Mémoires numériques

A lire dans le journal La Croix de ce jour, une interview croisée de votre serviteur sur le sujet du numérique et de la mémoire.  Pour archivage personnel, je reproduis ici le passage me concernant :

« Le rapport à la mémoire individuelle qu’inaugure le numérique est préoccupant. Les internautes mettent en ligne au quotidien leurs photos sur Flickr, leurs vidéos sur Dailymotion et leurs documents de travail sur Google Documents. La mémoire individuelle quitte donc les disques durs des ordinateurs pour être confiée à des acteurs commerciaux soumis à leur propre logique marchande.
Or, nul ne sait comment peuvent évoluer les conditions générales d’utilisation de ces sites, ni au profit de qui et pas davantage sur quel modèle économique. La privatisation de la mémoire individuelle sur Internet ne doit pas aboutir à une privation.
Cela pose deux problèmes principaux. D’abord, on contrôle de moins en moins le processus d’engrammation, c’est-à-dire le choix du support de mise en mémoire. Ensuite, on ne maîtrise plus le processus d’activation, de rappel : ce sont les algorithmes de Facebook qui nous “disent” quand se souvenir de l’anniversaire de nos amis.
Enfin, là où l’archivage classique travaillait sur des unités mémorielles assez denses, le numérique travaille à l’échelle de l’atome : pour les publications sur les réseaux sociaux comme Facebook ou Twitter, les possibilités de sauvegarde sont très fines, avec les messages de 140 signes de Twitter, par exemple. C’est un retour à l’archive telle que la définissait Michel Foucault, c’est-à-dire “la masse des choses dites dans une culture, conservées, valorisées, réutilisées, répétées et transformées. Bref toute cette masse verbale qui a été fabriquée par les hommes, investie dans leurs techniques et leurs institutions, et qui est tissée avec leur existence et leur histoire (1)”. C’est la raison pour laquelle la Bibliothèque du Congrès, aux États-Unis, a pris la décision d’archiver l’intégralité des messages publiés sur Twitter. D’autres bibliothèques, comme la Bibliothèque nationale de France, ont également mis en œuvre un dépôt légal pour les publications sur Internet. »

(1) Sur l’archéologie des sciences. Réponse au Cercle d’épistémologie in Dits et écrits, tome 1, Gallimard.

 

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