Jamais nous n’avons été aussi discrets que sous la NSA

Je viens de regarder en ligne un diaporama assez marrant intitulé : "Cruel mais hilarant : 15 notifications imaginaires que vous pourriez recevoir de vos amis sur Facebook."

Vous allez le visionner et vous revenez.

Ayé ? Z'êtes revenus ? Bon. Et maintenant retournez visionner le diaporama mais en changeant légèrement la focale : demandez-vous, sur ces 15 notifications, combien de ces informations Facebook a réellement et dès maintenant la possibilité de connaître et de vérifier.

Fbknows

J'ai fait le test. Sur les 15 j'en ai compté … 10, reproduites en gras ci-après pour les informations dont Facebook dispose déjà, et en italique pour celles qu'il pourrait très facilement "extraire" de sa base de donnée.

  1. Vous pourriez bloquer temporairement vos amies enceintes pour qu'elles n'envahissent pas votre fil d'actualité
  2. Vous connaitriez les véritables motifs de ceux qui reviennent soudainement vous parler
  3. Vous vous apercevriez à quel point vous manquez à votre ex-petit ami
  4. Vous connaîtriez tous les potins des fêtes auxquelles vous n'êtes pas allé
  5. Vous seriez informé des nombreux dangers qui gravitent autour d'une nouvelle relation
  6. Vous sauriez enfin à qui sont destinés les statuts mystérieux
  7. Vous éviteriez de perdre votre temps avec un amoureux indécis
  8. Vous verriez combien de fois vos amis vous embêtent avec des applications inutiles
  9. Vous ne seriez plus dupé par des photographies retouchées
  10. Vous connaitriez vos amis qui se sont véritablement souvenus de votre anniversaire
  11. Vous découvririez pourquoi vos amis vous aiment… ou pas
  12. Vous sauriez parfaitement pourquoi on vous désire en ami
  13. Et vous sauriez enfin pourquoi certains de vos amis vont ont bloqué
  14. Vous réaliseriez que malgré les disputes, les gens qui vous sont chers pensent à vous
  15. Vous réaliseriez que vos amis bling bling ont à peine assez d'argent pour briller sur les réseaux sociaux

Et notez bien que les 5 informations restantes sont loin d'être hors de portée technologique ou algorithmique. La question n'est pas de savoir s'il fait ou s'il fera ou non usage de ces informations (il le fait et continuera de le faire), la question n'est pas de savoir "quand" il le fait ou le fera (dès que possible), la question n'est pas de savoir si nous avons le choix (nous ne l'avons pas), la question est de savoir si nous sommes / serons au courant et si nous le tolèrerons socialement et collectivement.

Socio-technique.

La question que pose la #privacy, les #BigData, les polémiques autour de la surveillance de masse excercée – notamment – par la #NSA (cf les dernières révélations sur son programme Optic Nerve), mais aussi les questions que posera dès demain, à une échelle encore parfaitement inédite, l'internet des objets (IoT : Internet of Things) sont avant tout des questions "sociales" / "sociétales" et en aucun cas des questions technologiques.

La routine technologique est un non-choix. Un non-choix à l'abri duquel il devient parfaitement possible, ab absurdo, de défendre et de légitimer toute action de suveillance massive, dont celle de la #NSA. La preuve.

Plaidoyer en défense de la NSA.

Si vous êtes en charge de la collecte et de la distribution d'eau potable auprès d'un petit village et que vous ne disposez que de l'accès à une seule source délivrant parcimonieusement quelques gouttes à la minute, mais que vous savez que cette source n'arrêtera jamais de couler, vous allez alors entreprendre une collecte ciblée, remplir tout aussi parcimonieusement quelques bouteilles bien choisies, et les acheminer ensuite tranquillement vers le village lorsque vous en aurez rempli suffisamment en fonction de besoins et de priorités identifiées à l'échelle de ce micro-collectif humain que vous connaissez parfaitement. C'est disons, une sorte de procédure "d'opt-in". J'ai le temps, je connais les gens, chacun connaît les règles du jeu et les a acceptées, la circulation du bien (l'eau) et sa répartition a fait l'objet d'un accord tacite ou explicite préalable

Vou êtes maintenant en charge de la collecte et de la distribution d'eau potable auprès de 2 milliards d'individus et disposez de l'accès à un déferlement torrentiel et continu de plusieurs millions de litres à la minute, déferlement dont vous savez qu'il peut à tout moment s'interrompre brutalement pour une durée indéfinie. Comment procédez-vous ? Impossible de débarquer avec ses bouteilles sous le bras et de les remplir une à une. Vous construisez donc un barrage, une retenue, au sein de laquelle vous irez ensuite puiser, sans retenue, au hasard. Vous faites alors plutôt de "l'opt-out", c'est à dire que vous prenez tout et vous en sortez progressivement de petites quantités. Et il vous reste ensuite un gros problème à gérer, celui de la distribution … Quelle priorité ? Quelles règles ? De fait cela n'est plus votre problème. Vous venez de changer de métier. Votre métier – c'est déjà suffisamment compliqué – n'est désormais plus que celui de la collecte, et il n'est plus celui de la distribution et de la répartition que vous laisserez à d'autres. Et si vous vous voulez à tout prix continuer à exercer les 2 métiers ensemble, vous aurez inévitablement des problèmes de conflit d'intérêt, un peu comme dans le cas de la neutralité du net où ceux-là mêmes qui ont la main sur la collecte, veulent également assurer la distribution à l'aide de leur propre infrastructure.

Donc y'a pas le choix mon gars.

La nature même des flux de publication et d'information sur le web obligent et contraignent les acteurs, tous les acteurs et opérateurs de l'accès, à des procédures d'opt-out. Il faut d'abord "tout prendre", "tout indexer", pour pouvoir ensuite rendre disponible des bribes de cet ensemble, et offrir la possibilité à ceux que ne voudraient pas s'y retrouver, d'en sortir, et pour que d'autres puissent ensuite "faire métier" de la répartition, de la diffusion, de la conservation et de l'acheminement de ce grand tout. C'est ce que fait Google avec le web, ce qu'il fait avec la numérisation des livres et des oeuvres orphelines, ce que s'efforcent de faire tous les moteurs de recherche, tous les réseaux sociaux. AUCUN n'échappe à cette règle. Ou plutôt si. Y échappent ceux que personne ne connaît ou que personne n'utilise. S'en désoler n'y changera rien parce que rien ne peut aujourd'hui obliger les gens à déserter les centres commerciaux au profit de leurs épiceries de quartier. C'est notre pacte de Faust nécessaire. Sans opt-out, pas de Google, sans opt-out pas de Facebook. La #NSA n'a pas d'autre choix. Il lui faut également tout collecter pour avoir une chance de pouvoir identifier tel réseau terroriste ou tel individu dangereux.

Et là vous vous demandez si je suis devenu dingue et si mes nuits sont hantées de caméras de surveillance. Et ben non. Je suis toujours un fervent opposant de ces routines de surveillance globale dont l'inefficacité (pour les caméras de surveillance par exemple) est patente, au même titre qu'est patente l'inefficacité de la surveillance "globale" exercée par la #NSA sur les sessions vidéos des utilisateurs de Yahoo!.

Euh … donc c'est inefficace mais c'est nécessaire ?! WTF !?

Ben oui. Ce que je dis c'est que l'on ne peut pas demander à la #NSA de faire ce qu'aucun autre acteur du web ne fait et ne fera jamais sauf dans le cadre d'accord spécifiques négociés dans des contextes commerciaux particuliers (par exemple l'accord passé entre Google et Hachette pour la numérisation d'oeuvres orphelines). Le procès fait à la #NSA sur la base d'arguments technologiques ("il faudrait choisir qui surveiller avant", "ne pas surveiller tout le monde systématiquement") est idiot et absurde.

Le vrai scandale de la #NSA réside ailleurs. Là encore du côté social. Ce qui est scandaleux dans ces écoutes, le seul scandale de ces écoutes, c'est qu'aucune réglementation publique ("policy") n'existe pour encadrer et normer l'usage des données ainsi collectées (pour conduire à leur anonymisation, à leur effacement). Pour le reste, la #NSA fait son job. Le même que Google, que Facebook, que Microsoft, qu'Amazon, qu'Apple : prendre un maximum de données auprès d'un maximum de sources et les croiser pour inférer des scénarios d'usage, des comportements, pour isoler des signaux faibles, pour déterminer des tendances, pour "sur-veiller".

Refuser de voir cela, continuer d'attaquer la "surveillance technologique" pour ce qu'elle est et non pour ses incidences sociales, revient à adopter l'attidude pétitionnaire des fabricants de chandelle demandant à être protégés de la concurrence déloyale du … soleil.

La problématique de la "trace" à l'heure du numérique doit impérativement et rapidement s'abstraire d'une vision presqu'exclusivement "techno-centrée" qui n'apportera aucune solution et ne fera, à moyen terme, que conforter les monopoles et les routines de collecte et de surveillance déjà en place.

Un métier d'avenir : data-ethicist.

Les métiers et les compétences aujourd'hui parmi les plus recherchées et valorisées sur le marché de l'emploi concernent les "data-scientists", c'est à dire les métiers de l'ingénierie de la collecte et du croisement de données. Mais nul ne songe jamais à former des "data-éthicistes", des spécialistes de l'éthique des données. Eux seuls pourtant auraient la compétence, la légitimité et la capacité à articuler les logiques de captation autour de finalités d'usage clairement établies et identifiées. On préfère laisser cette dimension éthique dans l'impensé technologique, c'est à dire, ce qui revient in fine au même, la reléguer et/ou la déléguer à des entités relevant du politique, lesquelles entités politiques peuvent obtenir de haute luttes quelques victoires parfois significatives, mais continuent d'entretenir l'illusion que solutionner ces problèmes reviendra à leur trouver une issue tactique – et donc nécessairement temporaire – alors même qu'il nous faudrait être en mesure de les penser à un niveau stratégique.

Occupy NSA.

Ce qu'interrogent les affaires de la #NSA, les pratiques de #Facebook, les stratégies attentionnelles de #Google, c'est Notre Sentiment d'Appartenance à cet espace média(n) qu'est le web, c'est la monstration délibérée de Nos Similarités Affectives, c'est l'engrammation non-négociable de Nos Stratégies Attentionnelles. Ce à quoi nous devons porter réponse c'est au devenir de ces données, qui plus que des données sont des états de société, et cette réponse sur leur devenir doit être apportée avant même leur captation, au long court de leur possible production. Le reste relève de la seule compétence des ingénieurs, de l'agir. Liberté d'agir qui leur est d'abord concédée par notre incapacité à penser ces données en devenir.

"Jamais nous n'avons été aussi libres que sous l'occupation Allemande" écrivait Sartre. C'est pour les mêmes raisons que jamais nous ne serons aussi discrets que sous la NSA.

2 commentaires pour “Jamais nous n’avons été aussi discrets que sous la NSA

  1. Oui. Bon. Je me suis un peu précipité.
    N’empêche que la surveillance réclamée par Savoirscom1 se pose réellement, et ce d’autant plus qu’elle est réclamée par des membres de la Quadrature du Net. #Paradoxe

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.

Articles similaires

Commencez à saisir votre recherche ci-dessus et pressez Entrée pour rechercher. ESC pour annuler.

Retour en haut