ACTE I : depuis la nuit des temps (enfin disons depuis assez longtemps), les IUT, formations professionalisantes et technologiques, bénéficiaient d'un budget "fléché", correspondant à leurs besoins spécifiques. Le ministère leur envoyait donc un chèque. Pas un chèque en blanc, mais un chèque calculé selon différents critères (nombre d'étudiants notamment). Cet argent pouvait ensuite être investi dans différents moyens de "fonctionnement et d'équipement" (achat de logiciels, ordinateurs, etc.) et de ressources humaines (recrutement de professionnels extérieurs, etc …). A noter : ce budget fléché n'était pas, loin s'en faut, le seul mode de financement des IUT. Chacun d'entre eux perçoit de la taxe d'apprentissage et rentre un peu (ou beaucoup) d'argent via des projets, partenariats avec des commanditaires extérieurs.
ACTE II : il y a 2 ans de cela, avec la réforme Pécresse de l'autonomie des universités, fin du budget fléché. Ce sont les présidents des universités qui "gèrent" et décident du budget des IUT comme de l'ensemble des autres composantes desdites universités (URF, labos, etc.)
Et là problème : sans budget fléché, les universités vont devoir faire des arbitrages, très souvent défavorables aux IUT. Quand les relations sont bonnes entre le directeur d'IUT et le président d'université, ce dernier demande son avis au premier, quand elles sont moins bonnes …
Autre problème : les IUT délivrent des diplômes de DUT. Lesquels diplômes sont nationaux. Chaque filière d'IUT comporte un PPN (programme pédagogique national) qui définit très clairement les intitulés de cours, et les contenus afférents. Le résultat c'est que vous soyez titulaire d'un DUT génie biologique à Nantes ou à Besançon, sa valeur et sa reconnaissance sur le marché du travail et par le monde de l'entreprise est la même.
Oui mais. Oui mais depuis la fin de l'acte 1, ce n'est pas parce que les IUT disposaient d'un budget fléché qu'ils roulaient sur l'or. Et donc chaque IUT, selon ses moyens, était déjà amené à rogner un peu sur ce fameux PPN. Mais l'essentiel était préservé : malgré quelques minimes mais réelles différences dans la formation en DUT réseaux et télécoms de Vishnou-sur-Baïse et celle de Pétaouchnok-les-bains, les étudiants sortant de l'une ET de l'autre bénéficiaient de la même formation et de la même reconnaissance de leur diplôme. Bref du même "niveau d'efficience en termes d'employabilité" comme disent les manadjeureuhs.
Donc, il y a deux ans, grosse colère et grosse crise dans les IUT, mobilisation de l'ADIUT, de l'UNPIUT, des personnels et des étudiants. A ce moment là, tout le monde, je dis bien tout le monde (ADIUT, UNPIUT, personnels et étudiants) est d'accord pour dire que la fin du fléchage conjuguée à l'autonomie des universités annoncent tout simplement la fin du modèle IUT, un modèle pourtant paradoxalement et constamment cité en exemple par le ministère (et le patronat) comme modèle d'intégration, de performance, de réussite et d'ascenceur social. Un site garde la mémoire de ces événements. Evénements qui, on a un peu souvent tendance à l'oublier, serviront en partie de déclencheur à la crise qui touchera quelques mois plus tard l'ensemble des universités (un autre site en conserve la mémoire). Et puis, au final, après plus de 6 mois de conflit, tactique ministérielle de l'épuisement, vagues négociations et piteuses promesses, effets d'annonce et proposition d'une charte de bonne conduite, et puis c'est tout.
ACTE III : depuis 2 ans donc : loi LRU, autonomie des universités, la fin du budget fléché des IUT, toute cela est mis en place. Résultat :
- selon la police l'ADIUT et les présidents d'université : entre une grosse dizaine et une petite quinzaine – ce qui doit faire un bonne douzaine – d'IUT sont en difficulté réelle (= baisse de budget significative et – à terme – conditionnant la survie même de certaines formations et/ou départements d'IUT)
- selon les renseignement généraux le ministère : entre 2 et 4 IUT sont en légère difficulté (Toulouse, Nice et j'ai oublié les autres)
- selon les syndicats les personnels, c'est pas loin d'au moins la moitié des IUT qui sont touchés par des problèmes de financement mettant à court terme en question la pérennité de tout ou partie des formations qu'ils dispensent ou de la structure qui les accueille.
Rappel : il existe en France 115 IUT qui délivrent 658 DUT (source)
ACTE IV : le (nouveau) projet de l'UNPIUT et de l'ADIUT. Début Janvier 2011, après deux ans de silence donc, et après avoir pendant ces deux ans, accepté de jouer le jeu de la montre proposé par le ministère, l'UNPIUT et l'ADIUT constatent (il était temps) que les problèmes qui devaient être réglés ne le sont pas, que les arbitrages ministériels promis ont la consistance d'un pet de nonne, et que la promesse d'une gestion au cas par cas est … une promesse.
ACTE IV scène 1 : L'UNPIUT (c'est à dire les représentants du Medef), le 10 décembre 2010, dans un article du Monde, réclament que les IUT qui le souhaitent puissent, je cite "s'affranchir de la tutelle des unviersités". En langue de bois, cela s'appelle "créer des IUT labellisés".
ACTE IV, scène 2 : Moins d'un mois plus tard, c'est au tour de l'ADIUT de monter "officiellement" au créneau. Et de proposer – au nom de l'ADIUT et de l'UNPIUT – un nouveau projet qui consiste en deux points principaux :
- primo : créer une agence nationale de partage du gâteau (répartition des moyens) et de hiérarchisation labellisation des IUT
- deuxio : permettre à chaque IUT de décider s'il veut rester dans le cadre de l'université … ou en sortir !
Nota-bene : l'ensemble des documents permettant de mieux comprende l'ACTE IV sont accessibles sur ce site : https://sites.google.com/site/avenirdesiut/
ACTE V : c'est maintenant que ça se passe (février 2011). L'ADIUT et l'UNPIUT organisent des rencontres régionales pour "présenter et expliquer" leur projet de réforme, qui devra être acté autour du mois de Mai 2011 pour pouvoir être présenté "officiellement" au Ministère. La démarche est la suivante : quelques grandes messes régionales où sont invitées les directeurs d'IUT, les chefs de département et les directeurs des études. A charge pour eux d'engager ensuite un débat contradictoire (sic) dans leurs IUT respectifs et d'en faire remonter les conclusions pour que le projet puisse être bouclé en Mai 2011.
Moralités et enseignements "de surface" :
- tout cela est évidemment d'abord et depuis déjà longtemps une histoire de gros sous.
- faut arrêter de perdre du temps avec les pseudo-projets de l'ADIUT/UNPIUT : "l'Adiut et l'Unpiut ne sont pas habilitées à proposer des réformes d'une telle ampleur et ne peuvent pas d'un coup décider de se transformer en une Agence de labellisation et de moyens sans tenir compte des interlocuteurs ordinaires du ministére que sont les syndicats et les différentes commissions ou conseils. (…) Continuer à prendre au sérieux le projet de l'adiut/unpiut permettra à ces associations de se prévaloir d'une légitimité pour imposer un débat stérile et de poursuivre ainsi objectivement l'éparpillement des IUT. Donc arrêtons de perdre notre temps" (commentaire extrait d'une liste syndicale)
Moralités et enseignements "en profondeur" :
Bon alors ce projet ADIUT/UNPIUT, "un projet dangereux" – et qui mérite donc qu'on s'y oppose – ou "un projet qui restera à l'état de projet" ?? Et ben un peu des deux.
Les trop nombreuses zones de flou et d'imprécision qui entourent ce projet ne contribuent pas à attester de son efficience. Mais.
Mais ce projet contient également, en germe, des éléments et des objectifs que le ministère sera particulièrement enchanté de pouvoir prochainement reprendre à son compte tout en précisant que "hé ho l'idée vient pas de nous, ce sont les IUT qui nous l'ont suggéré". Ces éléments sont les suivants :
- "une agence de labellisation des IUT" => ce qui veut dire qu'il pourra y avoir des IUT labellisés et d'autres pas. Ce qui revient à valider de facto l'idée d'une autonomie de certains IUT et donc, la disparition de certains autres (parce qu'ils n'auront pas les moyens d'être labellisés)
- "créer une structure dotée de la personalité morale qui aura un rôle d'agence de répartition des moyens" => c'est à dire revenir à un fléchage des moyens, ce qui est, pour le ministère comme pour les présidents d'université absolument hors de question. Sauf si. Sauf si ladite agence fonctionne à la manière des très en vogue "fondations", c'est à dire qu'elle repose, théoriquement sur un partenariat mixte entre des acteurs publics (dont pourquoi pas les universités) et des acteurs privés (entreprises), et pratiquement, sur un financement essentiellement privé. Auquel cas ledit secteur privé pourrait enfin réaliser son rêve : dicter aux IUT labellisés ce qui doit être enseigné et comment. Traduisez : "mettre en adéquation les formations avec les besoins des entreprises". Retraduisez : "mettre en place des formations uniquement destinées à satisfaire les besoins ponctuels des entreprises"
- "sur la base de critères d'activité et de performance dans les domaines de la formation et de la recherche". Et voilà. Le sabir managérial validé. Des critères de "performance". Quand je vous disais que le ministère allait être content de la copie rendue par ces bons élèves de l'ADIUT …
Il faut aussi avoir en tête que …
Par ailleurs, ce projet atteste d'une stratégie qui peine à dissimuler son objectif : sacrifier une bonne partie de la flotte pour sauver quelques vaisseaux amiraux.
D'autre part, ce projet occulte totalement une question dont on débat depuis (trop) longtemps dans les IUT : celle d'une licence technologique qui permettrait enfin d'aligner le DUT (bac +2) sur les critères européens du LMD (premier cycle en trois ans)
Enfin – et c'est à mon avis le seul vrai problème de tout ce schmilblick – que ce projet passe ou qu'il ne passe pas, sous cette forme ou sous une autre, l'existence d'un cadre national pour le diplôme du DUT ne peut plus aujourd'hui être garantie : tous les IUT, je dis bien TOUS les IUT sont obligés de rogner chaque année davantage sur le volume horaire de formation nécessaire à l'obtention du diplôme. Encore un ou deux ans à ce rythme là et l'idée même d'un diplôme national apparaîtra totalement irréaliste et insoutenable (= ne pouvant pas être soutenue).
DONC ? Le projet de l'ADIUT/UNPIUT n'est pas dangereux en lui-même. Trop flou et inconséquent pour cela. Et pas au bon niveau de décision/proposition. Il est revanche catastrophique pour deux raisons : d'abord parce qu'il renonce à traiter les deux seuls vrais problèmes méritant de l'être au niveau décisionnel de l'UNPIUT et de l'ADIUT (cadrage national du diplôme et ajustement sur le LMD européen), ensuite et surtout parce qu'il valide (ou fournit en tout cas les arguments pour valider) toute la stratégie ministérielle qui ne cache pas son ambition d'un enseignement supérieur à deux vitesses : quelques rares pôles d'excellence concentrant l'essentiel des moyens, et pour les autres, des universités sur le modèle de "collèges" américains, c'est à dire à Bac +3, sans réelle activité de recherche et avec un enseignement calibré sur les cahiers de charges définis par les entreprises du bassin d'emploi concerné. Que le projet de l'ADIUT/UNPIUT ne donne aucune piste sérieuse sur ce que pourrait ou devrait être la place des IUT dans un tel cadre n'est pas le moindre de ses défauts.
Post-Scriptum : si vous êtes parvenus au bout de la lecture de ce billet, c'est que l'avenir des IUT vous intéresse. Si en plus vous bossez dans un IUT, à vous de décider maintenant s'il vaut la peine d'aller renseigner ce petit sondage Doodle 😉
Bonjour et merci pour ces précisions (et l’humour qui les agrémente).
J’avais pour ma part prévu cela lors du passage en force de la LRU, mais je suis plus « extrémiste » que vous… Je ne pense pas qu’il va y avoir des iut « vaisseaux amiraux » et d’autres voués à disparaître… Je pense qu’il va y avoir des IUT privés et d’autres complètements disparus… Ce n’est qu’une affaire de temps… Cordialement.
Le CA de l’IUT de Toulon du 24 mai 2011, a refusé à une large majorité, de voter les propositions de l’ADIUT/UNPIUT.