C'est l'histoire d'une voiture, votre voiture, qui ne démarre pas, parce que vous êtes en retard d'une mensualité dans le paiement de votre crédit. C'est l'histoire d'un chauffage qui ne s'allume pas, votre chauffage, parce que vous n'avez pas payé votre dernière facture. C'est l'histoire de votre playlist qui ne s'écoute pas, parce que vos coordonnées bancaires ne sont plus à jour. C'est l'histoire de la porte d'une maison, de votre maison, qui ne s'ouvre plus, parce que votre assureur n'a toujours pas reçu de réponse au courrier recommandé qu'il vous avait envoyé.
Cette histoire (en tout cas celle de la voiture) est racontée par Hubert sur l'indispensable "à lire ailleurs" d'Internet Actu.
C'est une histoire qui est l'aboutissement de deux autres histoires que je vous ai déjà raconté ici-même.
L'histoire de l'acopie.
On ne possède plus rien, ou jouit temporairement et sous conditions de l'allocation d'un accès lui même temporaire et sous conditions.
"dans le cadre de l'appropriation marchande (= achat) d'un bien culturel (livre, musique ou film) ce qui nous est présenté comme un acte d'achat impliquant l'usage privatif inaliénable du bien concerné, n'est en fait qu'une location dissimulée, le fichier résident "à distance" et la transaction commerciale se déplaçant à l'unisson, c'est à dire ne désignant plus le bien en lui-même mais plutôt l'autorisation d'accès à distance au dit bien. On ne vend plus un bien, on alloue un accès (cf le modèle de l'a-llocation décrit dans ce billet), on met en place une "souscription" : l'écriture de l'acte commercial, la trace – opposable en cas de conflit – de la transaction, devient, à son tour, une écriture "en-dessous", sub-scribere. Soit l'aboutissement de la logique décrite dans ce billet.)"
Pour l'instant l'acopie grignote lentement mais surement l'ensemble des industries culturelles (livre, musique, cinéma …), pour l'instant elle transmute la belle promesse de l'or de l'accès permanent et du streaming, en plomb de l'aliénation marchande et de l'oppression prescriptive ; et demain elle s'étendra à l'ensemble de nos objects, connectés ou non : cafetières, voitures, chauffages et thermostats, domiciles terminaux.
L'histoire de la notification.
Celle de l'homme notifié. Celle d'une société dans laquelle la simplicité et la systématicité de la rediffusion ont ôté au partage ce qui faisait son authentique valeur, c'est à dire le temps nécessaire à l'appropriation. Celle d'une société dans laquelle on ne "reçoit" plus, ou en tout cas on ne reçoit plus rien d'autre que … d'incessantes, de lancinantes notifications, greffées à chacune de nos données, avec à chaque fois la même valeur d'injonction, avec chaque jour davantage la difficulté plus grande de s'y soustraire, de s'y refuser, de les ignorer, de les soustraire à notre regard.
"Si l'enjeu de ces alertes et notifications fut intialement d'accompagner un mouvement de synchronisation par rapport à certaines de nos activités connectées, il est aujourd'hui entièrement dédié au maintien d'une rente cognitive désormais acquise mais toujours possiblement volatile et de plus en plus concurrentielle. (…) Lorsque la notification se fait omniprésente, (…) se pose alors la question de savoir si elle (…) elle est (…) d'abord une prescription, une ordonnance, une cadence infernale à laquelle il devient impossible de se soustraire à moins d'opter pour une posture qui nous contraindrait à refuser toute connexion et nous condamnerait de fait à évoluer en arythmie complète par rapport aux temporalités qui régissent les comportements de nos proches et du monde. (…) La notification n'installe aucune distance critique : tout au contraire elle a vocation à l'abolir entièrement. Elle est d'abord un système de remise à la tâche. La forme anecdotique d'un digital labour sur lequel se sont construites les industries culturelles qui ne peuvent tolérer l'inattention qui équivaut à une perte de profit."
Moralité.
L'histoire de la voiture qui ne démarre plus c'est l'histoire d'une dépossession (l'acopie), et d'une aliénation (la notification). C'est notre histoire.