Et la BnF passa définitivement du côté obscur.

(vit'fait, énervé)

Faut dire que c'était aujourd'hui ou jamais. Aujourd'hui que sortait sur tous les écrans Star Wars 7 et que la BNF choisissait pour diffuser ce communiqué, annonçant accrochez-vous, qu'elle avait signé un partenariat avec Apple pour diffuser 10 000 ouvrages du 19ème siècle (et donc du domaine public), un partenariat dans le cadre duquel les autres libraires pourraient à leur tour diffuser les mêmes fichiers mais uniquement dans un an, et un partenariat (accrochez-vous vraiment à quelque chose de super bien fixé dans le sol) dans lequel la BNF récupérerait l'exploitation des fichiers au bout de … six ans !!!

J'ai d'abord lu l'info chez Hervé Bienvault, je n'y ai d'abord pas du tout cru. Et puis j'ai lu cet hallucinant communiqué annonçant que la BNF filait à Apple un droit d'exploitation exclusive d'ouvrages du domaine public pendant 6 ans.

Bnf

Cerise sur le gâteau et poignée de gravier dans la vaseline, lesdits fichiers (du domaine public) seront pour certains, gratuits, et pour d'autres (lesquels ? combien ?) vendus jusqu'à 1,49 euros (je rappelle que dans le cadre du modèle Apple, la moitié 30% du prix d'un fichier vendu retombe dans la poche d'Apple).

Alors soyons clairs : n'importe quel éditeur, y compris la BNF, à le droit de vendre des ouvrages appartenant au domaine public. C'est même pour cette raison que le domaine public n'est pas juste un truc de babas-cool qui trouvent que la guerre ça tue et que l'argent ça pue, mais aussi un élément fondateur et essentiel de l'économie (au sens premier) de la connaissance et des industries culturelles. Donc y'a pas de blême. Mais.

Mais que la BNF ose l'idée que 10 000 fichiers epub d'ouvrages du domaine public vont se trouver en vente (exclusive) sur l'Apple Store et "seront 6 ans plus tard en libre accès sur Gallica", c'est du pur foutage de gueule, un déni manifeste de la mission de la même BNF, une énième et pathétique preuve de la totale gabegie que constituent les partenariats publics privés dans cette noble institution, sans parler du cas manifeste de copyfraud.

Pour couronner le tout, le communiqué de la BNF donne dans le plus hypocrite des cynismes en rappelant que les fichiers seront diffusés au format epub, "standard universel et ouvert du livre numérique" mais omettant de préciser que le même standard universel et ouvert peut être farci de DRM propriétaires, ce qui est souvent le cas dans l'écosystème Apple, empêchant ainsi toute diffusion ou réappropriation non-contrainte et toute jouissance matérielle pleine et entière d'un bien dûment acquitté fusse-t-il par ailleurs gratuitement accessible … dans le domaine public.

C'est tellement hallucinant que je ne trouve même pas de comparaison. Ah si tiens, c'est un peu comme si la SNCF annonçait qu'elle mettait un place un partenariat avec AirB'nB !

Rendez-moi un service, si vous cherchez un livre d'un auteur français du 19ème siècle, ou même d'avant, ou même d'après, oubliez Apple et cette pathétique pantalonnade de partenariat dans le cadre duquel la BNF s'auto-émascule en s'interdisant de diffuser  – et en privant le public – pendant 6 ans des ouvrages qui appartiennent au domaine public. Et allez directement les chercher là où ils sont tous, à leur place. Sur le projet Gutenberg par exemple.

<Mise à jour de 10 minutes plus tard>

Or donc des éléments d'information complémentaires sont disponibles ici et . On y apprend – c'est important – que les "textes" sont déjà et resteront disponibles gratuitement sur Gallica. Quand je dis "les textes", je dis "la version numérisée en mode image des textes". Ben oui. Certains trouvent que c'est moins grave et que du coup il n'y a pas "copyfraud" mais simplement une source de financement légitime, un maintient du service public (puisque les textes restent accessibles gratuitement dans Gallica donc) et une entreprise américaine (Apple) qui distribue des ouvrages avec une petite exclusivité d'un an et qui fait (Apple toujours) bosser plein d'entreprises françaises pour passer d'un fichier en mode image à un nouvel objet éditorial en mode texte. Pourquoi pas. Sauf que.

Sauf que, par exemple, Pierre et Jean de Maupassant dans Gallica c'est ça. Certes c'est mieux que rien, certes tu peux le télécharger gratuitement en pdf, certes si tu mets ce pdf dans ta liseuse tes yeux se mettent à saigner. Donc on va nous vendre sur Apple pendant un an (et puis chez tous les libraires au bout d'un an) un "joli" Pierre et Jean en epub sans DRM (apparemment c'est sûr), lequel joli Pierre et Jean se retrouvera gratuitement (?) sur Gallica dans 6 ans. Ben oui mais Pierre et Jean en Epub joli et propre le problème c'est qu'il est aussi et déjà là depuis looooongtemps. Donc je continue de ne pas comprendre l'intérêt de filer à Apple (ou à n'importe qui d'autre) une exclusivité, de même que je ne vois pas non plus l'intérêt de "faire bosser plein d'entreprises françaises" (nous dit-on) pour faire un boulot qui est heu … ben déjà fait et bien fait.

Lire aussi le billet saignant de Nicolas Gary sur Actualitté et les premiers tests du service effectués.

</Mise à jour de 10 minutes plus tard>

 

5 commentaires pour “Et la BnF passa définitivement du côté obscur.

  1. « en epub sans DRM (apparemment c’est sûr) »
    Hier encore les conditions générale d’Apple précisaient pour la partie iBooks que ce sont des licences d’utilisation qui sont vendues que ça ne peut être lu que sur des appareils iOS. Apple modifierait ses conditions pour permettre une véritable accès libre aux fichiers ? Personnellement, j’en doute très fortement.

  2. Ça m’a aussi énervé à l’époque, mais la BnF a déjà passé un accord de ce type avec divers partenaires pour la numérisation de disques du domaine public : http://gallica.bnf.fr/html/und/bnf-collection-sonore
    Résultat : « 45 000 disques ont ainsi été numérisés, enrichis, découpés à la plage. Ils sont progressivement mis à la disposition de tous grâce à une diffusion sur l’ensemble des plateformes musicales : iTunes, GooglePlay, Deezer, Qobuz, Spotify, FNAC, Amazon ».
    A la disposition de tous mais, ce n’est pas précisé, à 0,99 € le titre pendant un certain nombre d’années (je ne sais plus combien) !

  3. Ouarf ! Refusé Google, le plus populaire des moteurs et méchant par excellence pour aller dans les bras de l’élitiste Apple, un choix très français à l’image de nos dirigeants déconnectés…

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