L’immunité collective numérique n’existe pas.

La première fois que j'ai entendu parler d'immunité "grégaire" ou "collective" dans le cadre de la lutte contre la pandémie du Coronavirus, nous étions alors début Mars, Bojo n'avait pas encore été sauvé par le service de santé publique qu'avec d'autres il s'échinait à démanteler avant d'en découvrir les vertus dès lors qu'il en faisait littéralement les frais.

Et le même Bojo entraînait alors le Royaume-Uni dans cette stratégie également dite d'immunité "de troupeau", recevant les foudres alarmées et alarmistes d'autres pays, d'autres spécialistes, d'autres politiques, d'autres médecins, d'autres épidémio-logiques.

L'immunité de troupeau était alors au mieux "un pari risqué" et au pire une planification cynique de l'acceptabilité de la perte de vies humaines.   

Nous sommes désormais mi-avril, nous venons d'apprendre que nous allions enquiller un mois supplémentaire de confinement à l'issue duquel c'est cette fois Emmanuel Macron qui nous embarquerait à son tour dans une "immunité collective contrôlée". Immunité collective contrôlée qui non seulement n'est plus un tabou, mais qui va prendre le risque inouï de mettre en "première ligne" victimaire non plus nos aînés mais nos propres enfants. L'école en boîte de Pétri, la jeunesse en agent infectieux, pardon, en agent "d'immunisation collective". A ce niveau-là de folie froide ainsi que d'impréparation et d'inconséquence dans l'absence totale de scénario crédible "justifiant" ces ouvertures, même "progressives", d'écoles, de collèges et de lycées à partir du 11 mai, il apparaît en effet que dans l'expression "d'immunité de troupeau", le mot troupeau soit parfaitement choisi. A fortiori si c'est le Medef le berger.  

Mais ce n'est pas de cela dont je veux parler aujourd'hui. Plutôt des stratégies gravitant autour des moyens techniques et numériques que l'on présente comme capables d'assurer, de garantir ou de mesurer le niveau de "cas contact" ou de "personnes exposées" par le biais, notamment, d'applications diverses et (a)variées.

La crise du visible et de l'invisible.

La gestion d'une crise sanitaire mondiale comme celle-ci passe immanquablement par deux enjeux.

D'abord celui du dicible et de l'indicible. Il y a ce que l'on peut dire, ce qui est acceptable, ce qui est toléré, et il y a ce que l'on ne peut pas dire, ce que l'on nous interdit de dire, ces mots dont on essaie de nous priver et qui s'ajoutent à l'autre indicible, celui de la douleur et de la perte.

Ensuite celui du visible et de l'invisible. Le visible ce sont les masques, les blouses, les tests, les respirateurs, c'est à dire tout ce qui manque. Tout ce qui fait défaut. Tout ce qui est essentiel et vital. Et puis il y a l'invisible. L'invisible du virus lui-même, l'invisible de la contamination, et l'invisible de l'architecture des technologies de traçace et de traque, l'invisible des ondes électromagnétiques bluetooth supposées permettre d'identifier les cas contact dans les applications précédentes.

Tous ces éléments, visibles comme invisibles sont autant de signaux, de signes, d'indices de la crise, de sa résolution ou de son irrésolution. Or bien sûr plus les indices visibles de résolution (masques, blouses, tests, respirateurs, etc.) viennent à continuer de manquer, et plus on tente alors d'en invisibiliser à la fois les effets et les dénominations, n'appelant plus un chat un chat et un masque un masque, mais différenciant les masques des soignants des masques grand public, des masques alternatifs, et de quelques autres encore. Et plus on tente également de sur-visibiliser, de sur-médiatiser, tout ce qui est de l'ordre de l'invisible. Et de nous expliquer, donc, qu'il va falloir sérieusement réfléchir au déploiement d'applications de traque numérique supposées nous immuniser collectivement de nos peurs et de nos maux. Ce qui, en plus de ne servir à rien comme je vais essayer de le démontrer rapidement, n'augure de vraiment rien de bon pour la gouvernance de nos sociétés et du monde de l'après-crise.

Tant que nous n'aurons pas fait le deuil de l'idée même d'une possible immunité numérique, nous ne serons en effet qu'un troupeau se laissant mener à l'abattement sinon à l'abattoir.

Stop Covid. Begin Tracking.

Le gouvernement travaille donc sur une application "Stop Covid", une application de "traçage" (euphémisme tant la "trace" est en fait une "traque"), qui sera développée par une "start-up d'état" et dont les éléments de langage sont déjà prêts puisqu'elle est présentée comme "une application de déconfinement". Difficile en effet d'être "contre" une application dont la finalité serait de nous permettre d'aller vers un déconfinement …

Nombre de tribunes, d'articles et d'analyses ont déjà pointé l'inefficacité d'une telle application qui nécessiterait de pouvoir a minima être déployée auprès de 60% (fourchette basse) à 85% (fourchette haute) de la population pour commencer à pouvoir être utile. Or la garantie (nécessaire par ailleurs) que son installation ne se fasse que sur la base du bénévolat, conjuguée aux problématiques de taux d'équipement (77% des gens en France ont un smartphone) et d'acculturation (tout le monde ne sait pas installer une application, la régler, activer ou désactiver le bluetooth, etc.) suffisent à assurer que même le taux de déploiement de 60% restera hors de portée. 

Quand bien même ce taux d'installation serait atteint, le risque de faux-positifs et de faux-négatifs est très important. D'autant qu'ici on va être tenté d'augmenter artificiellement les faux-positifs (donc de sur-détecter des cas contacts qui n'en sont pas) pour équilibrer le risque du nombre de faux-négatifs liés au manque de fiabilité du Bluetooth.

Comme est très important le risque que l'activation du Bluetooth serve de cheval de Troie opportun à tout un secteur du marketing qui n'en demandait ni n'en attendait pas tant. 

Enfin plus que tout il importe de rappeler que l'interêt d'une telle application de traque ne peut commencer à être discuté que dans la mesure où l'on dispose d'indications claires sur la chaîne de traitement de l'information qui sera mise en place à partir des données et informations collectées, ainsi que sur la chaîne de décisions (sanitaires, politiques, économiques) que l'on entend "éclairer" par cette collecte de données. On ne sait même pas ici ce que l'on veut "traquer" ou "tracer" : s'agit-il des gens qui ont été infectés ? Déjà malades ? Porteurs sains ? Et sur quelle base ? Les tests virologiques ou sérologiques de toute façon manquants ?

De la même manière il est urgent de rappeler sans cesse une évidence qui est le plus souvent tue ou diluée dans les discours politiques et même parfois sanitaires : au-delà même du "traitement" des données, tout l'enjeu est de maîtriser la nature et l'objectif de modélisations qui seront produites à partir de ces données collectées. On ne modélise pas de la même manière selon qu'il s'agit – par exemple – de gérer la pénurie de tests disponibles ou de limiter les effets économiques d'un confinement de la population. 

Or sur tous les points précédents, le gouvernement en place n'a jusqu'ici donné aucun élément clair, cohérent et explicite. Il s'est contenté d'affirmer qu'il entendait être vigilant sur le respect de la vie privée (sic), l'absence de conservation de ces données en dehors des smartphones permettant de les capter et l'anonymisation des mêmes données quand elles seraient remontées (à qui ?) pour être traitées (comment ?). 

Dans la note parlementaire en date du 6 avril 2020, établie par l'ancien Chief Hapiness Officer de la start-up nation, Mounir Mahjoubi, sur la question du "Traçage des données mobiles dans la lutte contre le Covid-19", celui-ci écrit : 

"Certaines méthodes de tracking et de backtracking, qui s'appuient sur des données anonymes ou nominatives, proposent un équilibre entre la préservation des libertés individuelles et la protection sanitaire des citoyens. Sous certaines conditions, leur rapport bénéfice/risque peut être supérieur à celui du non-recours."

"L'équilibre" mentionné présuppose en effet de renoncer à la préservation de certaines de ces libertés individuelles, et la liste des conditions à respecter pour que le bénéfice du recours soit ("peut être") supérieur au risque du non-recours est en elle-même un vibrant plaidoyer … pour l'urgence d'un non-recours.  Au final, une telle extrême circonspection chez un habituel thuriféraire du techno-enthousiasme et du solutionnisme technologique les plus béats (rappelez-vous de son délire sur le déploiement de drones et de boutons bleus lorsqu'il briguait l'investiture pour la mairie de Paris) est … éclairante. 

Enfin, Jean-François Delfraissy, président du "conseil scientifique" installé par Emmanuel Macron, ramène dans le débat un point "Digital Labor" essentiel en rappelant, comme le démontre et le documente Antonio Casilli depuis des années, qu'une technologie de traçage ou de traque ne vaut rien si elle ne dispose pas de ces travailleurs du clic également invisibles, cette "armée" de petites mains en charge de l'accompagnement et du traçage affiné des "cas contact" détectés. Dans une interview au Parisien il estime par exemple qu'en Corée du Sud, à Séoul : 

"une "brigade de 20 000 personnes" avait pour mission la prise en charge des nouveaux contaminés et le traçage des cas contacts. « C'est de l'humain qu'il y a derrière. Et on ne l'a pas en France et si on ne l'a pas, ça ne marchera pas », a-t-il estimé, évoquant un chiffre de 30 000 personnes pour cette « brigade » en France.

De manière aussi exhaustive qu'efficace et concise, la Quadrature du Net fait le point sur les raisons d'arrêter de perdre du temps avec ce genre d'application.

Stop

Mais on pourrait aussi évoquer les applications parasites, la fin de l'anonymat dès que vous êtes déclarés / repérés positifs par ladite application et pouvez alors être "triangulés", c'est à dire à la fois ré-identifié (ou dés-anonymisé), localisé, et rattaché à d'autres base de données de santé (ou d'autre chose …), comme l'expliquait très bien Antonio Casilli dans l'émission A l'air libre de Mediapart du Mercredi 15 Avril

Gare aux GAF(AM).

La vérité est ailleurs, et le vrai problème aussi. Il est du côté des GAFAM. De trois d'entre eux notamment. Google. Apple. Facebook. Qui naturellement n'entendent pas que cette période se passe de leur empreinte numérique holistique. Et qui déploient chacun leurs stratégies. 

Google et Apple. 

Le simple fait que ces deux-là se mettent à travailler ensemble suffit à faire frémir. De fait ils maîtrisent entièrement la totalité des systèmes d'exploitation de la planète (iOS et Android, avec en gros 20% de parts de marché mondial pour le premier et 80% pour le second).

Ces deux géants ont une approche assez paradoxale de la "privacy". Mais selon 2 paradoxes … différents. Pour Google qui est très certainement "la" société à détenir le plus d'informations relevant de la vie privée sur chacun d'entre nous et ce notamment via nos historiques de recherche, affirmer qu'elle est soucieuse de l'anonymat a autant de sens que d'imaginer Vladimir Poutine venant militer à la Quadrature du Net ou à Reporters Sans Frontières. Quant à Apple, elle a "sa" conception extrêmement rigoriste de la vie privée qui est en elle-même un souci puisqu'elle en fait une boîte noire imperquisitionnable et met en avant un principe d'inviolabilité totale, y compris dans un cadre judiciaire démocratique, y compris pour des affaires de terrorisme ou de pédophilie.

Ceci étant rappelé, Apple et Google se positionnent donc côté Hardware et OS. Et eux aussi annoncent des "garanties" : décentralisation, anonymisation, stockage local …

"Bluetooth communications to establish a voluntary contact-tracing network, keeping extensive data on phones that have been in close proximity with each other. Official apps from public health authorities will get access to this data, and users who download them can report if they’ve been diagnosed with COVID-19. The system will also alert people who download them to whether they were in close contact with an infected person." (Source)

Et dans le même article de The Verge, on apprend que si dans un premier temps de déploiement très court les utilisateurs devront installer une application, dès la mi-mai ou la fin Mai, la fonctionnalité de "traçage" sera nativement intégrée au coeur de l'OS, sans aucun besoin de passer par une application ("in the months after the API is complete, the companies will work on building tracing functionality into the underlying operating system"). Et avec donc la possibilité pour des applications "officielles" des "autorités publiques de santé", d'accéder à ces données. 

C'est à dire, en gros, le pire, l'ultime et l'absolu cauchemar de tous les défenseurs des libertés numériques en particulier, et des libertés publiques tout court : que des opérateurs privés oligopolistiques dont le modèle économique repose exclusivement sur l'exploitation de données personnelles soient en situation d'être les seuls à disposer des éléments permettant à des états de piloter et d'informer des décisions sanitaires, des questions de santé publique, et ce en temps de crise comme en temps normal. 

– Bé oui gros malin mais pour éviter cela il faudrait alors laisser l'état développer ses propres applications ! 
– Bé oui mais comme je viens de l'expliquer dans le point précédent sur "Stop Covid, Begin Tracking", il n'y a que des bonnes raisons de rejeter des applications "étatiques" comme "stop-covid" 
bon donc il n'y a aucune solution alors ?
Non. 

Non il n'y a pas en tout cas de solution purement technologique reposant sur une logique de traçage ou de traque et déployée soit par des états (même démocratiques) soit par des GAFAM et dont le rapport bénéfice / risque serait suffisant pour garantir un anonymat réel d'un bout à l'autre de la chaîne de traitement de l'information, ou pour s'assurer que des libertés publiques ne seraient pas entravées ou menacées. 

Donc cela veut dire qu'il faut se résoudre à se passer totalement de la technologie et repartir s'éclairer à la bougie et soigner les infections respiratoires en faisant des saignées ?
– Non plus. 

Par contre cela veut en effet dire que c'est exclusivement à des acteurs publics du secteur de la santé publique, de faire le travail de suivi épidémiologique des populations et des individus. Et qu'il faut donner à ces acteurs publics du secteur de la santé publique les moyens humains de faire ce que l'on a toujours fait au 20ème et au 21ème siècle dans la lutte contre les épidémies ou les pandémies, c'est à dire, en plus de l'activité de recherche "biologique" et "pharmaceutique", analyser les cas contact, en tracer l'historique par la conduite d'entretiens individuels. Le suivi épidémiologique est avant tout un suivi humain et de terrain. Utiliser aussi les approches épidémiologiques "classiques", soit "compartimentales" soit "individus centrées" qui se nourrissent de ces enquêtes et entretiens de terrain. Et donner aux hôpitaux et aux centres de soins les moyens et les capacités d'assurer – en plus du reste – le suivi de ces données épidémiologiques et la prise en charge des cas déclarés ou couvants. Si en plus de cela on peut disposer de stocks qu'on ne considérera jamais comme des dépenses inutiles, et bien sûr prendre des décisions politiques claires et si possible rapides (il y a eu du retard sur les mesures de confinement), cela ne devrait pas trop mal se passer ou en tout cas ne pas entraîner de sur-mortalité purement et politiquement circonstancielle.

Tout le reste n'est que solutionnisme technologique et obséquieuse religiosité et crédulité de la donnée, où on laisse croire – et où on se laisse aussi parfois commodément convaincre – que plus on disposera de données et plus on sera en capacité de gérer des crises en éclairant les décisions publiques. Il faut bien sûr disposer de données "brutes" pour éclairer des prises de décision en matière de santé publique. Mais ce qui est faux et dangereux, c'est de considérer que toute donnée brute, dès lors que son recueil est massif, suffit à informer la décision de manière conjoncturelle ou à pallier les manques structurels récurrents d'un financement des politiques et des infrastructures de santé publique. C'est cela, le poison du solutionnisme technologique et des approches exclusivement data-centriques.

Plus simplement, plus fondamentalement, plus essentiellement et plus urgemment, ce n'est pas de surveillance mais de confiance dont nous avons besoin. Confiance dans les politiques de santé publique et leurs modes de financement pérennes, et non confiance dans des applications de surveillance conçues dans l'urgence. Il est possible de veiller sans surveiller

Hélas il semble que dans l'urgence, nombre de pays soient prompts à basculer dans le piège. Le Royaume-Uni, via le NHS, vient ainsi d'annoncer qu'il allait, dès la semaine prochaine, collaborer avec Apple et Google et tester leur solution. Pendant qu'aux USA, on choisit plutôt de bosser avec Facebook.

Facebook justement.

Facebook, lui, ne développe pas d'application de surveillance ou de "tracking" ou même de "contact tracing". Pour une raison simple. Facebook est une application de surveillance, de tracking et de contact tracing. Il l'est par nature autant que par fonction, et depuis sa création. La meilleure et la plus complète de toutes les applications de contact tracing jamais conçue, imaginée et déployée. La moitié de l'humanité est aujourd'hui confinée. Et la moitié de l'humanité connectée dispose d'un compte Facebook. Tout le reste n'est que littérature.

Du coup, à l'échelle de Facebook, toute forme de donnée agrégée devient un indice (y compris dans sa dimension "policière") et une trace de sa propre indexicalité. Ce qui permet à Facebook de développer, parmi mille autres gadgets et symptômes d'une signose** débridée, un "indice de connectivité sociale" (social connectedness index) qui montre les liens d’amitié entre les États et les pays, ce qui, selon Facebook et ses modèles supposément prédictifs, pourrait aider les épidémiologistes à prévoir la probabilité de propagation de la maladie, ainsi que les zones les plus touchées par le COVID-19 qui pourraient alors demander préventivement de l’aide. A l'échelle de la France au début de l'épidémie c'est un peu comme si Facebook avait mis à disposition du ministère de l'intérieur la liste de tous les Parisiens qui habitaient en appartement sans jardin et avaient de la famille dans des maisons en province avec un jardin pour "préventivement" surveiller les gens les plus susceptibles de partir de la capitale. Indépendamment de l'éjaculation précoce que cela aurait pu déclencher chez Didier Lallement, on voit bien les enjeux et les risques considérables de dérive sécuritaire que cette seule possibilité porte en elle, y compris avec des garanties d'anonymisation (on n'aurait que les adresses des gens et pas leurs noms), y compris dans des démocraties. 

[** Une signose consiste à “prendre le signal pour la chose”. C’est-à-dire transformer le signe (la barbe) en signal (la radicalisation)]

Dans le même ordre d'idée et de grandeur, Apple met aussi à disposition ses données de navigation qui documentent et illustrent les effets du confinement dans plusieurs pays du monde.

Mais Facebook n'est pas qu'un monstre panoptique. Facebook c'est aussi le glissement et la confiscation du régalien vers le modèle du mécénat. Parce que Facebook c'est aussi une fondation. La fondation Chan Zuckerberg. Et son axe "Biohub". Et donc. 

Et donc Facebook fabrique des respirateurs.

Et donc la fondation Chan Zuckerberg via son axe "biohub" offre des tests à l'équivalent du ministère de la santé US. 

Et donc la fondation Chan Zuckerberg travaille également, avec les moyens que l'on imagine, sur le développement d'un vaccin.  

Et donc Facebook partage des données anonymisées (sic) avec équipes de chercheurs.

C'est à dire que Facebook fait ce que faisaient les états avant Facebook. Du régalien. De la recherche fondamentale et appliquée. De la fourniture de données de santé publique à des laboratoires de recherche publics.

Stress Test.

Pour tous ces acteurs ("Big Tech are Testing You" comme le rappelait la mathématicienne Hannah Fry dans le New-Yorker), il s'agit en effet de tester en permanence des modèles prédictifs de consommation, de déplacement, d'affinités sociales, émotionnelles, affectives. Sans jamais se soucier d'obtenir une quelconque forme de consentement de la part des cobayes que nous sommes.

Et pour chacun de ces acteurs, chaque crise, politique, économique, terroriste, climatique, sanitaire est vécue comme l'opportunité d'un stress test pour affiner leurs modèles. Voilà pourquoi ils sont "naturellement" si prompts à s'investir sur des terres et des missions régaliennes qu'ils ont plutôt tendance à combattre sur un plan doctrinaire oscillant entre libéralisme et libertarianisme.  

Moralité ?

Souvenez-vous, lors des attentats du Bataclan, du lancement de la fonctionnalité Facebook du "Safety Check". Personne n’avait installé l’application (par ailleurs tout à fait malfoutue et sous-dimensionnée) du gouvernement mais chacun guettait le Safety Check qui a lui seul faisait fonction de réassurance régalienne. En situation "imprévisible", la capacité de confiance accordée au(x) gouvernement(s) était quasi-nulle au contraire de celle accordée aux grandes plateformes qui, au quotidien, font profession de nous accoutumer à la gestion de l’imprévisible et du surgissement dans chacune des plus triviales et des plus coutumières de nos interactions sociales : car qui peut dire vraiment pourquoi nous voyons ces messages plutôt que d'autres ? Qui peut expliquer réellement pourquoi ces vidéos nous sont recommandées plutôt que d'autres ? Nous avons appris non pas à "faire confiance" aux plateformes, mais à déléguer notre "confiance attentionnelle" aux algorithmes des plateformes. 

Je vous ai souvent parlé d'une conférence de Zeynep Tufekci de Septembre 2017 intitulée : "Nous construisons une dystopie, juste pour que les gens cliquent sur des publicités".

Trois ans et demi plus tard, dans la lutte contre une pandémie planétaire, les géants publicitaires semblent les premiers et les seuls à être en capacité de fournir aux gouvernements les données nécessaires aux décisions de santé publique ou de suivi épidémiologique. La voilà, la morale de l'histoire.

C'est sidérant. C'est affligeant. C'est consternant. C'est effarant. C'est tout à fait déterminant pour décider de ce que devrait ou pourrait être le monde d'après. L'occasion également de réfléchir au démantèlement, à la nationalisation ou à tout le moins à l'impérieuse urgence et nécessité de faire entrer tout ou partie de ces plateformes, de ces données et de ces processus de collecte et de traitement dans un champ qui doit être celui du domaine public et des communs de la connaissance et de l'information.

Je vais l'écrire en gros parce que c'est important et essentiel de le comprendre et de l'accepter pour, enfin, pouvoir construire autre chose. 

Nous avons construit ou laissé construire une dystopie juste pour que les gens cliquent sur des publicités. Et des gouvernements dépendent aujourd'hui de l'analyse de ces clics publicitaires pour informer et documenter des décisions de santé publique dans un contexte d'urgence sanitaire. C'est cela, le monde dans lequel nous vivons aujourd'hui.

Et comme remède, comme solution, comme résilience nous n'aurions rien d'autre à offrir que davantage de solutions de traçage numérique ? Davantage de commandes de "micro-drones du quotidien", "drones de capacité nationale" ou autres "nano-drones spécialisés" ? Comme perspective et comme avenir nous ne pourrions imaginer que des barèmes algorithmiques pour déterminer la valeur (sic) d'une victime ??!

Si nous n'agissons pas de manière déterminée, le monde d'après ressemblera à celui que vient de décrire Eric Schmidt, ancien Big Boss de Google. Un monde dans lequel, grâce (sic) à l'épidémie du coronavirus, les gens pourraient être, accrochez-vous, "un peu plus reconnaissants ("grateful") envers les Big Tech et un peu moins envers leurs gouvernements." Être reconnaissants. On aurait tort de prendre cette déclaration pour du cynisme. C'est tout au contraire un aboutissement. Celui d'un projet de société porté par ces Big Tech, celui qui irrigue toute leur philosophie de l'action.

Alors, serons-nous seulement reconnaissants ? 

Allan-barte-la-liberte-c-est-surfaitAllan Barte que l'on peut soutenir par ici.

Il n'y a pas besoin de soldats ou de héros car nous ne sommes pas en guerre. Seulement de soignants, d'équipements médicaux, de lits d'hôpitaux et de financements pérennes de la recherche fondamentale et appliquée.

Il n'y a pas besoin de surveillance car nous ne sommes pas en délinquance ni en délation et que le suivi épidémique doit pouvoir reposer uniquement sur le cadre éthique qui est celui du soin. 

Il est possible de veiller sans surveiller. Il est possible de veiller sans surveiller. Il faut que ce le soit. Que cela redevienne un possible. 

 

 

 

 

 

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Rappel des épisodes précédents.
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Et aussi pour se souvenir. 

3 commentaires pour “L’immunité collective numérique n’existe pas.

  1. « De fait ils maîtrisent entièrement la totalité des systèmes d’exploitation de la planète »
    Il manque quand même un adjectif important quelque part dans la phrase ci-dessus (comme souvent aussi un M à la fin de GAFA, mais c’est une autre histoire…).
    Je veux bien que le gros oeil au bout de la laisse ait réussi à faire s’équiper les trois quarts de la populace techno-béate de « bracelets électroniques » potentiels, je vous lis sans, fortement aidé pour être honnête par mon lieu de résidence dans « un trou du cul de la France » oû il n’y a pas (encore) de réseau mobile (Ha tiens, le mot manquant..!).

  2. Le monde d’Après sera t-il comme Avant ? Qu’est-ce qui va changer ? Le Covid-19 va-t-il écrire l’Histoire ? Le 11052020 dans les prochains manuels scolaires ? Vous avez une heure…

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