Le rapport de la cour des comptes sur l’ESR (et ce qu’il en adviendra quand on le placera, ainsi que ses auteurs, sur orbite)

A peine remis de la lecture du rapport de l'institut Montaigne, et au regard du traumatisme coprolalique qu'il m'avait infligé, je ne vous cache pas que j'ai tenté de résister de toutes mes forces à l'injonction d'aller m'enquérir du diagnostic de la cour des comptes sur l'enseignement supérieur et la recherche. 

Et puis j'ai craqué. Le présent billet est donc dédié à tous ces gens. J'ignore ce qui passe par la tête d'individus a priori sains d'esprits pour oser, je dis bien oser, formuler les "préconisations" listées dans ce rapport, préconisations qui sont à la fois un déni de réalité et une insulte à l'intelligence et à la dignité. 

Insulter Didier Migault et ses sbires ne servira à rien qu'à calmer mon courroux, j'en suis bien conscient, mais quand même. Il faut croire que ces gens-là font exprès de choisir la période de l'année où l'ensemble des personnels sont le plus à cran pour formuler des préconisations qui sont à l'intelligence et à la discussion constructive ce que l'allumette est au feu aux poudres. Donc allons-y. 

Ces gros branleurs resquilleurs d'étudiants boursiers. 

Alors que depuis plus de 10 ans on assiste à une explosion de la misère étudiante comment peut-on oser recommander de "contrôler l'assiduité des étudiants boursiers" (ce qui est par ailleurs déjà fait par le CROUS mais passons) parce que "le potentiel de recouvrement des bourses des étudiants non assidus étant évalué à 19 millions d'euros en 2015" ? Contrôler l'assiduité des étudiants boursiers pour récupérer 19 millions d'euros sur le dos de ces saligauds d'étudiants boursiers qui sèchent les cours ? Mais bordel dans quel monde vivent les gens de la Cour des Cons ? La misère étudiante explose, la moitié des étudiants sont obligés de travailler, près de 20% des étudiants occupent un travail qui "concurrence" le bon déroulement de leurs études (= ils bossent trop et sont trop crevés pour pouvoir suivre des études), ils sacrifient leur budget bouffe pour pouvoir payer le loyer de leur taudis miteux, la prostitution étudiante est toujours l'objet d'une ahurissante omerta, tous ces chiffres sont en augmentation constante et ces gros empaffés de la Cour des Cons, entre la poire du cynisme et le fromage du foutage de gueule, ne trouvent rien de mieux que de proposer de fliquer les étudiants boursiers ? C'est vrai qu'on tente déjà par tous les moyens de fliquer les chômeurs qui sont comme chacun sait responsables du chômage, alors quoi d'étonnant à vouloir fliquer les étudiants boursiers responsables du déficit du budget de l'enseignement supérieur ? 

Ces feignasses de personnels "BIATSS"

Alors bien sûr, la Cour des Cons ne limite pas le champ d'action de son réformisme putassier à la communauté de ces branleurs d'étudiants boursiers profiteurs. Trouvant l'anus de la communauté universitaire suffisamment dilaté pour y introduire de nouveaux tonfas réformistes, et le cas des ces feignasses d'étudiants boursiers étant réglé, voici donc que la Cour des Cons eut l'idée de génie consistant à "augmenter le temps de travail" des personnels techniques et administratifs. Qu'un très grand nombre d'entre eux soit au bord du burn-out, écartelés entre des services et des missions n'ayant plus aucun autre sens que celui de la "mutualisation" qu'on vend comme une solution et qui n'est qu'un problème, peu importe. Les BIATSS donc, c'est à dire les personnels ingénieurs, administratifs, techniques, sociaux et de santé et des bibliothèques, doivent travailler plus (sans bien sûr gagner plus), ce qui, pour la Cour des Cons, "permettrait d'abaisser le plafond d'emplois de chaque université". Ils sont mignons hein ? Moi je veux bien qu'on abaisse le plafond. Ou plus exactement qu'on le laisse s'effondrer. Mais uniquement sur la tronche de tous ces cons de la Cour des Comptes.

Ces enseignants chercheurs qui n'enseignent pas assez … 

Et puis bien sûr après ces tricheurs d'étudiants boursiers, après ces feignasses de BIATSS, reste l'épineux problème de ces lopettes d'enseignants-chercheurs. Du point de vue de la Cour des Cons, les profs ont beaucoup moins de temps d'enseignement au "profit" (sic) de leur temps de recherche et du temps consacré à différentes activités administratives. Résultat : les universités sont obligées d'embaucher plein de vacataires pour tous ces cours que ces salauds de profs n'ont plus le temps de donner parce qu'ils font de la recherche et des trucs administratifs et donc y'a des coûts d'heures supplémentaires et de vacations qui participent à la ruine du budget de l'ESR (enseignement supérieur et recherche) et bien sûr c'est la faute des profs qui n'ont qu'à enseigner davantage. Sans déconner.

Bien sûr quand j'ai lu ça ma première réaction a été de chercher un contact physique avec Didier Migault, gros con en chef de la Cour des comptes, pour échanger courtoisement avec lui sur le fait que la chute des prix de la vaseline restait globalement sans impact sur la diminution de la douleur de l'intromission d'une hallebarde dans un orifice corporel quelconque. Bien sûr le recours massif à des vacataires et à des heures supplémentaires n'est en aucun cas dû à un manque de postes (d'enseignants-chercheurs mais aussi de personnels BIATSS) récurrent depuis déjà bien avant le vote de la loi LRU. Bien sûr. C'est juste la faute des profs qui ne font pas assez de cours.  

Sur Twitter, un collègue proposait le graphique suivant

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Mais peu importe. Il ne sert à rien d'essayer de convaincre la Cour des Cons qu'elle fait fausse route et que toute son analyse est une honte, un affront et une indignité. La Cour des Cons est au service d'un projet de société qui consiste à désigner de faux coupables pour éviter que l'on s'interroge sur les vrais problèmes permettant de remonter aux vrais coupables de tous ces vrais problèmes. Lesquels – indice – ne sont pas à l'abri d'être justement les mêmes que ceux qui font en sorte qu'on désigne de faux-coupables pour éviter de s'interroger sur les vrais problèmes. J'me comprends. 

Dans ce monde là, mais dans ce monde là uniquement, les enseignants-chercheurs, les personnels techniques et administratifs et les étudiants sont tous fautifs d'assister impuissants à la démolition méthodique et programmée de leur outil de travail, qui est aussi et presqu'accessoirement, la garantie d'une société libre et émancipée, d'une société capable de fabriquer des citoyens plutôt que des utilisateurs ou des employés. Fautifs commodes et coupables idéaux. 

Lors même que je piaffais d'ahurissement en découvrant le contenu du rapport de la Cour des Cons, et ayant épuisé les ressources coprolaliques de l'association des mères suceuses de bites en enfer, une amie portant le même patronyme que moi me suggérait de consacrer à la Cour des Cons un billet mentionnant leur côté "club des pères lécheurs de chattes en enfer". Que Catherine en soit donc officiellement remerciée, ne serait-ce que pour l'épiphanie visuelle incarnée par cette image mentale 🙂

Tous ces rapports sont bien sûr symptomatiques d'une même volonté, sans faille, et d'un même projet, sans retour, initié avec la LRU et poursuivi avec le plus grand zèle par l'ensemble des gouvernements qui se sont succédés depuis le vote de cette loi. Cette volonté c'est celle de réduire le paysage de l'enseignement supérieur et de la recherche à une petite dizaine d'universités "d'excellence". Ce projet c'est celui de ne garder que la part immédiatement rentable de l'économie de la connaissance. C'est de très loin le meilleur moyen d'accompagner les politiques d'austérité qui font que l'écart des richesses ne cesse de se creuser (encore un coup des étudiants boursiers resquilleurs) tout en s'assurant de museler les quelques lieux où il était encore possible d'entendre un discours critique permettant de contester ce genre de logique.

La cerise sur le gâteau.

Mais oui bien sûr, rassurez-vous. En plus de celles listées dans ce billet, la cour du décompte des idées à la con a naturellement mentionné celle de faire exploser les coûts d'inscription à l'université. Un point est ici important à souligner : la cour des cons et l'institut Montaigne et tant d'autres hélas à commencer par un grand nombre de nos gouvernants, vivent et évoluent dans un univers semblable à celui du film Inception. Dans cet univers, il est possible d'écrire ceci : 

"Une augmentation des droits d’inscription aux diplômes nationaux, très faibles aujourd’hui (184 € en licence, 256 € en master), pourrait être envisagée sans accroître fortement le coût des études pour les familles."

Et oui. Quand tu lis ça rapido tu as presque l'impression qu'augmenter les droits d'inscription n'augmentera pas le coût des études pour les familles. Les magiciens appellent ça de la prestidigitation, les linguistes considèrent qu'il s'agit de rhétorique, et nous sommes de plus en plus nombreux à surtout avoir l'impression d'être entièrement nus et livrés aux volontés sodomites d'un proctologue pervers.  

Et pour le reste, vous, vous tous, de l'institut Montaigne qu'est méchant comme une teigne et des cons se comptant à la cour des comptes, oui vous tous qui avez de la réalité de l'enseignement supérieur et de la recherche à peu près la même vision que celle que François Fillon a de la réalité des personnels soignants dans une maison de retraite, je vous invite, je vous prie, je vous conjure de vous taire et d'aller, une bonne fois pour toutes, rouler votre honte dans la farine de votre indignité.

Pour le reste, le jour où l'on placera ces rapports et leurs auteurs sur orbite, ils n'auront en effet pas fini de tourner.   

Sources : 

Le torchon de la cour des cons (en pdf). L'article d'Educpros résumant les grandes lignes de cet appel à l'insurrection universitaire.

Nota-Bene : le formidable ramassis d'idées à la con contenu dans le rapport de la cour des cons est hélas loin de se limiter à l'enseignement supérieur. Collège et lycée mais également hôpitaux et services publics dans leur ensemble, nul n'est, hélas, épargné.

6 commentaires pour “Le rapport de la cour des comptes sur l’ESR (et ce qu’il en adviendra quand on le placera, ainsi que ses auteurs, sur orbite)

  1. J’aurais bien partager ce billet mais l’insulte homophobe et les références répétées à la sodomie comme pratique qui serait dégradante m’en dissuadent.

  2. Lis marsault, ça te détendra :p
    Bon papelard sinon, ma tolérance au bullshit diminuant fortement, ça me fait un bien fou.
    Bon et sinon on se fait gaiement saboter, et le plus terrifiant c’est que c’est pas par un quelconque génie du mal, mais par inertie bureaucratique, couverture de postérieur et incompétence généralisée.
    À part les fourches et les torches, on y fait quoi ?

  3. IL n’est nul part suggéré que la sodomie serait une pratique dégradante, il n’est question que du mal que ça peut faire, ou de l’idée qu’on s’en fait.
    Est-ce qu’au lieu de hurler à l’insulte homophobe, ceux qui trouvent que ça fait du bien pourraient essayer de comprendre un petit peu ceux qui trouvent que ça fait mal ? Si, si, il y en a, ça existe.
    Surtout que dans ce texte, il n’est pas question de doux badinages entre personnes consentantes du même sexe, mais bien d’agressions et de viols.

  4. Article très juste, si ce n’est sur la fin.
    Autant je pense qu’il y a consensus au sein de la communauté universitaire sur les trois premiers points évoqués dans cet article, autant le point de vue sur les droits d’inscription est, je le crois, loin de faire l’unanimité, au contraire de ce que semble suggérer l’auteur ici.
    La situation est intenable pour les enseignants-chercheurs en France, nous sommes bien d’accord. Et les trois leviers possibles sont bien connus : (1) investissement massif du MESR pour faire face à l’afflux de nouveaux étudiants et pour améliorer les conditions de travail du personnel ESR, (2) mise en place d’une sélection pour limiter drastiquement le nombre d’étudiants et améliorer la qualité des enseignements, (3) augmentation des frais d’inscription pour augmenter les ressources propres des universités à défaut d’une augmentation du budget du MESR.
    Il est toujours utile de regarder ce qui se fait à l’étranger, et des exemples nous montrent que l’augmentation des droits d’inscription ne passe pas forcément par un endettement des familles. L’Australie par exemple a mis en place dans les années 90 un système de prêt à taux 0 pour chaque jeune débutant ses études. Ces prêts ne seront remboursés que lorsque les bénéficiaires auront obtenu un emploi, moyennant un salaire au-dessus d’un certain seuil, et sur plusieurs années. L’expérience montre que ce système tend à responsabiliser davantage les étudiants, tend à réduire le taux d’échec en Licence, et n’a pas d’impact sur l’origine des étudiants qui s’inscrivent à l’université. Ce dispositif a des failles et je ne dis pas qu’il faut l’adopter à tout prix, mais je pense que le débat mérite d’être ouvert.
    A l’heure actuelle le système de l’ESR française est dans une impasse, et sachant que la solution (1) n’arrivera pas de sitôt, je suis d’avis qu’il faut laisser de côté les débats idéologiques et se mettre à explorer toutes les possibilités qui s’offrent à nous.

  5. @dudu Si on considère en effet qu’il ne faut plus se battre sur le partage du PIB entre rémunération du capital et celle du travail. La première échappant plus à l’effort de solidarité (moins de recettes fiscales) que la seconde. Et quitte à chercher des moyens, faire comme le Costa-Rica il y a plus de 60 ans, supprimer l’armée et redéployer le budget en faveur de l’éducation et de la santé est une autre option. Ca nous éviterait notamment d’aller mettre le cirque un peu partout, avec les effets boomerang qui vont justifier une intégration de l’état d’urgence dans le droit commun…Il doit bien y avoir d’autres moyens de motiver les étudiants que de les endetter pour 10-15 ans. Ce qui, vu le taux de chômage des jeunes, même diplômés reste une solution étrange…

  6. Analyse très fine par l’Institut Monte-en-l’air, mais qui ne vaut néanmoins pas la bien plus pertinente fondation IFRAP qui comporte « pour la recherche » dans son nom.

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