Légalgorithme.

Dans le domaine des industries culturelles, il existe 7 moyens connus de lutter contre le piratage.

D comme dénonciation.

Le premier consiste, pour les plateformes hôtes desdits contenus, à s'appuyer sur la sagesse le zèle délatoire des foules pour signaler les contenus inappropriés ou non-conformes aux droits d'auteur.

Flag

D comme Demande de dé-référencement.

Le second consiste, pour les éditeurs et ayants-droits, à faire la chasse aux contenus illicites (ou pas d'ailleurs …), le plus souvent au moyen d'algorithmes ou de sociétés spécialisées, et d'adresser ensuite une requête aux plateformes hôtes ou aux moteurs de recherche pour que les liens vers lesdits contenus soient supprimés.

D comme désindexation.

Le troisième consiste, pour les moteurs eux-mêmes, à supprimer, à l'aide de leurs propres algorithmes, les contenus repérés et jugés illicites. Les réseaux sociaux ne sont naturellement pas en reste, étant les premiers "vecteurs" de la circulation de contenus possiblement piratés, Facebook s'était récemment illustré avec la mise en route d'un "robocopyright social".

A comme accords.

Quatrième possibilité, pour les moteurs toujours, mais dans le cadre cette fois de la territorialité des différentes offres légales, ils mettent en place des accès basés sur la localisation des adresses IP des potentiels accédants, ou font preuve d'un zèle d'autant plus assidu à repérer et nettoyer eux-mêmes les contenus illégaux (et/ou non-conformes à la législation du pays concerné), qu'ils sont par ailleurs en relation contractuelle avec les grands acteurs desdites industries culturelles.

ProxTube-débloque-les-vidéos-sur-YouTube_Header

N comme Nerf de la guerre.

Le cinquième moyen de lutte, consiste à assécher les ressources publicitaires des plateformes de partage illégal (principalement du direct download) en travaillant avec les marques et les régies pour qu'elles désertent lesdites plateformes. L'IAB France (lobby publicitaire), interpellé par Fleur Pellerin (lobby ministèriel) s'est récemment prononcé sur le sujet, de manière assez prudente, indiquant, en gros, que de toute façon les gros annonceurs respectables n'étaient pas présents sur ce genre de plateformes et que les petits annonceurs russes n'étaient pas respectables, bref, "que le marché s'autorégulait." Ce qui n'est visiblement pas prêt d'être le cas pour les "cougars près de chez toi", mais pas non plus pour CanalSat ou même Voyages-Sncf.com, tous deux très présents sur des plateformes de Direct Download comme 1fichier.com ou Uptobox.com aux côtés de leur ami Roger qui vous explique <spam> comment gagner plusieurs milliers d'euros grâce aux options binaires </spam>.

D comme DRM

Le sixième consiste à permettre au langage de développement du web (HTML), de reconnaître ou de faire appel "nativement" à un certain nombre de DRM pour permettre l'accès et la lecture d'un certain nombre de contenus. Très vaste débat et très grande polémique sur laquelle je m'étais moi-même peut-être un peu rapidement exprimé, même si je maintiens qu'il s'agit globalement d'un recul par rapport aux standards du web.

O comme Offre légale.

Le septième consiste à déployer une offre légale attractive et suffisamment étoffée (c'est en cours pour la plupart des industries culturelles), et surtout à s'affranchir des effets de rente induits par le respect d'une chronologie des médias qui, lorsqu'elle permettait initialement de garantir un retour sur investissement à certains producteurs et diffuseurs notamment dans le domaine audiovisuel, n'a aujourd'hui plus aucun sens sinon d'être complètement à rebours des usages, y compris de ceux souhaités par une partie de plus en plus grande desdites industries culturelles – et des nouveaux entrants comme Netflix – qui ne se privent pas par ailleurs de calibrer le marché dans le sens qui leur convient le mieux, vous pouvez maintenant respirer car cette phrase effectivement un peu longue est désormais terminée.

R comme Résultat.

Le résultat est simple. Et se résume à un constat : le nombre de sites, d'adresses et d'URL effectivement désindexés ou déréférencés explose, les demandes en provenance d'ayants-droits, de producteurs et d'exploitants, si elles ne sont pas toutes suivies, explosent également (345 millions de demandes pour le seul Google en 2014), et ça marche, c'est à dire que la fréquentation des sites "pirates" continue de baisser régulièrement. La tant vantée plasticité du web des années 1990-2000 (si vous supprimez un contenu ou une plateforme, le contenu ou une autre plateforme surgissent ailleurs) reste opératoire mais la massification des usages à énormément normalisé les pratiques et pour "le grand public" (sic), quand une plateforme ferme ou qu'un contenu disparaît … ben une plateforme ferme et un contenu disparaît 🙁

Q comme Question.

Il ne s'agit pas pour moi d'émettre un "avis" sur ces logiques de dé-référencement et de désindexation. Ni de vous dire une nouvelle fois de ce que je pense des vertus de l'offre illégale ou plus exactement des échanges non-marchands. Mais de pointer une évolution et de rappeler quelques évidences.

Lutter contre le téléchargement illégal en désindexant des contenus sur Google est certes (très) efficace. Efficace et relativement légitime quand les demandes émanent des ayants-droits, à mon sens beaucoup moins – légitime – lorsque c'est un algorithme qui gère l'ensemble de la chaîne de visibilité et de "partage", d'autant que cet algorithme est celui d'une société qui gère à la fois l'hébergement des contenus et les logiques d'accès à ces mêmes contenus dans un cercle qui n'a de vertueux que le nom. Cette efficacité doit nous rappeler, d'abord, que Google n'est pas éternel, même s'il occupe aujourd'hui (en France tout au moins) l'essentiel des parts de marché sur le secteur du Search et ce faisant draine vers lui l'attention de toute une collectivité qui se trouve ainsi avec un statut "d'aliénée volontaire". Nous rappeler également et surtout que nous avons complètement laissé filer le débat que nous aurions dû avoir il y a déjà au moins 5 ans de cela sur la "responsabilité" des moteurs de recherche et l'ouverture "publique" d'une partie de leurs algorithmes.

R comme responsabilité ?

Et que nous sommes aujourd'hui tous mis devant le fait accompli : Google, Facebook et les autres font aujourd'hui ce qu'ils veulent. Ils ont la capacité, en en désindexant certains, en surpondérant d'autres contenus issus de leur propre écosystème de sites tiers ou de régies affiliées, de façonner à leur main des pans entiers de l'offre et du marché des industries culturelles et créatives (que cette offre, ce marché et ces contenus soient d'ailleurs légaux ou illégaux). Sans que jamais un débat n'ait eu lieu publiquement sur la "responsabilité" des moteurs de recherche (ou aujourd'hui des réseaux sociaux), sans que jamais cette responsabilité n'ait d'ailleurs été attestée ou invalidée juridiquement, nous voilà donc aujourd'hui avec des moteurs qui ne sont responsables que face à eux-mêmes ou face au lobby de quelques majors des industries culturelles. Ce qui pose un autre problème : l'essentiel des personnes qui utilisent Google le font en pensant qu'ils se trouvent sur un moteur de recherche "objectif" alors même que le côté massif de la désindexation pratiquée ferait pâlir d'envie n'importe quel censeur nippon.

A force d'atermoiments sur la responsabilité des sites hôtes et des principaux pourvoyeurs d'accès (à ne pas confondre avec les "fournisseurs d'Accès", FAI, qui ne sont eux responsables de rien, en tout cas tant que durera la neutralité du net, c'est à dire je l'espère mais n'y crois guère, le plus longtemps possible), à force d'atermoiments sur la responsabilité des sites hôtes et des principaux pourvoyeurs d'accès, disais-je, nous avons laissé se mettre en place une responsabilité purement "contractuelle" qui ne sert que les oligopoles déjà constitués et consitue un frein au développement de modèles d'usage qui auraient pu se présenter comme autant d'alternatives crédibles et fécondes (je pense notamment à la question de la licence globale ou à celle plus prometteuse mais beaucoup plus controversée de la légalisation des échanges non-marchands).

Au lieu d'une responsabilité claire, nous avons des agents économiques qui s'abritent ou se drapent derrière une réactivité de bon aloi, ne servant que leurs propres intérêts. Le "responsive" l'emporte sur le "responsable" et l'équilibre des marchés dame le pion à toute vélléité de commerce ou de partage équitable. Nous sommes une nouvelle fois en train de laisser la main aux seuls algorithmes, à des logiques d'automatisation, qui nous échapperont demain complètement ou qui, en apportant de fausses mais immédiates réponses sur des sujets essentiels (celui de l'offre culturelle et des accès liés), font que nous nous poserons trop tard les vraies questions sur le partage de la valeur au regard des nouveaux modes de consommation culturels.

Droit à l'épuisement.

A la marge et sans lien apparent, la question du droit à l'oubli des individus fait écho à la question de la doctrine de l'épuisement des droits dans le domaine du partage des contenus culturels**. Je m'explique. Les débats récurrents autour de l'existence possible d'un droit à l'oubli ne mènent pour l'instant à rien, sauf, cas exceptionnel, dans le cas de cette première décision de justice (française) condamnant Google. Nous avons donc la situation suivante : un individu, dès lors qu'il est présent sur les internets (notamment mais pas exclusivement dans les "jardins fermés") se trouve, de facto et ab absurdum dans une situation concrète d'épuisement d'un très grand nombre de ses droits : au mieux il lui est très difficile de contrôler l'utilisation de son image (et de sa parole, de ses écrits, etc.), au pire – et la plupart du temps – les contenus qu'il produit ou diffuse deviennent la propriété des sites dont il a signé les CGU, lui même n'étant d'ailleurs qu'un "document comme les autres", un document parmi d'autres. Il s'agit d'un scandaleux et paradoxal renoncement : les "droits" des contenus culturels sont mieux algorithmiquement contrôlés et surveillés que certains "droits" pourtant fondamentaux des individus (l'exemple de la décision de justice à l'encontre de Google est assez édifiant). La raison est assez simple : l'économie des industries culturelles se situe dans un héritage de rentes à préserver, alors que l'économie des données personnelles (dont le droit à l'oubli fait partie) commence à peine à en inaugurer de nouvelles (rentes). Le plus grand danger (et il est imminent) serait de confier à d'autres algorithmes le soin de surveiller et de contrôler les droits des individus comme ils contrôlent aujourd'hui l'ensemble des paramètres et du périmètre de leur expression et de leurs productions. Que nous renoncions ou échouions, une fois de plus, à ouvrir le débat sur la nécessité d'un rendu public d'une partie des algorithmes qui nous gouvernent. Que nous passions à côté de la possibilité offerte de construire un index indépendant du web, seul capable de nous (re)mettre collectivement de nouveau en situation de choisir la nature et l'étendue des droits que nous jugerons "épuisables", plutôt que de nous épuiser à poursuivre des chimères algorithmiques justement inépuisables.

** dans le cadre des propositions pour une légalisation des échanges non-marchands de la Quadrature du Net, "l'épuisement des droits est une doctrine juridique (dont l'équivalent anglo-saxon est la doctrine de la première vente) qui fait que lorsqu'on entre en possession d'une œuvre sur support, certains droits exclusifs qui portaient sur cette œuvre n'existent plus. Il devient possible de la prêter, donner, vendre, louer dans certains cas."

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.

Articles similaires

Commencez à saisir votre recherche ci-dessus et pressez Entrée pour rechercher. ESC pour annuler.

Retour en haut