Android Wear : on l’a dans l’OS

Préambule.

Il n'y avait plus que des réponses. Demain il n'y aura plus d'information. Juste de l'attention. De l'attention à nous-mêmes. Nourrie par de l'information sur nous-mêmes.

Google et dans son sillage les différents algorithmes de recommandation ont progressivement fait de chacun d'entre nous des autarcithécaires, des collecteurs d'infos sur nous-mêmes et nos proches, nous enfermant dans une bulle attentionnelle (Eli Pariser) toujours plus étanche à une possible objectivation de l'information, à une possible altérité du monde. Personnalisation, recommandations, suggestions, Le moteur tourne en boucle sur nous-mêmes, il est un scénarisateur d'ego, le premier véhicule du moi.

Prenons deux courbes.

Celle de l'information et celle de l'attention. J'expliquais ici quel était l'enjeu du World Wide Wear. J'expliquais ici quel était l'enjeu de ce nouveau corps-interface. Après s'être longtemps développées en parallèle, ces deux courbes sont en train de se croiser. Demain il n'y aura plus d'information. Il y aura juste des métadonnées. Ce que nous appelons, au sens courant, "information", est en train de s'effondrer sous le poids des métadonnées.

Loin de la déjà ancienne dérive des continents documentaires (cf ici et à la diapo 17), la pangée désormais reconstituée est presqu'exclusivement constituée de métadonnées. Et ce continent unifié est en proie à nombre de luttes intestines dont chacune d'entre elles peut à nouveau mener à un changement de gouvernance politique, c'est à dire à un nouvel éclatement. Quatre forces indépendantistes, séparationnistes, sont principalement à l'oeuvre, peut-être les 4 prochaines nations des futurs 4 continents :

  1. marketing (des métadonnées pour la consommation)
  2. privacy (des métadonnées pour le droit à l'oubli / la vie privée)
  3. neutrality (des métadonnées pour que la politique des algorithmes ne devienne pas un dictature digne des meilleurs dystopies)
  4. efficiency (des métadonnées dont chacun, c'est à dire les grands acteurs du web mais aussi chacun d'entre nous, souhaite extraire un niveau de pertinence suffisant pour guider des choix, prévenir des risques, etc.)

Pour l'instant l'équilibre qui "tient ensemble" cette pangée documentaire est un équilibre de la terreur. Parce qu'il reste encore beaucoup d'information. Et que l'information c'est comme l'uranium : elle est partout, partout présente naturellement, souvent nécessaire à différentes formes de vie. Mais si elle est concentrée, centralisée, enrichie (au sens propre – par des métadonnées – ou au sens figuré – via un capitalisme linguistique auto-entretenu), alors, l'information devient effectivement dangereuse. Prête à exploser. Toute les affaires liées au scandale de la #NSA et aux politiques qui ont permis la mise en place de ce système d'écoutes généralisées se résume à ce que fut la course à l'armement nucléaire dans la période de la guerre froide. L'équilibre de la terreur … des métadonnées comme nouvel uranium enrichi.

Y'a comme un os.

Avec le lancement de Android Wear, cet OS (operating system) pour objets connectés (voir , ou encore ), nous l'avons définitivement dans l'os, nous sommes au service de l'OS, nous devrons nous contenter de figurer dans l'Ours (Operating User Recognition System) de notre personna numérique, et pas toujours à la meilleure place.

Tout cela a commencé il y a longtemps. L'homme est un document comme les autres, l'axe de rotation du web n'est plus celui des documents mais des profils. Mais tout cela va s'accélerer considérablement. Et changer radicalement d'échelle. Nous allons disposer d'une somme d'informations et de connaissances sur nous-mêmes jusqu'ici jamais atteinte : du nombre de kilomètres parcourus dans la journée au nombre de calories consommées et brûlées en passant par nos chances d'avoir tel ou tel type de maladie, nous allons entrer dans une nouvelle phase d'infobésité, de surcharge informationnelle ; de l'information sur nous-mêmes, produite par nous-mêmes, n'intéressant que nous-mêmes. Et cette information, nous allons l'aimer, la savourer, l'adorer. Car nous nous aimons profondément. Ce ne sera plus du "quantified self" mais du "self overload". Et comme pour la surcharge cognitive (cognitive overload), comme pour l'infobésité informationnelle, nous commencerons par avoir besoin d'applications pour nous aider à faire exactement l'inverse de ce que nous demandions hier aux mêmes applications.

Hier nous voulions que nos amis sachent où nous sommes, aujourd'hui nous voulons qu'ils l'ignorent. L'important n'est pas ce que nous voulons. L'important n'est pas la contradiction de nos pulsions. L'important est qu'il existe une application pour chacune d'entre elles. 

OS … S. Operating System of the Self.

Un OS, un Operating System, un "système d'exploitation" est :

"un ensemble de programmes qui dirige l'utilisation des capacités d'un ordinateur par des logiciels applicatifs. Il reçoit de la part des logiciels applicatifs des demandes d'utilisation des capacités de l'ordinateur — capacité de stockage des mémoires et des disques durs, capacité de calcul du processeur. Le système d'exploitation accepte ou refuse de telles demandes, puis réserve les ressources en question pour éviter que leur utilisation n'interfère avec d'autres demandes provenant d'autres logiciels." (Wikipedia)

Je répète : "un ensemble de programmes qui dirige l'utilisation des capacités d'un ordinateur par des logiciels applicatifs." Ok. Android Wear est un OS pour les objets connectés (montres, vêtements, et demain frogis, cafetières, vélos, no limit …). On va donc avoir – on a déjà – des programmes qui vont demander/permettre à ces objets d'effectuer certaines tâches, de répondre à certaines requêtes, tâches et requêtes transmises par différents logiciels applicatifs. Jusque là tout le monde suit.

Et l'ordinateur il est où ???

Voilà. Alors bien sûr les puristes diront à raison que l'ordinateur il est "dans" ou "relié à" la montre, "dans" le frigo, "dans" le vélo. Les puristes objecteront à raison que l'ordinateur, la puissance de calcul, elle est, comme nos mémoires, dans le cloud. Les puristes m'excuseront. Je voudrais leur signaler ainsi qu'aux autres, que cet ordinateur, pour l'essentiel, et pas seulement métaphoriquement ou symboliquement, c'est … nous.

L'OS Android Wear sera logiquement amené à diriger l'utilisation de nos propres capacités cognitives par des logiciels applicatifs. Il le fera de deux manières : en extrayant et en nous proposant sans cesse de l'information de/sur nous-mêmes (nous sommes une sorte de suite de 0 et de 1), et en mobilisant notre capacité attentionnelle, c'est à dire en nous allouant des plages mémoire.

"Quand le sage montre la lune, l'imbécile regarde le doigt."

… dit un vieux proverbe chinois. Mais quand le sage montre … une montre ? Quand tous les imbéciles portent des montres connectées, quand les interfaces sont tactiles (le doigt), que reste-t-il au sage ? Où se situe la lune ? Derrière les nuages du Cloud ? Et surtout que reste-t-il à montrer, de nous-mêmes et du monde ?

Le corps-interface n'est qu'une étape. La suivante est celle de l'OS de la cognition humaine. De la science-fiction ? Probablement. Comme était de la science-fiction le web il y a 25 ans, Wikipédia il y a 15 ans, les tablettes tactiles il y a 10 ans, les vêtements intelligents il y a 5 ans. 

On l'a dans l'os vous dis-je.

Un commentaire pour “Android Wear : on l’a dans l’OS

  1. « l’OS de la cognition humaine ? »
    par curiosité, avez-vous vu ‘her’ de spike jonze ?
    je serais ravi de lire votre point de vue sur le fond du film – la forme est une guimauve romantique qui m’a personnellement atterré, mais le fond pose de belles questions, connexes à vos sujets de préoccupation, je dirais.
    et j’en profite pour passer un petit merci/bravo pour ce lieu de lecture de haute volée.

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