>

Opportunisme à courte vue. Mais dans un monde ou tout va si vite, dans une gouvernance universitaire de la performance et de la rentabilité, il est hélas à craindre (on le constate déjà) que cette réflexion soit totalement escamotée dans une seule logique d'opportunisme à courte vue : les ressources numériques existent, elles sont légion, pour la plupart gratuites, elles permettent d'alléger considérablement les moyens (humains et logistiques). Fonçons donc dans la brèche ouverte par ces universités low-cost. Et accesoirement dans le mur.

(Addendum : sur le modèle américain de l'enseignement supérieur et ses nombreuses tentatives de déclinaison nationales, voir notamment cet article (.pdf) // Temps de rédaction de ce billet : 1h30)

3 commentaires pour “Bienvenue à l’université low-cost.

  1. Oui Olivier,
    J’irai même plus loin. D’un point de vue économie le capital accumulé par les universités a trois composantes majeures :
    Les cours et comme tu l’indiques certains peuvent se servir des cours disponibles en ligne (y compris le mien) pour récupérer à leur profit ce premier capital ; les collections accumulées par les bibliothèques et Google a compris comment on pouvait faire un hold up sur ce travail patient de générations de bibliothécaires ; et les réseaux des étudiants.. suivez mon regard.
    Il est très facile d’ouvrir une université sans dépenser un centime de capital intellectuel.

  2. Ce billet est étrange car son sujet ne correspond par à son contenu : on pourrait croire qu’il critique l’université bradée (low cost), ce qui sous entendrait que toute chose ayant un prix, celui des études devrait être à la hauteur de la valeur qu’elles apportent, mais non !
    On pense ensuite que vous allez critiquer le modèle américain de l’enseignement supérieur. Les université «de bon niveau», peut-être celles qui peuvent (ou savent) attirer les profs brillants et les retenir par un cadre attrayant ou, au pire, par de l’argent, sont privées. L’université publique, indigente, est onéreuse malgré tout (frais de scolarité de moitié de ceux de l’université privée) mais réputée de qualité moindre. Eh non, fausse piste, vous voulez en venir à un autre point !
    En fait, vous voulez vous en prendre aux universités en ligne !
    Après les guichetiers de la SNCF qui déplorent l’exode de leurs clients vers Internet (Voyages-SNCF.com), les informaticiens criant à l’assassin lorsque leurs emplois sont outsourcés en Inde, les hotliners concurrencés par des francophones du Sud (Madagascar, Maghreb…), voilà les profs d’université en passe d’être outsourcés sur le Net !
    Zut alors !
    Bon, alors on va faire comme tous les précédents, on va dire que les autres sont moins bons en espérant crier assez fort pour qu’on garde un peu de nos brebis s’égarant…
    Et si, au lieu de tout balancer sans discernement, on se posait des questions ?
    Pourquoi une telle désaffection de l’université ? N’y a-t-il rien à changer dans la forme actuelle de l’université (à part déverser des milliards, mais à quoi bon) ?
    Pourquoi ne pas introduire une part d’apprentissage en ligne dans les cursus d’enseignement supérieur ? Je lisais je-ne-sais-plus-où il y a quelques mois un article au sujet d’une fac de médecine française (Grenoble ???) proposant (imposant ?) une première année exclusivement à distance, avec un système de tutorat et tout et tout… Il paraitrait que ça évite à plein d’étudiants de déserter les bancs de la fac pour aller dans des cours parallèles (privés) préparant aux même concours, donc ça doit marcher, non ?
    Au moins, ça donne plus de souplesse aux apprentissages (asynchronisme), ça vide les amphis (décentralisation), et je suis sûr d’oublier mille et un avantages collatéraux.
    Allez, Monsieur le Maître de Conférences, évitez le corporatisme « low cost » et essayez de nous faire un billet sur les nouvelles perspectives qu’ouvrent ces universités, même si c’est pour également préconiser des gardes-fous…
    A l’arrivée de l’automobile, les cochers qui ont tiré leur épingle du jeu ne sont sans doute pas ceux qui ont décrié ce nouveau moyen de transport, ce sont ceux qui ont eu la sagesse d’apprendre à les conduire.

  3. L’idée que les prêts étudiants puissent être une bulle spéculative avaient été exprimée il y a 1 an ici
    http://insidehighered.com/views/2008/05/02/vedder
    Je conseille aussi ce joli film
    http://howtheuniversityworks.com/wordpress/archives/199
    A l’époque, j’avais écrit ceci (désolé pour l’autocitation mais le texte n’est plus en ligne) :
    « L’argument est qu’une bulle suit l’autre et que les prêts étudiants ont toutes les caractéristiques pour former la prochaine. Petite explication.
    Le gouvernement US aide financièrement les étudiants les plus pauvres à payer leurs frais d’inscription universitaire. Ceci a pour conséquence d’augmenter la “demande” (le nombre d’étudiants) et entraîne une hausse des frais d’inscriptions[4]. Exactement comme, en France, l’allocation logement a pour conséquence une hausse générale des prix des loyers. Et, exactement comme pour l’immobilier, plus les étudiants payent cher, plus ils pensent qu’ils font un bon investissement (qui paiera par des salaires plus élevés). La dette moyenne des étudiant augmente donc progressivement et vient d’atteindre les 20000$ par personne[5].
    Que les universités aient plus d’argent n’est pas forcément mal. Mais celles-ci n’investissent pas cet argent dans une meilleure éducation mais dans des dépenses somptuaires censées augmenter leur prestige (notamment en construisant des bâtiments ou des cité U de luxe[6]). On se retrouve donc dans une situation de bulle très proche de la bulle immobilière : des crédits bas qui augmentent les prix, une augmentation des prix qui entretien l’illusion que c’est un investissement lourd qui payera sur le long terme, et qui justifient ainsi un accroissement de l’endettement. Jusqu’à ce que cette hausse devienne insoutenable et que les nouveaux diplômés ne puissent plus faire face.
    Et vive le marché de l’éducation !
    La solution proposée par les auteurs est de réguler les frais d’inscription, par exemple en les indexant sur les salaires à percevoir (l’étudiant s’engage à reverser x% de son salaire pendant x années).
    A cela, je peux ajouter ma touche personnelle, “de première main”. En effet, la région de Boston a l’une des plus fortes densités au monde d’Universités et de Colleges, publics et privés, dont les prestigieux Harvard, MIT, Boston University, Tufts, University of Massachusetts, Boston College, Berklee College of Music, Northeastern University, etc., etc., etc. Et l’une des choses qui me frappe le plus est la quantité de publicités, partout, pour les différents établissements… ainsi que pour les prêts étudiants. La plupart des gens que je connais sont endettés avant même de démarrer leur vie professionnelle.
    Il faut voir aussi, lors des journées portes ouvertes, la tension sur les visages des parents. Une journée pour décider des 4 prochaines années, à plus de 30000$ par an[7]. Le prix d’une maison. Un investissement.
    C’est le genre d’expérience qui permet de se rendre compte combien notre système d’éducation supérieure quasi gratuit est un bien précieux. A défendre contre des prédateurs prétendument bien intentionnés…
    [4] En 10 ans, les frais d’inscriptions ont augmenté, inflation déduite, de +48% dans les universités publiques et +24% dans les universités privées
    [5] Mais cela ne prend pas en compte les années d’économies que les parents doivent entreprendre pour espérer payer une éducation à leurs enfants…
    [6] Les auteurs citent l’exemple des nouveaux dortoirs de Princeton qui, par lit, coûte 70000$ de plus que des dortoirs standards !
    [7] Et comme dit précédemment, ici on ne redouble pas.

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