On a longtemps cru que le Pagerank …

Beaucoup réfléchissent, s'étonnent, s'alarment, s'inquiètent ou tout simplement se demandent ce que sera l'avenir des mesures d'influence (dont le Klout Score est devenu l'emblème).

La plupart de ces analyses sont dans l'erreur lorsqu'elles indiquent que ces métriques seraient "nouvelles", n'auraient émergées qu'avec les réseaux sociaux, ou seraient en tout cas postérieures aux mesures d'autorité et aux classements de pages sur le web. Qu'elles correspondraient à un "nouveau temps" de l'organisation de l'information sur le réseau.

En déplacement hier à la BnF pour une conférence, j'y expliquais brièvement ceci : 

"On a longtemps cru que le "PageRank" permettait de classer les pages. C’est une erreur. Il ne classe pas les pages. Il classe les gens. Il classe ceux qui publient. Il désigne le rang qu’occupe un individu qui publie. Le PageRank n'est d'ailleurs pas la traduction de "classement de pages" mais celle de "Classement de (Larry) Page", son inventeur.

Et je développai ensuite une autre thèse qui m'est chère. "Un classement d'autant plus incontournable que l’unité de publication sur le web c’est moi. D’après moi." (comme aurait dit Flaubert à propos de Madame Bovary)."

La publication est, sur le web comme ailleurs, toujours liée à
l'expression – et donc à la mesure possible – d'une autorité, laquelle
repose elle-même en partie (ou dans le pire des cas en totalité) sur la capacité à
toucher une – large – audience.

Ajoutons à cela que les mêmes analyses sus-citées font fréquemment la confusion entre la mesure de phénomènes objectivables "d'audience" et celle de phénomènes par contre entièrement subjectivés "d'influence", et nous aurons alors compris que la question de l'avenir et de l'importance des mesures d'influence est une non-question. Qu'elle n'appelle pas de réponse parce qu'elle ne se pose tout simplement pas.

Les "grands" médias l'ont bien compris depuis longtemps qui se contentent déjà assez douloureusement de tenter de mettre en place des mesures d'audience suffisamment fiables et adaptées aux stratégies de publication caractéristiques du web.

Bref, il n'y a pas de mesure d'influence possible sur le web. Comme il n'y a pas de mesure d'influence possible dans le champ des publications scientifiques (bibliométrie). Compter et classer des pages n'a d'ailleurs pas davantage de sens. Einstein est loin d'être le scientifique qui a quantitativement le plus publié ou le plus écrit. Il n'est pourtant pas le moins influent dans sa catégorie. On peut inférer l'influence (inférence abductive) mais pas la mesurer.

La seule mesure possible est celle de l'activité, du rythme de publication, que l'on peut corréler à la mesure de l'activité, du rythme des reprises ou des mentions (liens) de cette activité pour bâtir de nouveaux métriques, métriques qui n'ont pas plus à voir avec l'influence que les premiers. Le fait que l'on dispose d'indicateurs, ou plus exactement d'indices, de traces reconstruites a posteriori de phénomènes d'influence, n'implique pas que l'on soit en mesure d'en proposer une mesure.

La bibliométrie inventée par Garfield en 1963 a toujours permis de mesurer les textes. Rien que les textes. Il n'est que dans ses abus ou dans des usages détournés et pervertis que certains s'en serviront, 25 ans plus tard, pour mesurer (et mettre en concurrence) les laboratoires et les Hommes. <incise> Les premiers cas avérés de détournement systématique et volontaire des indicateurs bibliométriques explosent au début des années 90, précisément à l'époque où la recherche conditionne l'essentiel de l'obtention des financements à des indicateurs chiffrés "d'excellence" </incise>.

Le PageRank a été inventé en 1998. Nous avons juste eu besoin de 14 ans et de la fragmentation continue des pratiques et des usages de publication, pour comprendre que dans son ADN même, il était avant tout un classement des hommes et non un classement des pages.

4 commentaires pour “On a longtemps cru que le Pagerank …

  1. Bonjour,
    Merci pour ce post intéressant.
    D’accord avec vous sur la confusion entre audience / influence et sur le fait qu’il n’est pas possible de mesurer l’influence avec des outils comme klout ou le pr. (cf http://communicationsetinternet.wordpress.com/2011/10/03/les-influbranleurs-pour-faire-desenfler-leurs-chevilles-retirez-le-klout/ )
    Par contre, je ne comprends pas trop votre raisonnement sur le pagerank qui classe des personnes.
    A priori, je dirais que votre raisonnement fonctionne pour des blogs, mais peut-être moins pour les sites institutionnels / e-commerce qui sont gérés par des webmasters / éditeurs qui ne sont qu’au service d’une organisation et d’objectifs divers.
    Sylvain

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