L'écosystème internet est aujourd'hui constitué de deux axes, de deux paradigmes co-construits en diachronie parallèle : celui des questions de surveillance et/ou de privacy, et celui des grands biotopes attentionnels reposant sur des formats et/ou des stratégies et/ou des outils et/ou des services propriétaires. Et en ligne de mire, les questions du capitalisme linguistique d'une part, et celles du digital labor d'autre part (et la théorie marxiste du document qui leur est liée).
Et comment en sortir tout en y restant.
Car bien sûr tant du côté de la privacy que du côté des biotopes ou "jardins fermés" attentionnels, les données sont essentiellement celles d'une servitude volontaire. Et (presque) tout le monde le sait. Et tout le monde en a (de plus en plus) conscience, mais (presque) personne n'est prêt à renoncer à un/des services que (presque) tout le monde utilise.
Privacy & obfuscation.
Du côté du contrôle de la vie privée à l'heure des réseaux, les stratégies d'obfuscation ont de beaux jours devant elles. Pas la peine d'insister, juste relire l'article d'InternetActu et ma propre contribution sur le sujet.
Jardins fermés et duplication fonctionnelle.
Si c'est fermé il faut ouvrir. Et pour ouvrir il faut copier. Le droit à la copie. Les bonnes idées n'appartiennent à personne, surtout quand ceux qui ne les ont même pas trouvées ont prétention d'en faire une rente. Ouvrir et copier comme l'a fait depuis le début le mouvement de l'Open Access dans les sciences. Comme le font depuis le début les "libristes" ou hacktivistes du "logiciel libre" dans la lignée de Richard Stallman. Eviter à tout prix que l'on n'apprenne qu'à utiliser un logiciel Microsoft, ou Adobe, ou tout autre marque dans les écoles et les universités et en lieu et place s'assurer que Open Office, Gimp, VLC, et autres logiciels libres soient (re)connus et utilisés. Et bien sûr, en plus du long, essentiel et incessant travail que mène l'association depuis des années, l'initiative, récente, salutaire et (enfin) médiatique de Framasoft. Il faut dupliquer pour Dégoogliser, désAmazonifier, déFacebookiser.
Mais ne pas s'enflammer. Les logiques d'effets de seuil sont là. Milliards de requêtes par jour, milliard d'utilisateurs actif … l'enjeu n'est pas et ne doit pas être de créer "un autre" Google, "un autre" Facebook. L'enjeu est simple. Passer d'une logique de TINA (There Is No Alternative) à une logique de TIAA (There Is An Alternative).
Les mots-clés de l'initiative de Framasoft sont LEDS : Liberté, Ethique, Décentralisation, Solidarité. Un de ces 4 compte pour moi beaucoup plus que les autres et pas nécessairement celui que vous croyez : c'est de décentralisation que je parle. Le retour à l'un des 6 principes fondateurs de l'hypertexte, la décentralisation, plus exactement la "mobilité des centres". Que même pour instant, oui, pour un instant seulement, une alternative soit de nouveau possible, existante, connue, visible.
Pour la privacy, il y a des alternatives.
Pour les grands biotopes attentionnels, il y a des alternatives.
Mais attention. Ne pas pour autant se bercer d'illusions et imaginer un instant que ceci remplacera cela, que ces alternatives seront demain le modèle dominant. Les combats à mener sont nombreux : financer ces alternatives bien sûr, le monde du "libre" n'est pas le monde du "gratuit", et pourquoi pas par l'état, pourquoi pas par l'impôt. <Hashtag je mélange tout mais pas tant que ça> Plutôt que de donner 172 millions d'argent public à Elsevier pour que des étudiants et des chercheurs puissent avoir le droit de lire des articles qu'ils ont écrits et pour lesquels ils ont déjà été payés …. </hashtag parce que ça fait du bien>. Combat du financement donc, mais aussi et peut-être surtout combat de la visibilité de ces alternatives. Car pour qu'un centre soit mobile à l'échelle du graphe de l'hypertexte, il ne faut pas qu'il soit "plus" visible que les autres, mais il faut qu'il autant de chances que n'importe quel autre d'être à un moment visible.
Monsanto n'est pas connu pour rendre visible les vertus de l'agriculture biologique. Pourquoi attendrions-nous que Google ou Facebook se mettent à promouvoir ces alternatives ? Hein, pourquoi ??
Au nom de la neutralité de leurs algorithmes ? #Bullshit
Au nom de la diversité d'opinions et de profils qu'ils permettent de faire émerger ? #AnotherBullshit
Parce que "ensemble tout devient possible" et que la collaboration va marginaliser le capitalisme ? #BullshitRifkin
Collaboration de caniches fans de lolcats.
La thèse de Rifkin est la suivante : "Le modèle collaboratif va marginaliser le capitalisme". Oui-Oui au pays d'internet. RER B pour l'utopie, descendre à station "Taka Kroire". Bien sûr que non elle n'aura pas lieu la troisième révolution de Rifkin.
Chez Rifkin – brillant essayiste au demeurant – la collaboration c'est comme l'amour pour Bardamu : c'est l'infini mis à la portée des caniches. Ça marche un temps pour faire rêver le geek de moins de 50 ans (frère de la ménagère du même nom), mais globalement, non, ça ne marche pas. En tout cas certainement pas comme Rifkin nous dit que ça va marcher. Entre temps des plateformes, les mêmes, s'accaparent et s'approprient l'essentiel des logiques de partage, entre temps les routines du capitalisme linguistique et du Digital Labor se nourrissent et digèrent cette manne et nous laissent nous vautrer dans le dernier stade de transformation du cycle de leur digestion. Ben oui. Dans la merde. Si j'avais le temps je listerais plein de bonnes raisons pour lesquelles la thèse de Rifkin est fausse et (potentiellement dangereuse). Mais j'ai pas le temps. Du coup je cosigne virtuellement des deux mains cette tribune déjà écrite à plein de mains et j'y ajoute cet article ;
Les caniches aboient, la caravane des rentiers continue de passer.
Hôteliers contre AirB'nB, taxis contre Uber, les rentes d'hier contre celles de demain. Les rentiers de l'hôtellerie d'hier travaillaient dans et par le tourisme, les rentiers de l'hôtellerie de demain travaillent déjà aujourd'hui dans et sur le secteur du commentaire et de l'avis client.
Mais croire, de manière Rifkinienne, qu'AirB'nB ou Uber sont des sites "collaboratifs" qui vont faire tomber à genou le modèle du capitalisme et enterrer avec lui sa cohorte de banquiers, c'est un peu comme croire que la CGT va mettre minable Wall-Street, que le modèle des AMAP va marginaliser les agro-industries : c'est regarder les déplacements de chaînes de valeur en jetant un voile pudique sur les logiques économiques de captation de la valeur. Bref.
"L'amour c'est l'infini mis à la portée des caniches. Et j'ai ma dignité, moi."
Je souscrit à 200%. On mesure mal les effets de l’industrialisation du monde. On parle des AMAP et de l’économie collaborative comme d’un mouvement de réappropriation, sans voir que l’hyperindustrialisation et l’hyperconsommation, elles, se développent à un rythme bien plus rapide, du fait notamment du financement global de ces industries, de leurs capacités d’investissement colossales, de leur capacité à optimiser le moindre centime pour qu’il rapporte, du fait qu’elle sachent utiliser le système qu’elles ont mis en place pour leur profit. Et le pire, c’est qu’elle ont même récupéré à leur profit (en le dévoyant) le financement participatif (en ôtant aux microfinanceurs tout pouvoir sur leurs investissements).
Vous m’aviez convaincu… jusqu’aux AMAPs…
Au Japon, qui est le pays des pionniers, aujourd’hui, 25% des ménages sont affiliés à des coopératives de consommation qui commercialisent uniquement des produits bios. Ce qui n’empêche pas, je vous l’accorde, une certaine forme de concentration, et donc, une certaine forme « Marxisation » du rapport entres centrales d’achat et producteurs. Mais dire que cela n’a aucun effet est factuellement faux.