Je sais. On ne gagne pas une élection avec un slogan. Mais quand même vous ne m'ôterez pas de l'esprit que ça peut aider. D'autres que moi et bien plus éminents, et bien plus légitimes, l'ont très souvent démontré : la politique est avant tout affaire de mots, de langue. Et la victoire de celui-ci ou la défaite de celle-là est bien souvent d'abord la victoire ou la défaite de ses mots.
Ce n'est pas par hasard que l'on se souvient du "monopole du coeur" ; ce n'est pas par hasard que le "mais bien sûr Monsieur le Premier Ministre" ou – dans un autre genre – le "casse-toi pôv' con" resteront gravés dans nos mémoires électorales et citoyennes. Ce n'est pas un hasard lorsque les anaphores tombent comme autant d'uppercuts : "Moi président", et l'autre acculé, dans les cordes.
C'est parce que le langage compte plus que tout, parce qu'il est plus que tout comptable d'une histoire et d'un réel, qu'au moindre coup de Trafalgar on change subitement le nom de son parti.
Le dernier grand hold-up linguistique est incontestablement à attribuer au parti jadis présidé par Nicolas Sarkozy quand celui-ci fit le choix de changer l'eau en vin et l'UMP en "Les Républicains". Hold-up au premier degré car quiconque dans le champ associatif ou politique se disant désormais "républicain" ne peut pas le faire sans mentionner le nom d'un parti qu'il peut par ailleurs avoir choisi ou envie de combattre, et qui, justement, refuse de se dire "parti". "Les républicains" et non "le parti républicain". On l'a bien vu souvenez-vous au tout début dans la gêne et l'embarras linguistique étreignant journalistes et éditorialistes bien en peine de présenter Monsieur ou Madame Untel non pas "du parti républicain" mais "de Les Républicains". C'est pour effacer cette syntaxe hasardeuse que l'on est tenté de dire simplement Monsieur ou Madame Untel des républicains, et de sombrer alors dans une chausse-trappe linguistique qui est le piège que l'on nous tend : faire d'un parti politique une vérité sociale ; on est républicain puisque l'on est "de Les Républicains".
Et puis il y eut, donc, le coup de génie de "En marche".
En marche. Qui résonne bien sûr avec l'hymne national : "Marchons, marchons, qu'un sang impur". Concaténation autant que conjonction d'un mouvement, d'un hymne et d'un nom. "En Marche" => Macron => Marchons.
En marche. Qui dépasse de loin la simple acronymie révérencieuse d'une 5ème république confondant par essence la présidence et la providence (EM = En Marche = Emmanuel Macron).
En marche. Un coup de génie sémantique, linguistique, rhétorique et politique par l'effet de contamination discursive qu'il a produit et par le réel qu'il a institué. Durant les longs mois de cette ahurissante campagne, et dans ces moments de "climax" que constituèrent les différents débats et plateaux télés ou radiophoniques, et particulièrement à quelques encâblures de la dernière ligne droite du 7 mai, presque tous furent tentés d'inclure dans une de leurs phrases l'expression "en marche". Ce "en marche" sur-saturé, ce nom de parti ou de mouvement si inédit dans sa forme et ressassé comme jamais par l'ensemble des médias, fut pour l'ensemble de ses opposants la peau de banane linguistique sur laquelle ils ne devaient surtout pas se faire prendre en flagrant délit de glissade. Que n'importe quel tribun n'appartenant pas à ce mouvement, dans n'importe quel discours s'adressant à ses ouailles s'écrie "En avant !" et il serait applaudi. Mais qu'à force de l'entendre et de le voir partout il s'écrie "En marche !" et ce lapidaire lapsus à la lapidation le condamnerait sans appel, ne lui laissant d'autres "marches" que celles de l'échafaud. Car dire "En Marche" c'est aussi dire Emmanuel Macron, c'est le faire exister, c'est le légitimer.
"En marche". C'est sauf erreur la première fois dans l'histoire de la république française qu'un mouvement ou qu'un parti se dote d'un nom littéralement performatif. Quand dire c'est faire. D'autres se souviendront longtemps à quel point ils trébuchèrent sur cette marche. Attention à l'En Marche.
La république en marche. L'effet escompté ayant été produit, jamais mouvement ne fut non plus si prompt à changer de nom : "En marche" eut à peine le temps de fêter son premier anniversaire qu'il devenait "La république en marche". Beaujolais politique, l'acronyme est nouveau aussi : "LR EM". Les acronymes sont sournois et leurs effets, têtus. "LR EM" plutôt que "EM" … "La République En Marche" ou "Les Républicains avec Emmanuel Macron" ? Et de quels républicains parle-t-on ici ? Ceux qui le sont (républicains) ? Ou ceux "de les" (Républicains).
Et faut-il voir là une clarification ou un premier accroc … acronymique ?
Je sais. On ne gagne pas une élection avec un slogan. Mais quand même.
Attention à l'En Marche.
Désormais c’est la République En Marche (REM). Avec deux petites remarques:
Avec l’assent c’est la République En Marché (con) et #REM c’est aussi la manière de commenter les lignes non-exécutées à l’intérieur du code de certains langages de programmation.