Peut-on rire de tout(es les technologies) ?

Au commencement de l'idée de cet article il y a une citation aperçue sur Twitter, une citation de la comédienne et humoriste – et accessoirement titulaire d'un DEA de sociologie – Blanche Gardin, qui disait ceci : 

"Les technologies ne font plus du tout appel à ce qu'il y a d'humain dans l'intelligence"

Elle parlait de ces "buzzers" que l'on voit – par exemple – dans les toilettes des aéroports mais également dans nombre de gares et qui vous demandent si vous êtes "satisfaits" ou "pas satisfaits" de la propreté et qui ne sont que la version "nudge" d'une domination de classe. 

Le génie comique est aussi cela : faire (sou)rire en parvenant à sublimer en une seule formule l'ensemble d'un champ scientifique d'analyse des systèmes techniques qui va de Wiener à Stiegler en passant par Simondon et poser un constat lucide et froid sur une réalité quotidienne.

"Les technologies ne font plus du tout appel à ce qu'il y a d'humain dans l'intelligence"

Partageant cette citation à mon tour et quelques échanges plus tard sur Twitter, mes co-gazouilleurs et moi-même constatâmes que le traitement humoristique des nouvelles technologies était devenu un "sujet". Et qu'à côté de Blanche Gardin, d'autres comme Guillaume Meurice (avec le lancement du groupe "The Disruptives") ou Haroun (et son spectacle "On rigole bien") ciblaient particulièrement et brillamment la "Start-up nation" et son néoparler.

En 2018 la start-up nation, l'intelligence artificielle, la Silicon Valley et l'ensemble de la sphère technologique numérique ne sont plus simplement des éléments contextuels ou des prétextes mais le coeur de la dénonciation et du sarcasme.

Derrière ces approches humoristiques c'est naturellement et comme souvent la construction d'un contre-discours politique et idéologique qui est frappante. Se moquer d'une société et de ses travers a toujours été l'un des moyens les plus efficaces de faire émerger une conscience politique auprès d'un public soit trop éloigné soit trop immergé dans l'objet qui constitue la cible de la critique. 

Ce qui est marrant – et finalement assez logique ou en tout cas cohérent – c'est que cette forme de "techno-bashing" émerge en même temps qu'un autre contre-discours qu'elle accompagne, un contre-discours parfois tout aussi radical autour cette fois des "affaires" et des scandales comme Cambridge Analytica mais aussi depuis la crise de la quarantaine des ingénieurs de la Silicon Valley. Et comme nous sommes nombreux à partager le constat que cette crise n'est que de façade et que les revirements annoncés auront tôt fait d'être récupérés, il est salutaire que le champ sociétal prenne le relai notamment au travers de la déconstruction que permet l'humour. 

Que la culture web du lol et du lulz se retrouve ainsi dans des formes de stand-up affranchies de l'objet (le web) qu'elles décrivent pour en faire un sujet (de débat) est aussi intéressant à observer que savoureux à déguster. 

Sans pour autant perdre de vue que naturellement et comme rappelé ici

"En fait, la dérision permet d’accepter la réalité tout en dénonçant l’absurdité de ce qu’il va falloir, bon gré, mal gré, appliquer, par discipline et principe d’obéissance (…)"

Mais choisissons aujourd'hui de rester optimistes. Aux côtés de l'inflation débilitante et superfétatoire de trucs en "-tech" comme les Frenchtech, Fintech, Edtech, Healthtech, Cleantech, Foodtech, Sextech, BeautyTech, PropTech (j'vous jure que tout ça existe), mais aussi de la Menstrutech sans oublier la Boobatech, et alors qu'une MoralTech en est toujours à ses balbutiements à prise pas rapide, il est plus que temps que la Loltech trouve elle aussi ses Champions des Doigts.

Sinon nous l'aurons tous dans l'AssTech.

En attendant et à chaque fois qu'on vous parlera ou que l'on tentera de vous vendre de l'intelligence artificielle ou un énième service en -tech, demandez-vous si cette technologie fait appel à ce qu'il y a d'humain dans l'intelligence.

<Update de 5 minutes plus tard> 

Dans la lolTech on me signale aussi la série Silicon Valley, que je n'ai pas (encore) vue. 

J'ai aussi oublié les Bullshit Bingo Awards, et l'indispensable Hackacon et ses projets à la con.

</Update>

 

 

Un commentaire pour “Peut-on rire de tout(es les technologies) ?

  1. Ah ben voilà, enfin ! Rire des technologies ! 18 ans après sa parution, je peux enfin (re)-promouvoir mon roman le plus précurseur du monde « Domo Dingo, la vie domotique », farce qui appliquait à la lettre toutes les conneries dites et écrites sur le numérique entre en gros 1995 et 2000 —dont celles de l’impayable Nicholas Negroponte (vous vous souvenez de celui-là?). Il était temps les gens 🙂 Pfff.
    https://www.decitre.fr/livres/domo-dingo-9782290303139.html

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