Dans le film "La cité de la peur" de la troupe de Les Nuls, il y a cette scène entre Chantal Lauby et Gérard Darmon aux dialogues ciselés :
"Vous voulez un Whisky ?
Oh juste un doigt.
… Vous ne voulez pas un Whisky d'abord ?"
Pour avoir adressé un doigt d'honneur à des CRS qui venaient de le repousser après lui avoir lancé à plusieurs reprises des grenades de désencerclement dans les jambes, et alors qu'il demandait à rencontrer leur chef d'unité, Gaspard Glanz a passé 48h en garde à vue et se trouve avec une interdiction de séjour dans la capitale tous les samedis de manifestation ainsi que le 1er Mai.
"Vous voulez un peu de justice ?
Oh juste un doigt.
… Vous ne voulez pas un peu de justice d'abord ?"
Tout ou presque a déjà été dit et bien dit par d'innombrables articles et Tweets dont je choisis d'extraire le texte de Frédéric Lordon paru sur Lundi.am, absolument remarquable, ainsi que celui de Daniel Schneidermann, qui éclaire l'affaire Glanz au regard des deux autres affaires de manipulation de l'information émanant des rédactions de CNews (vidéo truquée présentant des images de Macron au Touquet ce week-end avec … Alexandre Benalla comme garde du corps) et de LCI (utilisant un biais de présentation vieux comme le monde pour faire croire que Nathalie Loiseau est la candidate la plus populaire).
<Mise à jour du début d'après-midi> Suite à la bronca sur Twitter et aux remarques de Benoit Hamon, LCI a finalement modifié son titre. </Mise à jour>
A ces affaires et à ces textes je me permets de renvoyer vers l'histoire que j'ai moi-même vécue concernant le passage de l'ENA à l'ISF, qui était donc en fait une blague et qui pouvait être assez aisément sourcée, mais pour laquelle un article du Parisien s'est contenté de mentionner "d'après nos informations" et qu'une dizaine – au moins – d'autres grandes rédactions ont repris sans jamais non plus de leur côté tenter de vérifier la source du Parisien. Ce matin d'ailleurs, au moment d'écrire cet article (il est 11h45), plusieurs de ces mêmes rédactions, et d'autres au passage dont le Huffington Post et le Figaro ont – accrochez-vous – contacté l'Elysée qui a – logiquement – démenti l'info, mais aucun article ne semble reprendre l'info que je vous donnais hier soir sur ce blog avec la source originale du canular. Ce qui est tout de même assez … dingue.
Le trucage pathétique de Cnews avec des images de l'année dernière, le biais de présentation de LCI digne du stagiaire de troisième qui aurait pris option sophisme et rhétorique, et l'incapacité d'une bonne vingtaine de "grandes" rédactions médias à faire autre chose que du copié / collé d'articles de confrères alors même que les articles initiaux pêchaient déjà par l'absence totale de recherche de sources ou par leur omission délibérée à la recherche du Buzz … tout cela est assez déprimant et offre une vision assez catastrophique du paysage médiatique et du fonctionnement de certaines grandes rédactions.
Sans oublier, bien sûr, le fait que nombre de ces mêmes rédactions ne respectent même pas le code du travail comme rappelé par Sandrine Chesnel. Ce qui – en même temps – explique aussi peut-être un peu pourquoi de tels errements se multiplient indépendamment de toujours possibles directives politico-éditoriales.
Et tout cela l'est d'autant plus – déprimant – que c'est donc dans ce contexte là qu'un reporter, photographe, documentariste se voit dénier par la justice le droit de faire son travail et de produire une information aujourd'hui absolument nécessaire à plus d'un titre.
L'arrestation, la garde à vue et l'interdiction de séjour de Gaspard Glanz sont trois instanciations du régime d'arbitraire qui signe la totale panique du pouvoir au regard de faits déjà documentés et dénoncés par rien moins que Reporters Sans Frontières et le Syndicat National des Journalistes concernant les menaces, intimidations, et violences policières dont les journalistes font l'objet de la part d'un état désormais factuellement bien davantage d'extrême droite qu'il n'est de droit (près de 70 signalements sur les 690 de David Dufresne concernent directement les journalistes).
Glanz et Assange.
J'ai été particulièrement frappé de la manière dont les mêmes arguments étaient utilisés pour condamner Gaspard Glanz que ceux qui, il y a quelques jours, avaient été utilisés pour condamner Julian Assange lors de son arrestation à l'ambassade. Dans les deux cas il s'agit de salir l'homme, l'individu, pour éviter au débat de se porter sur ce que le travail de ces deux hommes a permis d'apporter à la société dans son ensemble. Pour Assange on ressort son caractère trouble et ombrageux, ou ces affaires de violences sexuelles. Pour Glanz on rappelle qu'il est coutumier de l'insulte, qu'il serait "incontrôlable". Mais qu'en avons-nous à faire au regard de ce que Gaspard Glanz et son média Taranis produisent depuis presque 10 ans sur le sujet des violences urbaines, de la traque des migrants ? Qu'en avons-nous à faire au regard de ce que Wikileaks a permis de dénoncer comme crimes de guerre et comme mensonges d'états ? Vieux débat (relire le Contre Sainte-Beuve de Proust) tout moisi que celui de l'Homme et de son oeuvre. Céline et l'antisémitisme, Heidegger et le nazisme, pour n'en citer que deux.
Au regard de l'ensemble des dérives actuelles du pouvoir et du maintien de l'ordre (fichage illégaux de manifestants par les médecins, instructions données au parquet par le procureur, etc.), et de cette hystérisation totale où la plupart des rédactions semblent découvrir qu'une manifestation n'est pas un échange de courtoisies entre notables de province, il est urgent que chacun puisse réaffirmer, par tout moyen et tout canal à sa disposition, la nécessité absolue et vitale de soutenir la liberté de la presse, d'un une presse qui va du travail de Gaspard Glanz et Taranis à celui de Julian Assange et Wikileaks.
Ce soir ce sont 21 rédactions et sociétés de journalistes qui soutiennent Gaspard Glanz et adressent un doigt d'honneur, et pas uniquement symbolique, au gouvernement. Ce qui a ma connaissance est totalement inédit dans l'histoire des démocraties européennes depuis le milieu du 20ème siècle.
Précisons que le fameux travail de Wikileaks a connu ce retentissement grâce à l’aide de plusieurs médias internationaux, dont Le Monde, qui ont insisté pour que Julian Assange respecte les fondamentaux de l’éthique journalistique : ne pas révéler le nom des sources qui pourraient être mises en danger, etc. Ce que Julian Assange a cessé de faire par la suite, dès lors qu’il s’est libéré de la tutelle trop pointilleuse de ces médias.
A son instar (quoique dans une bien moindre mesure), Gaspard Glanz est dans un exercice permanent d’autopromotion sur le dos des principes du journalisme. Il est ravi aujourd’hui que certains le posent comme ayant révélé l’affaire Benalla, alors qu’il n’a fait qu’apporter des images d’illustration à des rédactions qui enquêtaient vraiment pendant ce temps-là. Respect du contradictoire, vérification des sources ? Il s’en balance, pourvu qu’on parle de lui sur Twitter. Ses différents clashs avec la police ou l’extrême-droite sont à ce sujet particulièrement bien récupérés. Le journalisme, est-ce être celui qui crie le plus fort sur Twitter et s’accapare le travail des autres ? Quid des journalistes reporters d’images qui fournissent des heures de bobine et se font agresser par des manifestants car ils expliquent qu’ils ne prennent pas parti ? Des manifestants qui filment avec leur téléphone portable et qui n’ont pas de relais suffisants pour les aider quand ils se font chopper ? Dans cette affaire, Gaspard Glanz est l’idiot utile de journaux qui voient en lui une manière de blanchir leur image de marque avec le buzz d’un garçon qui piétine tous leurs principe.
Bref, les deux larrons Glanz et Assange sont des lanceurs d’alerte bien utiles (sauf pour leurs victimes collatérales), mais pour lesquels il faut hésiter avant de les afficher en héros. Au risque de se sentir mal à l’aise quand leur passé trouble (notamment vis-à-vis des femmes) les rattrape.