Il fallait bien que ça arrive. A force d'avoir des enfants scolarisés au collège et à force de voir ma tête dans quelques journaux locaux rapport à mes tentatives désespérées de finir en prison, je me suis fait gauler. L'équipe du collège Piobetta (Vendée), par l'entremise de son documentaliste professeur-documentaliste, m'a donc gentiment demandé d'intervenir devant des classes de 6èmes "pour venir leur parler d'internet". Ce que j'ai naturellement accepté. Parce que je suis gentil. Et que j'aime bien parler des internets aux gens.
Je ne vous cache pas que la rédaction du powerpoint ci-dessous a, de très loin, été la présentation la plus difficile qu'il m'ait été donné de faire depuis 20 ans que j'en fais (des présentations). Et ce principalement du fait de la nature du public : des élèves de 6ème donc. Difficile parce que je voulais éviter de sombrer dans trois écueils majeurs :
- 1er écueil : tenir un discours moralisateur ou culpabilisant en mode "attention aux dangereux pédo-nazis", "attention aux fausses informations", et autres "le téléchargement c'est le vol" ou "trop d'écran nuit à vos capacités de concentration". Bref, éviter le #bullshit, l'hygiénisme et la morale.
- 2ème écueil : tenir un discours trop complexe sur les enjeux, l'histoire d'internet, le modèle économique, le changement des modes de communication et de gouvernance. Parce que oui quand même tout est dans tout et réciproquement.
- 3ème écueil : faire le boulot du documentaliste dans ses séquences d'EMI (Education aux Medias et à l'Information). J'ai donc soigneusement évité de consulter les programmes scolaires sur le sujet, et j'ai fui les exemples de séquences pédagogiques dédiées : je ne suis pas professeur-documentaliste, les élèves ne me verront qu'une seule fois, il faut donc que je raconte une histoire qui se tienne et qui parle à tout le monde indépendamment de toute notion de "niveau" ou de "pratique".
Le tout en restant assez fun puisqu'il s'agit d'un "machin" présenté dans le cadre du CDI et risquant d'être perçu comme, disons, un peu superfétatoire (en mode "mais c'est qui ce type", "mais pourquoi il vient nous causer de ça", "ouais c'est bon internet on connaît on est né dedans") et sans avoir à rentrer dans des trucs trop techniques (genre réglage des paramètres de confidentialité), vu que je n'en aurai de toute façon pas le temps et que c'est déjà inclus dans les programmes que je n'ai pas regardés 😉
Mais la préparation de cette présentation fut aussi l'une des plus jouissives. Du fait de ce nouveau public (je me limitais jusqu'ici à un spectre allant de classes de terminales à de la formation pour adultes), et du fait du travail que cela m'a demandé pour expliquer le plus simplement possible des choses sinon extrêmement complexes du moins relevant d'enjeux relativement compliqués à saisir dans leur globalité.
Pour me filer un coup de main au démarrage, j'avais reçu quelques "questions" que le professeur-documentaliste avait demandé aux élèves de lui soumettre afin de préparer mon intervention. Je vous en livre quelques-unes parce qu'elles sont vraiment délicieuses.
- Quand ont été créés les sites sexuels ?
- Est-ce que quand on est sur Internet tout le monde peut voir ce qu'on fait ?
- Comment hacker Internet ?
- Pourquoi les jeux sont payants ?
- Pourquoi les photos qu'on met sur FaceBook « reviennent » (sont visibles?) sur Google ? C'est énervant
- Pourquoi Internet existe ?
Et ma préférée :
- Qui remplit les moteurs de recherche ?
Et donc tout s'est bien passé et voilà le résultat 🙂
Bonjour,
approche intéressante et bien caractéristique de votre style. Quel a été le retour (élèves, enseignant)?
J’ai choisi, avec mon collègue de travail, d’aborder les choses de façon non numérique au tableau avec feutres et basta, pour ne pas perdre en concentration et limiter le temps d’installation (intervention sur une séquence de cours soit 50 minutes, c’est court). Comme vous l’avez bien analysé, il s’agit de commencer à infuser un début de culture numérique sans faire la morale, ni tomber dans la grande proximité, ni remplacer mais plutôt compléter l’EMI (ou l’EMC en classe de 1ère, très intéressant). Cdlt
J’aime bien votre travail, je pense que ce moment de partage avec les élèves a du être très profitable et très agréable pour eux.
C’est bien d’apprendre en s’amusant !
Je pense que ça vaudrait le coup de montrer cette présentation à des adultes. On pourrait prendre par exemple un échantillon, je sais pas moi, de ministres ou de députés pour commencer.
On placerait des fraises tagada au milieu de l’hémicycle, puis on aborderait les petits sujets sympas du moment :
« harcèlement sexuel, de l’assemblée aux internets, perspectives et risques juridique »
« Hacker la démocratie, comment les députés vont-ils se faire uberiser s’ils continuent à patauger dans la semoule »
Etc.
Merci exactement ce que je cherchais pour mes nièces et neveux !
Bonjour,
Je suis professeur-documentaliste.
Une question : comment les élèves ont-ils réagi à la vue de la photographie de la fille aux gros seins sur une des diapos? Et évidemment à la reproduction du tableau L’ Origine du Monde?
Vous avez de la chance de ne pas avoir eu d’ennuis avec les fédérations de parents d’élèves!
J’envoie le lien de votre diaporama à mes collègues.
J’hésite à le publier sur le blog de mon CDI ( à cause d’une diapositive!). Moi aussi, j’aime bien votre travail!
J’espère que vous ne finirez pas en prison!
Bonjour,
Merci pour tout Olivier Ertzscheid. Je n’ai malheureusement pas le temps de vous lire régulièrement mais vos articles sont toujours pertinents et enrichissants.
Je suis aussi prof doc. Et je me permets de répondre, Françoise Grave, à deux de vos questions. Oui, des élèves peuvent être « choqués » quelles qu’en soient les raisons. Mais, premièrement, une image de femme aux seins nus, ils peuvent et vont en trouver (web, Tv, cinéma…). Quant à Courbet et les arts en général, va-t-on (faussement) pudiquement voiler les œuvres sous prétexte qu’elles dérangeraient certains? Est-ce une incitation à la pornographie, un attentat à la pudeur? Y-a-t-il une « intention » délictuelle? Non. Deuxièmement, les fédérations de parents, ce sont avant tout des gens comme vous et moi. Je suis parent, peut-être l’êtes-vous aussi… il n’y a pas de position toute-puissante des uns sur les autres. Un élève de 6e a dernièrement été « effarouché » par les nus d’un tableau de Le Cranach l’Ancien (Adam et Eve). Ok. Et alors? Ce sont des corps nus, point. Et il a poursuivi son travail. Bien évidemment que certains peuvent bloquer plus sérieusement, mais notre rôle de passeur doit nous conforter dans la nécessité de leur présenter ce qui peut « agiter leur esprit » (pour reprendre un certain slogan) car la culture, c’est également cette rencontre avec l’Autre. Et tant pis pour ceux qui ne le comprennent pas.
Et je reviens en tout dernier à vous M. Ertzscheid pour saluer votre courage et votre détermination dans la lutte de ce droit de tous à accéder le plus librement et de façon la plus égalitaire possible à cette culture qui nous nourrit. Encore merci!
Bonjour, serait-ce possible de publier également le discours associé à la présentation?
Bravo pour ce travail qui en effet ne tombe pas dans les écueils mentionnées dans l’article.
Super. Surtout à ne pas réserver aux sixièmes …
Le truc, c’est qu’il n’y a PAS de photo de femme aux seins nus, ce sont ses bras. Et le problème, c’est que facebook a censuré cette photo parce que si on regarde rapidement, on a l’impression qu’elle montre des seins, énormes, mais non. Ce n’est pas le têton mais le coude.
Bref, très bien cette présentation, bravo !
Est-il possible d’en avoir une version off-line ? Genre PPT ou ODP ? Merci 🙂