Droits d’auteur : entre protection de l’oeuvre et petits arrangements

Pour archivage personnel je reproduis ici un texte paru hier (29 Janvier) dans le journal Ouest-France (et qui avait été rédigé sur demande courant décembre).

NBJFF (Nota-Bene Just For Fun) : il s'agit sans conteste de mon texte le plus lu depuis 10 ans puisque l'édition d'hier du journal était tirée à 743 211 exemplaires.

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Chaque 1er janvier un très grand nombre de livres, de films, de musiques entrent dans le « domaine public ». En France et dans la plupart des pays d'Europe, il suffit pour cela que l’auteur soit décédé depuis 70 ans, ce qui correspond à la durée de protection couverte par le droit d’auteur.

Vous connaissez ces œuvres : sans elle, et sans le domaine public, votre banque ne pourrait pas accompagner son spot de pub télé d’un morceau de Vivaldi, Alexandre Astier n’aurait pas pu écrire Kaamelot, vous ne pourriez pas télécharger légalement et gratuitement les vieux dessins-animés de Betty-Boop ou de Superman, etc. Sans le domaine public il nous serait impossible de consulter et de diffuser des œuvres essentielles pour notre culture, notre divertissement, notre intelligence.

Mais le domaine public permet également de nourrir tout le tissu économique de la création, puisque chaque éditeur peut mettre en vente une « nouvelle édition » d’un livre, chaque cinéaste peut produire un film ou une série à partir de l’œuvre, chaque musicien peut sampler, mixer et adapter tout ou partie d’une œuvre, et ainsi de suite.

C’est malheureusement aussi pour cette raison que nombreux sont ceux qui s’efforcent de retarder l’entrée d’une œuvre dans le domaine public : ils risquent de perdre le monopole de l’exploitation commerciale de l’œuvre. Difficile pourtant, 70 ans après la mort de l’auteur, de considérer que ses ayants-droits (c’est à dire ses arrières petits enfants) doivent encore percevoir des droits d’auteur sur l'oeuvre de leur glorieux ancêtre.

Mais les sommes en jeu sont parfois si considérables que l’appât du gain l’emporte sur l’intérêt collectif. Ainsi aux Etats-Unis, la durée de protection des droits d’auteur a été augmentée de 20 ans, notamment sous la pression de la Walt Disney Company dont le personnage Mickey Mouse aurait dû entrer dans le domaine public en 1998. Le même Walt Disney qui avait pourtant profité de l’entrée dans le domaine public de l’œuvre de Lewis Caroll pour faire son Alice au pays des merveilles en version animée !

En France, même quand une œuvre s’élève dans le domaine public, les ayants-droits gardent pour toujours ce que l’on appelle le « droit moral », c’est à dire la possibilité de s’opposer à l’utilisation d’une œuvre qui viendrait dénaturer l’original.

Prenons un exemple d’actualité : Anne Frank est morte en 1945, son Journal doit donc entrer cette année dans le domaine public. Le fonds Anne Frank qui gère les droits de l’œuvre s’y oppose et explique qu’il y a un risque de voir des adaptations qui dénatureraient l’œuvre (par exemple en niant l’existence des chambres à gaz). Or il pourrait, grâce au droit moral, en bloquer la diffusion, tout en permettant à des réalisateurs, à des éditeurs de produire de nouvelles adaptations respectueuses de l’œuvre.

Dans le cadre de la loi numérique d'Axelle Lemaire actuellement en débat, un amendement est discuté. Puisse-t-il être adopté : il permettrait d'inscrire dans la loi une reconnaissance "positive" du domaine public pour faciliter l'entrée des oeuvres et éviter certains détournements du délai de 70 ans.

Le collectif SavoirsCom1 qui milite pour que le domaine public bénéficie d’une reconnaissance positive dans la loi, met en ligne depuis déjà 2 ans un calendrier de l’Avent du domaine public : www.aventdudomainepublic.org. Vous y redécouvrirez les auteurs, les œuvres qui sont entrés dans le domaine public au 1er Janvier 2016.

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