Episode 1 : "DSK, le bruit et la fureur documentaire".
Episode 2 : "L'immédiat des médias".
Episode 3 : Le poids des mots.
Ce dernier (?) billet d'une trilogie documentaire de l'affaire DSK va s'intéresser à l'impact de ladite affaire sur les comportements et les résultats des moteurs de recherche avec, à l'horizon, un classique effet feedback à l'issu duquel ce ne sont plus les "faits" (au sens journalistique) ou même la relation des faits qui fera sens mais plutôt l'empreinte documentaire a posteriori qui permettra de requalifier les faits, qui conditionnera le destinée – tout au moins documentaire – de l'homme impliqué dans l'affaire.
La suggestion qui condamne.
La fonction Google Suggest, combinée à Google Instant Search, toutes deux déjà longuement analysées sur ce blog (là et là) est naturellement celle qui fait le plus écho à une actualité à son climax documentaire. Comme le montreront les captures d'écran ci-après, les suggestions de mots-clés en cours de frappe diffèrent selon les régimes linguistiques et documentaires auxquels elles appartiennent. La France – parce qu'il était le candidat emblématique de la prochaine présidentielle – et les Etats-Unis – parce qu'il était le directeur du FMI – sont les principaux pourvoyeurs de suggestions liées à l'affaire, suggestions qui fonctionnent comme autant de "connotations" ; alors que l'espagne et l'Allemagne ne renvoient que peu de suggestions faisant référence à l'actualité récente.
<Petite précision méthodologique> J'ai testé toute une série de requêtes combinées à partir du même ensemble de mots-clés : "DSK", "affaire", "Dominique Strauss-Kahn", "FMI", "IMF". L'expression "DSK" n'est pas satisfaisante car, pour la partie anglophone du moteur Google elle est également le nom de différentes sociétés. Les combinaisons de mots-clés "affaire DSK" ou "affaire Dominique Strauss-Kahn" donnent des suggestions parfaitement semblables.) </Petite précision méthodologique>
DANS LA SPHÈRE DOCUMENTAIRE FRANCOPHONE
Capture d'écran de la requête "DSK" sur Google.fr (réalisée le 20 mai à 10h, résultats identiques le 22 mai à 20h)
Capture d'écran de la requête "Dominique Strauss-Kahn" sur Google.fr (réalisée le 20 mai à 10h, résultats identiques le 22 mai à 20h)
Dans la plus haute sphère de résonance documentaire de l'affaire, c'est à dire la sphère française, les requêtes "DSK" et "Dominique Strauss-Kahn" proposent des suggestions de mots-clés légèrement différentes :
- DSK reste une requête sémantiquement plus large, dont les 3 premières suggestions sont en lien direct avec l'affaire en cours ("alibi", "menotté", "SIDA"), et dont les 3 suivantes "Vrai-faux", "2012", "juif" marquent un ancrage documentaire davantage diachronique.
Sur les 3 premières suggestions, 2 sont factuelles (alibi, menotté), et la troisième est l'écho d'une rumeur (démentie aujourd'hui) selon laquelle la femme de chambre aurait été porteuse du virus du Sida.
La suggestion "vrai-faux" renvoie au bon positionnement d'un site "non-officiel" (http://www.dskvraifaux.fr/), créé en février 2011, et soutenant la candidature de DSK aux prochaines présidentielles.
La suggestion "2012" renvoie évidemment à l'échéance présidentielle, enfin la suggestion "Juif" est un marqueur rattaché à nombre d'hommes politiques français, soit en référence à une authentique judéité, soit – hélas – dans le cadre d'injures antisémites (pour plus d'explications, voir ce billet)
- la hiérarchie des suggestions sur la requête "Dominique Strauss-Kahn", cette fois totalement désambiguïsée, renvoie à un ordre documentaire sensiblement différent : "Biographie, Viol, Anne Sinclair, Juif, Wiki, 2012, adultère, Wikipédia, et les femmes"
Les enjeux de l'image ("menotté") et de la rumeur la plus relayée ("Sida") cèdent ici la place à une gradation inversée du débat dont toutes les rédactions (francophones et anglophones) font actuellement des gorges chaudes : de "Dominique Strauss-Kahn et les femmes" en 9ème et dernière suggestion, on remonte à la notion "d'adultère" (7ème suggestion) pour aboutir enfin au "viol". La place de ce vocable, entre la "biographie" de l'homme d'état et l'identité de son épouse "Anne Sinclair" est particulièrement lourde.
De "DSK", acronyme média du politique, à "Dominique Strauss-Kahn", identité de l'homme et du citoyen, le "top 6" des seuls marqueurs non-partagés (c'est à dire uniquement présents sur l'une des 2 requêtes) est donc : "Alibi, "Viol", "menotté", "Sida", "Anne Sinclair" et "adultère". Une caractérisation qui fonctionne comme une "mise à l'index" documentaire, laquelle, dans le temps de l'événement peut apparaître comme factuelle, mais qui, dans l'après-coup du battage médiatique, risque d'être longtemps lourde de conséquence, et ce bien au-delà de la seule sphère d'appartenance directe du sujet (c'est à dire la scène politique française, et ses spectateurs/commentateurs naturellement au courant).
DANS LA SPHÈRE DOCUMENTAIRE ANGLO-SAXONNE, les suggestions apparaissent pour l'instant moins connotées.
Capture d'écran de la requête "Dominique Strauss-Kahn" sur Google.com (réalisée le 20 mai à 10h)
Capture d'écran de la requête "Dominique Strauss-Kahn" sur Google.co.uk (réalisée le 20 mai à 10h)
L'élément le plus frappant de la différence des régimes documentaires est l'apparition du ma femme de chambre ("Maid"), totalement absente des suggestions francophones, sauf à considérer les suggestions de "viol" "d'adultère" et de "Sida" comme autant de variations métonymiques.On ne peut naturellement manquer d'y voir l'écho limpide de l'à-côté le plus saillant de l'affaire, à savoir l'occultation troublante, par la majorité des commentateurs journalistico-politiques français, de la possibilité qu'il existe une autre victime que DSK dans cette affaire.
L'autre enseignement qui vient contre-balancer l'explicitation de "la femme de chambre", c'est, paradoxalement, l'euphémisation du délit supposément commis : nulle trace en effet de "viol" voir même "d'adultère" dans les suggestions anglo-saxonnes au profit du simple "scandal" ; et même s'il serait un peu rapide d'y voir l'expression d'un puritanisme, on ne peut que noter l'étrangeté de cette absence alors même qu'une certaine partie de la presse anglaise et américaine ont été les plus vindicatives dans le traitement journalistique de l'affaire.
DANS D'AUTRES SPHÈRES DOCUMENTAIRES.
Allemagne.
Capture d'écran de la requête "Dominique Strauss-Kahn" sur Google.de (réalisée le 20 mai à 10h)
Espagne.
Capture d'écran de la requête "Dominique Strauss-Kahn" sur Google.es (réalisée le 20 mai à 10h)
Les suggestions de Google Allemagne restent pour l'instant totalement imperméables à l'affaire, preuve s'il en était besoin, que celle-ci n'agite pas l'entièreté de la planète comme se plaisent à le répéter les médias français.
L'espagne voit de son côté l'apparition en 7ème et dernière position de la femme de chambre ("Maid"), apparition timide donc, tant la connotation hispanique spécifiquement liée à Dominique Strauss-Kahn se joue sur un autre terrain : celui de la dette espagnole et des mesures imposées par le directeur du FMI à la génération perdue ("generacion perdida") actuellement mobilisée.
Chronique d'une documentation annoncée.
A la lecture des suggestions ainsi relevées, on est frappé – sans pour autant verser dans la psychanalyse de bazar – par l'injonction de réel du principal accusé, se confiant le 28 avril en ces termes à un journaliste de Libération :
"Très déterminé, il évoque la longue – trop longue à son goût – campagne à venir et les principales difficultés à surmonter pour lui. Il en voit trois, dans cet ordre : «Le fric, les femmes et ma judéité.» Mais, au moment de développer, il commence par les femmes. (…)"
L'empreinte documentaire de DSK, n'est que le révélateur – co-construit par son principal protagoniste et l'ensemble des commentateurs – d'un story-telling programmatique : la judéité lui fut de tout temps attachée – dans les moteurs de recherche -, le "fric" (et l'épisode de la porsche) également mais aujourd'hui masqué par le dernier volet de "sa" trilogie documentaire : les femmes. La sienne ("Anne Sinclair"), les autres ("Dominique Strauss-Kahn et les femmes"), et celle qui n'est pas sienne ("maid") ; les femmes, de la connivence séductrice à l'indicible qui serait advenu, celui du "viol".
<Nota-bene> Dans ce grand branlebas de combat documentaire, il faut noter que les suggestions liées aux protagonistes "secondaires" de l'affaire, n'ont pour l'instant pas été impactés, mais ce pour des raisons diverses : la chaîne "Sofitel" jouit d'un référencement dont l'ancienneté lui permet de n'être pas inquiétée par d'éventuels effets colatéraux ; les suggestions liées à Anne Sinclair n'ont elles non plus pas bougées, restant marquées par les 5 suggestions suivantes "blog, fortune, biographie, nu, divorce") </Nota-Bene>
De l'image en retard à l'image qui libère ?
Google images disposant également de la recherche instantanée (instant search) et de l'autocomplétion (suggestion en cours de frappe – Google Suggest), la première différence notable entre le régime documentaire du texte et celui de l'image est que leurs sémantiques suggérées sont radicalement différentes. L'image suggérée est celle de l'épisode de la Porsche, image qui donna lieu à d'abondantes et redondantes reprises, image objectivement sur-documentée dans l'héxagone. Illustration.
Capture d'écran de la requête "DSK" sur images.google.fr (réalisée le 22 mai à 20h)
Capture d'écran de la requête "Dominique Strauss-Kahn" sur images.google.Fr (réalisée le 22 mai à 20h)
A l'unisson, les suggestions sémantiques anglo-saxonnes sur la base Google Images convergent sur la Porsche, même si elles sont plus bruitées par différentes homonymies :
Capture d'écran de la requête "DSK" sur images.google.com (réalisée le 22 mai à 20h)
Mais ce n'est plus du tout le cas lorsque l'on remplace, sur le même Google images anglo-saxon, la requête "DSK" par "Dominique Strauss-Kahn", la désambiguïsation ôtant du même coup tout effet d'actualité aux mots-clés suggérés.
Capture d'écran de la requête "Dominique Strauss-Kahn" sur images.google.com (réalisée le 22 mai à 20h)
L'absence de preuve par l'image.
Voilà donc pour les pages d'appel de la base "images" du moteur Google. Mais au moment de consulter les pages de résultats, j'avoue que je m'attendais à voir déferler le torrent des unes accablantes, des images du procès, de l'homme menotté, en tenue de détenu, de l'homme abattu, mal rasé, hagard, des images d'un inculpé. Pourtant, voici ce qu'il advint.
Capture d'écran de la requête "DSK" sur images.google.fr (réalisée le 20 mai à 10h)
Capture d'écran de la requête "Dominique Strauss-Kahn" sur images.google.fr (réalisée le 20 mai à 10h)
Capture d'écran de la requête "DSK" sur images.google.com (réalisée le 20 mai à 10h)
Capture d'écran de la requête "Dominique Strauss-Kahn" sur images.google.com (réalisée le 20 mai à 10h)
Pour trouver les permières images de l'inculpé Dominique Strauss-Kahn, il faudra attendre la page 9 de la version française de Google Images, et les pages 6 et 7 de la version anglophone.
Capture d'écran des pages de résultats sur la requête "Dominique Strauss-Kahn" sur images.google.fr (réalisée le 22 mai à 20h)
Capture d'écran des pages de résultats sur la requête "Dominique Strauss-Kahn" sur images.google.com (réalisée le 22 mai à 20h)
Alors qu'en France comme en Angleterre et aux Etats-Unis les premières pages de résultats du moteur Google sont très largement occupées par des articles de presse et des sites d'actualité consacrés à l'affaire, comment expliquer que les résultats "images" rendent à ce point invisible les illustrations de la même affaire ?
Capture d'écran de la 1ère page de résultats de Google.Fr sur la requête "Dominique Strauss-Kahn" (réalisée le 22 mai à 20h)
Cela s'explique principalement par des raisons techniques : tout d'abord le rafraîchissement de l'index des bases images du moteur Google n'est pas aussi rapide et régulier que celui des pages "actus", désormais brassées avec les résultats "web" depuis l'invention de la recherche dite universelle. Ensuite, la caractérisation sémantique des images, leur indexation par des tiers (internautes, commentateurs, journalistes) est également plus lente et moins "automatique" que celle des textes eux-mêmes.
Mais si l'explication technique prévaut, elle ne peut cependant permettre de faire l'économie d'une autre analyse, plus "culturelle" : dans cette affaire, le rôle de l'image (au sens de représentation et au sens de réputation) est primordial. Les médias principalement indexés par Google, c'est à dire la presse écrite, a fait le choix (pour des raisons sur lesquelles j'ai mon avis mais qui sortiraient un peu du cadre de ce billet), la presse écrite a fait majoritairement le choix de traiter, en guise d'illustrations, d'images de Dominique Strauss-Kahn empruntées à sa vie d'avant l'affaire actuelle, images qui le montrent certes en état de doute ou d'embarras, mais images qui ne sont pas majoritairement issues de la documentation factuelle associée à l'affaire. Il n'est dès lors pas outre-mesure surprenant d'observer que là où le texte accable et raconte l'histoire d'un accusé, d'un homme mis à la marge, d'un marginal, là où le texte vient précisément documenter un déficit d'image, l'image, les images, ses images, lui accordent un sursis en nous renvoyant, a contrario autant qu'à contre-courant, des portraits plutôt que des images, des icônes.
CONCLUSION. Impossible de conclure cette trilogie documentaire sans repasser par la case image, sans interroger une dernière fois la sémantique cachée. Dans le monde de la finance, des agences de notation, du Fonds Monétaire international et de la presse économique, on n'a rien trouvé de mieux pour désigner les 4 pays européens dont l'endettement serait le plus important que l'acronyme PIGS. PIGS pour Portugal, Ireland, Greece et Spain. La couverture du Time, daté du 30 mai 2011 a également choisi le cochon en guise d'illustration, pour de toutes autres raisons.
Paraît que tout est bon, dans le cochon … cochon qui s'en dédit ? Ou qui s'enferre dans le déni ?
<Mise à jour du 23 mai> CNN rend public le mail envoyé par DSK à ses collaborateurs du FMI (info reprise sur le site du Monde.fr). Je l'archive ici au format Pdf : Téléchargement 23mai-CNN-mail-IMF
Soit un nouvel élément à verser au dossier documentaire déjà évoqué dans le second billet sur cette affaire et jusqu'ici constitué uniquement du courier de démission de DSK au FMI, de la liste des 7 chefs d'inculpation et de la fiche d'incarcération du détenu DSK. Soit en tout et pour tout pendant ses 8 derniers jours, 4 "documents" établis, dont 2 émanent de la sphère judiciaire et racontent le parcours d'un inculpé, et 2 émanent de la sphère "privée" racontant le parcours d'un homme inculpé qui nie les faits et défend son innocence. Du strict point de vue de la documentation de l'affaire ce Mardi 23 mai 2011 à 14h : égalité, balle au centre.</Mise à jour>
Merci pour cet article très intéressant dans l’idée et l’utilisation des outils google pour suivre le traitement d’une actualité.
J’ai une petite remarque/question de méthodologie. Je remarque qu’entre le screenshot google.co.uk et google.com vous étiez tour-à-tour logged in puis logged out. Or ceci me semble-t-il a pour effet de vous servir du contenu spécifique eu égard à votre historique de requête, mail, etc. je m’étonne donc de voir que sur pas mal de screenshot vous avez fait la recherche en étant connecté, altérant du coup vos propres résultats par vos requêtes précédentes puisque sur le même sujet ! J’ai pour habitude dans ces cas là de systématiquement videz le cache, les cookies et de délogger (pour faire des études j’entends). Quel est votre avis sur la question ?
Bonjour Fabien. Très judicieuse remarque. En fait j’ai à chaque fois testé en étant loggué et déloggué. Les suggestions remontées sont les mêmes, donc pas d’impact direct (on voit parfois apparaître dans les suggestions, lorsque l’on est loggué, des suggestions provenant de notre historique mais elles sont indiquées comme telles et il est alors facile de les supprimer). En revanche (mais mon billet ne portait pas là-dessus), les résultats changent (mais assez peu significativement) selon que l’on est loggué ou déloggué.
Donc oui ls résultats sont altérés (selon que l’on est loggué ou non) mais mon billet ne portait que sur les suggestions (qui ne sont pas altérées)
Bonjour,
Si la réputation de Sofitel et Sofitel New York n’a pas été affectée par la fonction « Google Suggest », le groupe a choisi de modifier le titre du site Sofitel.
Ce titre est ainsi devenu « Sofitel Hotel : Luxury Hotels Around the World » au lieu de « Sofitel Hotels: luxury with a French flair. »
Vous trouvez d’ailleurs plus d’informations sur la façon dont notre agence a géré la crise sur notre site :
http://www.roxane-company.com/2011/05/30/affaire-dsk-gestion-de-crise-sofitel/