Classiques connectés #4 : L’isolement.

L'isolement

Souvent sur le réseau, à l'ombre d'un profil,
Au coucher du soleil, tristement je navigue ;
Je m'oriente au hasard en remontant le fil,
Quelque pub ou mot-clé discrètement me guide.

Ici un algorithme aux vagues mémorielles,
Serpente et nous indexe au coeur d'un cloud obscur ;
un mur immobile veut nous prêter des ailes
Qui toujours nous ramènent au pied d'un autre mur.

Au sommet des GAFA* couronnés de "likes" sombres,
Les régies affiliées viennent s'encanailler
Et le char vaporeux du marketing ciblé
Du profil d'une proie, bâtit un grand jeu d'ombres.

Cependant, s'élançant du village global,
Un cri dit : "c'est gratuit, vous êtes le produit !"
Le voyageur s'arrête, contemple son bocal :
N'entend qu'un vague bruit, et aussitôt l'oublie.

Mais à ces grands réseaux mon âme indifférente
N'éprouve devant eux ni charme ni transports ;
Je contemple le web ainsi qu'un ombre errante,
404 regards qui tissent des liens morts.

De start-up en spin-off en vain portant ma vue,
Je n'en découvre aucune qu'un géant ne rachète,
Mesurant chaque instant, du graphe, l'étendue,
Et je dis : " Nulle part le bonheur ne m'attend."

Que me font ces moteurs, ces réseaux, planétaires,
Vains objets dont pour moi le charme est envolé ?
Sites, pages, billets, publicités si chères,
Un seul profil vous manque, et tout est dépeuplé !

Que Google Earth commence, que Google Maps s'achève,
D'un oeil indifférent je les suis dans leur cours ;
En un Cloud sombre ou pur qu'il se couche ou se lève,
Qu'importe ces données ? Je n'attends rien des jours.

Quand je pourrais défaire ces rêts de surveillance,
Mes yeux n'y verraient rien qu'odieuse nécessité :
Je ne désire rien de ce monde indexé ;
Je ne demande rien aux algorithmes rances.

Mais peut-être au-delà de ces jardins fermés,
Lieux où les vrais chemins comptent autant que les liens**,
Si je pouvais laisser ces mémoires, imposées,
Ce que je publierais, chacun le ferait sien !

Là je m'énivrerais à la source sans âge ;
Là, je contrôlerais et le code, et la page,
Et ce bien idéal que toute âme désire,
Et que nul algorithme, ne peut dire ou prédire !

Que ne puis-je, enfermé, valant pour eux de l'or,
Vague objet de mes voeux, m'élancer jusqu'à toi !
Dans ces jardins fermés pourquoi resté-je encore ?
Il n'est rien de commun entre leurs murs et moi.

Qu'un billet, qu'un profil, se trouve à sa merci,
L'algorithme s'élève, l'arrache à la raison ;
Et moi, je suis semblable à la donnée saisie :
Emportez-moi comme elle, et rendez-moi raison !

—————

*GAFA : Acronyme employé pour désigner "Google, Amazon, Facebook, Apple", et plus généralement l'ensemble des grands écosystèmes dominants.

** en référence au texte fondateur de Vannevar Bush, "As we may think", "père" visionnaire de l'hypertexte et qui dans son dispositif, le Memex, indiquait "le chemin compte autant que le lien".

Pardon au camarade Alphonse. L'original est là. Et les autres classiques connectés par ici 🙂

 

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