Google a changé. Mais en fait nom.

<SUPER EDIT DU DISCLAIMER DE L'AUTOFLAGELLATION DU FLAGRANT DÉLIT DE LA RÉACTION À CHAUD C'EST PAS TOUJOURS TRÈS BEAU> Or donc mon hypothèse (car ce n'était qu'une hypothèse même si j'eus le tort de la présenter comme une certitude) d'un changement de nom permettant – entre autres – d'annuler ou de reporter les poursuites de l'UE pour abus de position dominante semble n'être pas du tout valide. Je me suis en effet gentiment fait allumer sur Twitter par une avocate, qui indique en quelques tweets que :

  • 1. Google ne change pas de nom. Elle devient filiale d'une autre société et ne sera plus cotée.
  • 2. Elle reste une entité juridique.
  • 3. Si une partie de l'activité est filialisée, les litiges resteront dans l'entité ou seront transférés. Ils ne disparaîtront pas.
  • 4. Quand on fait un article qui se veut juridique, on se renseigne avant. (oui bon ça va hein …)

En outre, je suis – enfin – tombé sur un article de Business Insider qui a intérrogé 4 juristes spécialistes du droit de la concurrence et dont le verdict semble parfaitement clair et unanime mais laisse (tout de même) une petite porte ouverte :

""Some kinds of splits would address the EU’s competition concerns. For example, if Google Shopping were an entirely separate company, separately owned and managed, Google wouldn’t have an incentive to favor Google Shopping in search results. Same for Google Local, Maps, YouTube, and on down the line. But Alphabet doesn’t promise to do anything quite like this."

D'ailleurs le porte parole de la commission européenne en charge du dossier à confirmé au Register que les poursuites restaient d'actualité :

"We have seen press reports that Google is carrying out a corporate restructuring. Google itself explained that it’s changing its structure to better run its different businesses. As far as the Commission is aware, there is no link to our competition investigations.

In general, the Commission will always carry out its competition enforcement duties independently of the precise corporate structure of the companies under investigation. A company does not insulate itself from a competition investigation through a change in corporate structure."

Voilà. Mea maxima culpa et tout ça. <Mise à jour de l'inside de la mise à jour> Je me suis aussi fait gauler par Télérama </mise à jour>

Et comme vient de me le faire remarquer Christophe Benavent – toujours sur Twitter – l'hypothèse la plus probable – en plus de celle visant à rassurer marché et investisseurs en leur donnant une meilleur visibilité sur leurs placements – reste celle du passage de la forme U (unitaire) à la forme M (multi-divisionnelle), générant artificiellement au passage de la valeur boursière.

Je précise quand même pour tenter de redorer un blason que je devine définitivement terni qu'un certain nombre de gens difficilement soupçonnables de méconnaissance de l'écosystème internet – dont Gilles Babinet pour ne pas le citer, responsable des enjeux de l'économie numérique pour la France auprès de la Commission européenne, mais également Mike Masnick, le fondateur de Techdirt – avaient émis la même hypothèse. M'enfin.

</SUPER EDIT DU DISCLAIMER DE L'AUTOFLAGELLATION DU FLAGRANT DÉLIT DE LA RÉACTION À CHAUD C'EST PAS TOUJOURS TRÈS BEAU>

<Mise à jour> Ce billet a été repris par Rue 89. J'en profite pour rajouter quelques liens complémentaires ci-après.

La société Alphabet Inc. sera donc basée dans l'état voyou pardon, dans le paradis fiscal du Delaware. Le bulletin d'enregistrement est disponible ici. Le portrait complet de Sundar Pichai, le nouveau CEO de Google. Et une infographie avec les noms des différents CEO de l'entité Alphabet Inc. Voir aussi l'analyse de John Battelle qui y voit le 1er conglomérat de l'âge et du business de "l'information First".  </mise à jour>

———-

La nouvelle est donc tombée hier soir et Twitter est parti en torche. Google a changé de nom. Oui oui. Google Inc. est devenu <tadaam> "Alphabet Inc." </tadaam>.

Alphabet

De mon côté c'est chez Jérôme Marin que j'ai d'abord aperçu l'info. Il s'agit, concrètement, de modifier la structure de l'entreprise, de ses services et de ses différentes "filiales". Comme l'écrit encore Jérôme Marin :

"Baptisée Alphabet, elle sera dirigée par Larry Page (…). Sergey Brin (…) occupera le poste de président. Cette nouvelle société cotée en Bourse, en lieu et place de la précédente. La marque Google ne disparaît pas. Mais elle sera désormais une filiale d'Alphabet, placée sous la responsabilité de Sundar Pichai, l'étoile montante de la société. Elle regroupera les activités principales du géant du Web: la recherche en ligne, Android, YouTube, Maps, Gmail… Toutes les activités annexes, comme Google X (le laboratoire travaillant sur les projets futuristes) Calico (santé), Nest (objets connectés) et Google Ventures (investissement dans des start-up) seront exclues de ce périmètre."

De fait, on peut presque douter que les 26 lettres de l'alphabet soient suffisantes

Alphabetservices

Du côté du blog officiel de Google – enfin d'Alphabet – c'est Larry Page qui se fend d'un bon vieux billet corporate dans lequel il nous explique que tout va bien mais qu'on peut rendre les choses plus propres et plus profitables, qu'Alphabet est en fait une collection d'entreprises – holding – dont la plus grosse reste Google. Larry nous explique également qu'en termes de management ce sera plus cohérent d'isoler les différentes "entités" (dont certaines n'ont aucun rapport avec le coeur de métier historique de Google, Calico, Google Cars, les drones, la fibre, etc …). Avec cette nouvelle structure, nous dit encore Larry, les résultats financiers de Google seront fournis séparément de ceux de l'ensemble des autres "business" regroupés derrière Alphabet. Et là déjà on sent bien venir la cerise.

Alphabetinc

Et Larry de conclure que le nom "Alphabet" s'est imposé puisqu'il représente le langage, "l'une des innovations les plus importantes de l'humanité" mais également le coeur de l'index de Google. Et vas-y que toutes les entreprises d'Alphabet devront avoir leur indépendance, développer leurs propres marques, blablabla management, blablabla capitaine d'industrie, blablabla branding.

"Our company is operating well today, but we think we can make it cleaner and more accountable." (…) Alphabet is mostly a collection of companies. The largest of which, of course, is Google. (…) Fundamentally, we believe this allows us more management scale, as we can run things independently that aren’t very related. (…) With this new structure we plan to implement segment reporting for our Q4 results, where Google financials will be provided separately than those for the rest of Alphabet businesses as a whole. (…) We liked the name Alphabet because it means a collection of letters that represent language, one of humanity's most important innovations, and is the core of how we index with Google search! We also like that it means alpha-bet (Alpha is investment return above benchmark), which we strive for! I should add that we are not intending for this to be a big consumer brand with related products–the whole point is that Alphabet companies should have independence and develop their own brands."

Google se dé-marque.

Changer le nom d'une entreprise n'est jamais neutre. Surtout quand la "marque" Google bénéficie d'un capital confiance certes passablement écorné depuis le motto "Don't Be Evil" du commencement mais tout de même encore assez fort. Alors pourquoi changer ?

Et bien les vraies raisons de ce changement intervenu le lundi 10 août 2015 sont parfaitement expliquées dans un article du New-York Times daté du … 15 Avril 2015. Google a changé de nom, ou plus exactement Google a changé la structure administrative et financière de son entreprise parce que Google commençait vraiment à avoir chaud au cul du côté de la violation des lois antitrust et des différentes injonctions et poursuites engagées – notamment – par l'union européenne pour abus de position dominante. Voilà déjà plusieurs mois que l'on voyait se multiplier les appels au démantèlement de la firme.

Alors Google a mis tout ce que la firme comptait d'avocats fiscalistes et de spécialistes du droit des sociétés sur le coup et les gars ont eu cette idée de génie : modifier la structure de l'ensemble et changer de nom. Résultat : l'ensemble des procédures engagées à son encontre par l'union européenne vont au mieux (pour lui) devenir caduques et inopérantes et au pire (pour lui toujours) obliger la même union européenne à revoir entièrement sa manière de procéder. Une bien belle cerise.

Et Google (enfin Alphabet) est gagnant sur tous les fronts. Avec cette forme de "marque blanche", la firme s'offre une nouvelle virginité sur des secteurs prometteurs (énergie, équipement, transport, santé / médecine, etc.), elle se met (temporairement) à l'abri de toutes les poursuites engagées ou pouvant l'être au nom d'une violation des lois antitrust ou pour abus de position dominante, elle poursuit sa mutation manageriale et, accessoirement, elle fait grimper le cours de l'action.

En parlant de "management" il vous faut à tout prix lire le remarquable article de l'Humanité, "Le futur que Google nous prépare", qui, avec de larges extraits d'interview de Dominique Cardon, apporte un éclairage saisissant sur ce qui relève à la fois d'une forme de féodalité managériale et de scientisme technologique. Extraits :

"Le projet politique de Google est centré sur la méritocratie, le culte absolu de l’excellence. « Une vision du monde, qui se retrouve dans leur manière d’organiser le travail », note Yann Le Pollotec, chargé de la révolution numérique au PCF. Dans le jargon de l’entreprise, il faut recruter les meilleurs, appelés « chevaliers » (knights), véritable puissance créatrice de Google, qui doivent avoir toute la liberté possible. Et il y a « les manants » (knaves), les médiocres, qui sont dans le ressentiment et qu’il faut écarter pour ne pas contrarier l’excellence des autres. Cela crée une structure où les employés sont tellement en compétition que l’on n’a plus besoin de management. Les patrons de Google l’ont écrit et théorisé dans leur livre How Google Works, aujourd’hui enseigné dans toutes les écoles de management, où ils expliquent que le plus important est le recrutement. (…)

« Ce sont des libertariens, souligne Dominique Cardon. Ils sont persuadés qu’un individu peut changer le monde si on le laisse pleinement et librement exprimer ses capacités et sa créativité, et surtout en écartant l’État et ses règles comme la solidarité et la justice… Ils veulent transformer le monde en exacerbant l’égoïsme matérialiste. »

C'est très exactement cet aspect libertarien que l'on retrouve en trame de fond du billet de Larry Page annonçant la mutation.

Nom de Dieu.

Linguistiquement et sémiologiquement, le choix "d'alphabet" est tout sauf neutre. Il est la poursuite du "capitalisme linguistique" que la firme a inventé. D'abord mettre un prix sur les mots, sur le vocabulaire, sur la langue, puis organiser la spéculation dans un marché que l'on contrôle entièrement, et désormais donc, s'approprier la langue elle-même comme une triviale raison sociale. Google a choisi "Alphabet" mais il aurait aussi bien pu choisir de baptiser sa nouvelle entité "Language Inc." Dieu lui-même avait commencé par le Verbe.

Comme le faisait remarquer Christophe Benavent sur Twitter, "Avec #Apple la connaissance fut un fruit défendu, avec #Google le verbe s'incorpore dans #Alphabet." Et de conclure par le hashtag : "#PenséeMagique".

Mais le plus drôle et le plus flippant dans cette affaire c'est que l'on ne dira plus : "je t'ai Googlisé" mais "je t'ai Alphabétisé." Une métonymie beaucoup plus performative qu'il n'y paraît.

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