Google Books Library est en fait un éditeur.
Google Edition sera en fait un libraire.
Ou comment un projet initialement pour les bibliothèques et à partir de leurs fonds, devient éditeur et libraire. En 5 ans. Le plus gros éditeur et le plus grand libraire du monde. En 5 ans. Le plus riche aussi.
Ou comment la bibliothèque est éditeur. L'éditeur libraire. Et le libraire ? La circularité du raisonnement précédent le verrait bien bibliothécaire.
Ce que questionne Google dans le paradigme de l'ancienne (antienne ?) chaîne du livre, c'est précisément la question du lieu. Le tropisme de l'endroit. Et de son revers. La bibliothèque est d'abord le lieu d'une éditorialisation. Tous les bons bibliothécaires vous le diront. L'éditeur est logiquement (dématérialisation + désintermédiation oblige) en situation de "faire librairie". La librairie doit réinventer son lieu, son espace de médiation dématérialisé.
Dans un – vieil – article rédigé en novembre 2006 pour les Cahiers du Syndicat de la Librairie Française j'écrivais ceci :
- "Les métiers, tous les métiers du livre, de l’enseignant au bibliothécaire, du libraire à l’éditeur, viennent, chacun à leur tour, se mirer dans ces miroirs déformants que sont les moteurs de recherche et leur alchimie numérique marchande. Le peu de recul que dont nous bénéficions en cette terra numerica montre qu’à chaque fois la compétence humaine est remise au centre du circuit de sélection, de diffusion et d’appropriation des contenus « culturels » : la formation à distance ne saurait se passer d’enseignement « en présentiel » ; la bibliothèque numérique n’est rien sans un plan de classement « raisonné ». De même, l’édition numérique devra savoir externaliser des services sans se priver de sa substance, de son cœur de métier. La librairie numérique indépendante à son tour, doit redéfinir le centre et la périphérie de son métier. (…) Si la marchandisation de l’ensemble des biens et produits culturels selon un axe de consommation chaque jour plus technophile est inéluctable, elle ne condamne rien d’autre que des modes de pensée qui seraient à l’image des modes de consommation qu’ils critiquent : univoques, manichéens, monolithiques. Si les éditeurs et libraires n’ont plus guère le temps de l’analyse, ils ont encore celui de l’initiative. Les moteurs leurs en laissent l’espace avec la possibilité offerte de promouvoir à une échelle inédite le formidable capital métier qui est celui de la librairie indépendante.
Ce que propose Google aux grandes centrales de distribution et aux grossistes du livres c’est une concurrence acharnée avec à l’horizon, seulement deux perspectives : le partenariat sans conditions ou une disparition programmée.
Ce qu’offre Google aux libraires et aux éditeurs indépendants, c’est l’occasion de repenser le centre et la périphérie de leur métier. Une offre qui, dans la temporalité numérique, ne se présente plus comme une chance mais comme un ultimatum.
Comment ?
Notamment …
En valorisant la fonction sociale et culturelle de la librairie indépendante. "Sure, books are still for sale, but the real "value" of a bookstore is now lies not in its merchandise, but in the intellectual or cultural community it fosters: in that respect, some bookstores are thus akin to the subscription libraries of the past.” (source)
En se positionnant fortement sur les nouveaux modes de lecture et d’appropriation des livres, au-delà de simples enjeux que posent les nouveaux dispositifs techniques de lecture : « Donner accès », « donner extrait » « faire catalogue » n’est pas « lire » et pas davantage « faire lire » ou « donner envie de lire ».
En s’inscrivant davantage dans des communautés d’intérêt et de pratiques. Faire communauté pour aller à la rencontre de ce public-lecteur qui ne demande pas mieux que de tirer profit et parti du numérique comme un allié pour mieux retourner vers le livre. Pour « mieux » y retourner car c’est bien de qualité qu’il s’agit. La bataille du quantitatif à déjà eu lieu. Elle se continue entre quelques acteurs seulement. La bataille qui reste à gagner est celle du qualitatif.
A ces seules conditions, et à bien d’autres sûrement, les libraires pourront garder une main sur la lisibilité (numérisation) et la visibilité (marchandisation) de leurs fonds. Et ce faisant, ne pas prendre le risque d’une dépossession totale ou partielle mais en tout cas non accompagnée des logiques de consultation qui ne se feraient plus que sur le site portail de la compagnie américaine.
S’il est déjà trop tard pour anticiper les soubresauts du numérique, il est encore temps de les penser, de leur donner forme, en accompagnant les usages nouveaux-nés ou restant à naître."
Petite nuance d’importance, la hausse des bénéfices de Google n’a rien à voir avec son implication dans le livre. Bien au contraire.
Un des enjeux de ce projet pour la firme est justement la diversification de ses revenus. Ce n’est pas encore gagné.
@Jean-Michel> j’ai pas dit qu’il y avait un rapport de cause à effet. J’ai juste souligné que cette manne financière lui dégageait des horizons tout en assombrissant ceux des autres.
> On s’y emploie en effet, savoir faire médiation, communauté, donner envie et fidéliser, -rappelons de quels moyens financiers nous (ne)disposons (pas) pour ça- mais c’est toujours dans un cadre marginal, restreint qui ne dégage pas assez de richesses. C’est clair – l’enjeu n’est déjà plus de vivre correctement de nos métiers en contemporains du numérique mais de survivre comme actuellement pour beaucoup d’entre nous. Super perspective, je dois dire que ça me donne super envie de rester dans le métier 😉 Pas d’héritage ni de riche mariage en vue… Survivre a son charme mais ça a ses limites. Vivre c’est mieux. Je dois dire que d’un autre côté, ça me ferait mal à mon idéal de devenir rentable en devenant une boutique de luxe : livres beaux et pointus et plus chers pour beautifull people et CSS+. Comme une épicerie de luxe.