Au Lecteur, à l’internaute
La vanité, l’envie, le désir de partage,
Occupent nos esprits et travaillent nos corps,
Et nous alimentons tous nos aimables comptes,
Avec l’acharnement d’un blogueur influent.
Nos profils sont têtus, et nos status sont lâches;
C’est sur notre attention qu’ils viennent se payer,
Et nous suivons gaiement un tas de liens bourbeux,
En croyant naviguer, nous sommes enfermés.
Dans les Data Centers c’est Satan Trismégiste
Qui berce longuement nos données collectées,
Et le riche métal de notre volonté
Est tout vaporisé par ce savant chimiste.
Nos intentions connues : ces fils qui nous remuent!
Des vidéos virales nous montrent comme appâts;
Chaque jour vers le Cloud nous élevons d’un pas,
Sans horreur, à travers des connexions non neutres.
Ainsi qu’un débauché qui visionne en cachette
La vidéo Youporn d’une antique catin,
Nous volons au passage un plaisir clandestin
Que nous pressons bien fort comme une vieille orange.
Serré, fourmillant, comme un million d’helminthes,
Web bien clôt où ribote un peuple de Démons,
Et, quand nous publions, l’algo dans nos données
Descend, fleuve invisible, avec de sourdes plaintes.
Si pour jouir, visionner, partager et lier,
Il nous faut nonobstant l’accord des F.A.I.
Qui nous connectent ici mais peuvent rompre aussi,
C’est que nos connexions ne sont pas assez neutres.
Mais parmi les algos, les données, les profils,
La NSA, Google, Facebook ou Amazon
Les plateformes monstres, enfermant, contrôlant,
L’illusion nourricière de notre libre arbitre,
II en est un plus laid, plus méchant, plus immonde!
Quoiqu’il ne pousse ni grands gestes ni grands cris,
Il ferait volontiers de la terre un débris
Et dans un bâillement avalerait le monde;
C’est l’Ennui! L’oeil chargé d’un pleur involontaire,
II rêve d’échafauds en fumant son houka.
Tu connais, internaute, ce monstre délicat,
— Hypocrite internaute, — mon semblable, — mon frère!