Les chercheurs sont des loosers.

J'appartiens à un laboratoire de recherche en sciences humaines et sociales de l'université de Nantes. Ledit laboratoire de recherche s'est fait littéralement bananer par l'AERES. J'ai lu le rapport de l'AERES qui a dézingué mon labo de recherche. Cela fait longtemps que je voulais vous en parler. Je pourrai vous en parler des heures de ce rapport, tant il est comme le cochon : tout y est bon.  A côté de ce rapport, Terminator est un adepte du tao et de la non-violence. Mais je ne vais vous parler que du nectar productiviste, de la quintessence évaluative de ce rapport. Dans ce rapport, j'ai notamment lu ceci :

"Ces 9 enseignants-chercheurs ont produit, durant le quadriennal, 15 articles dans des revues reconnues par l’AERES, soit une moyenne de 0,41 article par enseignants-chercheurs et par an, dont 1 seulement dans des supports à très bonne visibilité internationale (soit 0.03 art par an et par enseignant-chercheur). Cette production d’articles scientifiques dans des revues reconnues est quantitativement insuffisante (en dessous du minimum requis), et elle reste à une très grande majorité cantonnée dans des supports à faible visibilité."

Ah ben oui, effectivement c'est pas brillant. Je répète : "0,41 article par enseignants-chercheurs et par an". Feignasses. "0.03 art par an et par enseignant-chercheur dans des supports à très bonne visibilité internationale." Lopettes. Ah oui, pardon, je ne vous ai pas donné la citation de l'AERES en entier.  La voici (je grasseye) : 

"Cette production d’articles scientifiques dans des revues reconnues est quantitativement insuffisante (en dessous du minimum requis), et elle reste à une très grande majorité cantonnée dans des supports à faible visibilité. A ceci, s’ajoutent 6 autres articles, 24 chapitres d’ouvrages, 10 ouvrages et 7 directions d’ouvrages (tout en langue française)."

9 enseignants chercheurs. 24 chapitres d'ouvrage. 10 ouvrages. 7 directions d'ouvrage. Donc en gros pendant qu'ils n'étaient pas occuper à buller sur leur 0,03 centième d'article par an dans des supports à très bonne visibilité, chaque enseignant chercheur chacune des improductives bourriques neurasthéniques de mon labo de recherche a – quand même – trouvé le temps d'écrire un bouquin, 2,5 chapitres d'ouvrages et d'assurer une direction d'ouvrage. En français. <Parenthèse> Tout en faisant et en préparant ses cours, tout en corrigeant les tombereaux de copies idoines, tout en montant des projets de recherche, tout en faisant les emplois du temps que les secrétariats administratifs n'ont plus le temps de faire, bref en faisant tout ce que Luc Ferry ne fait pas (et qui suffit à définir, en creux, toute la "richesse" de notre métier …). </Parenthèse>

Hou les loosers. De toute façon ça compte pas. Lalalalère. "0.03 art par an et par enseignant-chercheur dans des supports à très bonne visibilité internationale." Et c'est tout. Au secours.

Et puis aussi.

Champagne. J'apprends que notre nouveau et fringuant ministre de l'enseignement supérieur et de la recherche sur le cancer de l'assistanat, part distribuer les promesses de millions d'euros aux heureux lauréats des Idex (initiatives d'excellence), c'est à dire à 3 campus sur les 85 que compte l'hexagone.  Champagne.

Pas champagne. Dans mon IUT à La Roche sur Yon, installé avec le CUD (centre universitaire départemental) sur le même campus, se tient chaque fin d'année un repas qui réunit les personnels (de l'IUT et du CUD) pour fêter la fin de l'année. J'apprends que cette année le directeur de l'IUT a annulé la participation des personnels de l'IUT au dit repas. Pour cause de finances endémiquement déficitaires dudit IUT. C'est con. J'aurai bien invité Laurent Wauquiez et le président de l'AERES à déjeuner. Deux ou trois choses à leur dire.

P.S. une camarade charitable me fait remarquer qu'une faute d'orthographe s'est glissée dans le titre de ce billet ("losers" et non "loosers"). Soorry.

12 commentaires pour “Les chercheurs sont des loosers.

  1. Erreurs factuelles, langue de bois, rapports qu’on met 3 mois à rédiger et qu’ils lisent en diagonale dans le train en venant. Jugements péremptoires non argumentés, exigence de conformité à des normes qui n’ont pas été convenues au début de quadriennal (chapitres de livres, bon exemple) – et le tout est pris comme parole divine. Ce qui super fort, dans les rapports AERES, c’est que souvent, les problèmes de sont pas suffisamment précisément pointés du doigt, ce qui rend difficile la contestation et permet au caporal local de choisir son interprétation et sa victime, selon qui il avait dans le colimateur a priori. De toute façon, on n’a rien à faire du texte, puisque seule compte la note globale, les statistiques qui, même si elles s’appuient sur les choses fausses ou discutables, font ramper notre hiérarchie.
    Mais en effet, quand on doit assumer un offre de formation pléthorique, ça prend du temps…

  2. Si ça peut te rassurer, ce n’est toujours pas le nombre des publis qui fait les projets d’équipe même quand l’AERES pointe une direction d’équipe incapable de rendre un rapport où il y a une feuille de style et une numérotation des paragraphes communes (un doctorant fait moins que ça ils (les chefs de l’équipe) le détruise pour manque de scientificité en comité de sélection, ailleurs). Mieux les suspects sont ceux qui ont dénoncé une politique stérilisante et ceux appelé arbitrairement par la direction pour redresser la barre sont les dignitaires non publiants de l’ancien régime. Apôtres de la castration de l’altérité. Mandarinat still alive!
    Je ne fais pas l’apologie de la notation des publis, elle me hérisse, mais je suis comme une cocotte minute sous pression quand je vois les vrais faux grévistes prendre le contrôle de l’appareil à la demande d’une présidence qui ne jure qu’avec des fantasmes de « labex », pour protéger leurs fesses.
    Adorables les lendemains d’AERES où les collègues « résistants » se mettent à ne lire que les appels à com en fonction de leur indice factor (ou du solar indice des plages voisines du colloques).
    Vive les rebelles qui attendent le retour du messie franco-new-yorkais.

  3. faut quand même pas oublier que ces comités de visites, ce sont d’autres universitaires, cad enseignants-chercheurs, qui sont à leur tour soumis aux mêmes critères fumeux – la question est donc plutôt de savoir pourquoi on accepte de participer à ce cirque
    En Allemagne, où la mode est au ranking et aussi aux labels d’excellence une chercheuse a justement posé la question dans ces termes : Warum machen alle mit? Pourquoi tous y participent?

  4. « 6 autres articles, 24 chapitres d’ouvrages, 10 ouvrages et 7 directions d’ouvrages (tout en langue française). » : Quoi c’est tout ? 😉

  5. merci pour cet article rafraichissant, et représentatif. ce que je lis là est le quotidien du labo de sciences sociales que je fréquente. je suis moi même PAST (associée, donc), et chercheuse associée (double associée). ces statuts me confèrent une fragilité une précarité, alors que profs comme chercheurs ont vraiment besoin de bras. quant à l’AERES, l’un des signataires du rapport pour notre labo était autrefois un timide doctorant mal ds sa peau. il a trouvé sa voie

  6. Pour 1000 et une raisons je connais très bien la situation nantaise. J’ai simplement envie de dire : A QUOI BON ???
    Dès le 01/09/11 les nantais (à l’instar de tous les autres chercheurs de France dont les labos n’ont pas eu l’agrément) à nouveau vont se ronger les ongles pour savoir comment récupérer une mise qui leur a échappé. Et tous nous referons la course à l’échalote, craintifs à l’idée d’échouer encore dans l’obtention du Sesame
    Et pour éviter cela dans tous les labos bannis en question continueront les pieds du voisin écrasés, les petits meurtres entre amis pour avoir (peut-être) quelque noisettes qui permettront de tenir jusqu’à la saison prochaine.
    Quand les chercheurs auront une lecture politique et sociale de leur agir comme chercheurs, et quand, assumant le fait d’être des éternels tondus ils auront dans la durée une action collective, difficile et solidaire – en particulier au regard des plus faibles dans les réseaux -, alors, et alors seulement ils se rendront compte qu’ils lèchent les bottes de médiocres qu’ils ont craint sans raison. Et qu’une redistribution des cartes est possible et nécessaire. Ce n’est pas demain la veille.

  7. Si cela peut vous consoler, ici le rapport Aeres est très bon, mais cela ne change rien au classement du ministère…
    Si certains participent au sketch (« si c’est pas moi, ce sera un autre! »), c’est qu’ils y trouvent leur compte : carrière, échange de « bons procédés »…

  8. Salut
    Lors de mon lointain passage en votre ville, je crois me souvenir que les étudiant-e-s qui ont « taggé-e-s » l’i.u.t de la roche sur yon (courtaisière), réclamaient une direction collégiale et faisaient une vive critique de ce genre de rapport d’évaluation.
    Si j’ai bonne mémoire, étaient inscrits sur vos murs : « autogestion » et « grève générale ».
    A moins bien sur que la présence d’un rond-point et d’un lycée n’en fassent des messages de prosélytisme politique.
    Cordialement.

  9. Vous feriez mieux d’écrire des articles dans des supports à forte visibilité plutôt que de perdre votre temps à écrire des articles pour ce blog ! Sans compter le temps nécessaire pour s’occuper des commentaires !
    Je rigole 😉
    Quoi que ?
    Un président de commission spécialisée de l’organisme de recherche publique dans lequel je travaille disait, sans rire, que lorsque l’on est un vrai et bon chercheur, on consacre chacun de ses instants à sa recherche. Ceux qui ne font pas ça, sont des médiocres.
    Et là, je rigole plus, je suis une médiocre…

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