Masque. Nom masculin.

Masque. Nom masculin. "Objet recouvrant et représentant parfois tout ou partie du visage, qui est porté dans diverses occasions de la vie sociale selon les peuples et les époques."

Manque. Nom masculin. "Fait de manquer; absence de quelque chose, de quelqu'un qui serait nécessaire, utile ou souhaitable." Ou vital.

Une lettre de différence. Masque. Manque. Alors nommer le manque. Manque de masques. Manque de consignes claires. Prophylaxie de la pénurie plutôt que de la maladie. C'est la guerre. Au front les soignants. Fronts brûlants de fièvre. Sans masque. En manque. En marche. 

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Chronique d'une disparition. Celle des masques vous est racontée par différentes enquêtes. Mediapart. Le Monde. France Inter également. Je veux juste esquisser ici l'enquête autour de la disparition, de l'évaporation, de la pulvérisation du masque, du mot "masque". 

Il y aurait aussi les chroniques d'un porte-parolat gouvernemental dont chaque nouvelle apparition confirme qu'il ne porte plus rien d'autre que la contradiction de la parole elle-même. Des masques il y en a mais il n'y en a pas. Le président en porte mais aussi il n'en porte pas. Principe d'incertitude du masque. Masque de Shrödinger.

Alors d'abord il y a eu les différents types de masques. Chirurgicaux, papier, chiffon, FFP, FFP 2, ou FFP 3, jetables ou réutilisables. A l'infini la litanie. Avec en plus nous dit-on la complexité de les utiliser. "Je ne sais pas utiliser un masque". Et chacun comme un con à recherche son bandana en regardant des tutos sur Youtube, mais des tutos de l'académie de médecine, pour fabriquer un masque avec des élastiques et des rouleaux de Sopalin entrelardés de Kleenex. Le 21ème siècle. La start-up nation. La 6ème puissance économique mondiale. Le vertige.

Mais toujours ces masques qui sont fuyants. "Les réserver aux professionnels". "Aux soignants". Mais quels masques ? Et quels professionnels ? Quels soignants ? Ceux de hôpitaux ? Ceux des EHPAD ? Les soignants seulement ? Ou les professionnels du nettoyant aussi ? Femmes de ménage en première ligne. Au front. Front brûlant aussi. Fièvre de tous les soirs et de chaque matin. Tremblement du manque. Manque de masques. Il n'y en aura pas pour tout le monde. Nausée de ce monde. Sa puissance mondiale. La 6ème ou la 7ème. Ses tutos Youtube à base de Sopalin et d'élastiques. Voilà ce qui reste comme prophylaxie quand on n'a fait que choisir le profit : une "laxie", un relâchement, une lâcheté. Des masques en papier. Quand il reste du papier. Et des tutos Youtube. De l'académie de médecine. Les masques tombent. Mais les gens qui n'en portent pas tombent d'abord. Personnel soignant. Personnel nettoyant. Merci à vous. Tombés pour nous.   

Masques grand public et alternatifs.

La pénurie est toujours là. Alors quand on ne peut pas changer la réalité on change les mots qui la désignent. Vieille recette. Novlangue. Néo-parler. Dissoudre le réel sous les mots qui l'euphémisent, le diluent, le dissolvent. Apparition donc des masques "grand public" et des masques "alternatifs". En date du 2 avril dans le communiqué de l'académie de médecine

"en situation de pénurie de masques[1] et alors que la priorité d’attribution des masques FFP2 et des masques chirurgicaux acquis par l’État doit aller aux structures de santé (établissements de santé, établissements médico-sociaux, professionnels de santé du secteur libéral) et aux professionnels les plus exposés, l’Académie nationale de Médecine recommande que le port d’un masque "grand public", aussi dit "alternatif", soit rendu obligatoire pour les sorties nécessaires en période de confinement"

C'est une recommandation de l'académie de médecine. Le tutos Youtube sont également fournis à la fin. Certifiés. 

Masques alternatifs.

Mais l'idée de masques "grand public" pose problème. Surtout en temps de pénurie. Grand public et pénurie sont des mots qui ne vont pas très bien ensemble. Pas très bien ensemble. Alors le 3 avril, Jérôme Salomon, le directeur général de la santé, Thanatos en cravate et en charge de la quotidienne algèbre mortuaire, déclare lors de son point de presse quotidien :

"Nous encourageons le grand public, s’il le souhaite, à porter des masques et en particulier (d)es masques alternatifs (autres que chirurgicaux ou FFP2)". 

Cette phrase ahurissante. S'il s'agit de prophylaxie alors on demande clairement et si possible fermement. S'il s'agit simplement "d'encourager" les gens, et seulement "s'ils le souhaitent", alors c'est d'un conseil mode ou beauté qu'il s'agit. Ou décoration peut-être. Mais le mot, sinon le mal, est fait : les masques seront alternatifs

Alternatifs. Comme les faits. Souvenez-vous de ces "alternative facts", ces "faits alternatifs". Tout avait commencé là, précisément. Au lendemain de l'investiture de Trump. Les masques tombent. Rarement un mot aura été aussi mal choisi. D'alternative il n'y en a pas. Juste un nouvel atermoiement. "Masques d'atermoiement". Voilà le mot qu'on aurait pu choisir. Mais plus les faits sont têtus et plus les éléments de langage sont obtus. Les masques seront donc alternatifs. Comme pour faire oublier qu'il n'y a pas d'alternative, vieux refrain du modèle Thatchérien. "TINA". There Is No Alternative. Il n'y a pas d'alternative. Il faut porter des masques. Alternatifs. 

Mais c'est encore trop peu. Masques. Techniques. Vitaux. Chirurgicaux. FFP numéro. Puis "grand public". Puis "alternatifs". Ce n'est pas encore assez. On entend encore trop le mot "masque". Et cela ne permet pas de correctement cacher le manque, de le masquer. Alors il faut accélérer. La solution est là. Evidente. Sous nos yeux. Il faut … supprimer le mot masque.  

Protection nasale et buccale.

Voilà la solution. Qui n'a rien d'hydro ni d'alcoolique. Elle viendra du maire de Sceaux. Le 6 avril. Qui prend un arrêté pour obliger les habitants à se protéger le nez et la bouche. Il n'y a plus de masques. Les masques ont disparu. Il y a … Il y a des "dispositifs de protection nasale et buccale". On élimine ainsi à la fois le mot "masque" et l'idée même de pénurie puisque chacun pourra apprécier à sa guise et à son anatomie le périmètre de ce qu'est une "protection nasale et buccale". 

Résumé des faits linguistiques. Tout va très vite.

  • 2 avril : masques grand public. [Mise à jour du 13 Avril : Emmanuel Macron a – sans surprise – choisi ce terme dans son allocution télévisée]
  • 3 Avril : masques alternatifs.
  • 6 avril : protections nasales et buccales.

On peut passer à autre chose. 

Il y a un peu moins d'un an, le 10 Avril 2019 exactement, le conseil constitutionnel validait une disposition de la loi dite "anti-casseur" promulguée à la hâte et à la suite du mouvement des Gilets Jaunes. Le pouvoir tremblait alors d'une autre fièvre. Et créait donc le délit de dissimulation totale ou partielle du visage que le Conseil Constitutionnel validait. Manifester demain ? Masqués pour vivre le droit de manifester au milieu des lacrymos. Mais vivre masqué est un délit. Paradoxe du masque. Il y a moins d'un an la dissimulation du visage était délictuelle, criminalisée. Aujourd'hui le gouvernement et l'académie de médecine nous exhortent à nous déguiser en black blocs. Il nous font même des tutos Youtube pour les masques.

On peut passer à autre chose.  

Virologie virile.

Les mots sont la clé. A côté du masque il y a le virus. Et le virus on lui fait la guerre. "Nous sommes en guerre". Elle est frappante aussi la personnification à outrance du virus dans le discours politique. On le fait vouloir, parler, agir. On lui parle au virus. Au viril virus à qui l'on fait la guerre. Quo Vadis Covid ?

Chez les scientifiques et les soignants, on est beaucoup plus sur le registre de l'épidémie, de la pandémie. Du féminin dans le genre, du neutre dans le signifié. On désigne le phénomène sans le viriliser, sans le personnifier. C'est "une" pandémie. Et c'est mieux ainsi. C'est plus juste. C'est plus exact.

Car le risque d'une personnification trop appuyée, trop systématique, c'est aussi le risque de laisser de l'espace (dialectique et linguistique) aux faits alternatifs et aux éléments scientifiques non-avérés. Le meilleur exemple est celui de la chloroquine. Si le virus est "un homme", "un ennemi", et si on lui "fait la guerre" alors tous les coups sont permis. Même les coups bas. Même le réflexe irréfléchi. Après tout, c'est lui l'ennemi. Il est désigné, nommé, on peut presque le voir, presque le toucher. Lui jeter de la chloroquine au visage. Médecine alternative pour masques alternatifs. Faits alternatifs à effet garanti. Effet de panique. Effet de croyance au sens religieux. Raoult en Christ roi immaculé.

Capture d’écran 2020-04-09 à 15.35.42Une de Libération en date du 24 mars.

Vérités et mensonges en temps de guerre virale et viriliste. Où sont les masques ? La chloroquine est-elle efficace ?

"Quand tout le monde vous ment en permanence, le résultat n’est pas que vous croyez ces mensonges, mais que plus personne ne croit plus rien. Un peuple qui ne peut plus rien croire ne peut se faire une opinion. Il est privé non seulement de sa capacité d’agir mais aussi de sa capacité de penser et de juger. Et avec un tel peuple vous pouvez faire ce qu’il vous plaît." Hannah Arendt

S'il s'agit en revanche d'une épidémie, d'une pandémie, d'une forme "neutre", alors on ne peut pas se permettre de tenter tous les coups n'importe comment sans réfléchir. Sans s'assurer de la scientificité des protocoles de remédiation et de soin. Ce qui n'exclue pas des prescriptions compassionnelles ponctuelles. Mais on ne peut pas tout tenter sur un coup contre "le" viril virus parce que ce que l'on tente de soigner, plutôt que de combattre, c'est "une" pandémie et qu'il va nous falloir autre chose que des héros morts au combat. Sans masque. Presque nus. Presque n(o)us. Presque nous.   

Une autre absence encore pour finir. Celle de la dimension simplement compassionnelle. Comme le rappelait Johan Faerber sur Twitter

"Ce qui frappe dans les discours de blanquer ou d'attal depuis le début, c'est qu'aucun n'a jamais eu de mot sur la maladie des personnels, des parents ou des élèves. Comme si la pandémie n'était qu'un caillou dans leur chaussure sur la bonne marche de leurs "réformes".

Et c'est vrai et vérifiable dans leurs discours publics. Les personnels, les parents et les élèves on les félicite de leur engagement, de leur dynamisme, de leur implication, de leur capacité d'adaptation ou d'aller cueillir des fraises, comme pour mieux s'en féliciter soi-même. Mais la maladie n'est pas là. Absente. Il y a pourtant des élèves qui croisent la mort en vrai. Ou en rêve. Ou en peur. Peur de celle d'un parent. D'un grand parent. Mais l'urgence est de rejoindre la nation apprenante. Ou de ne pas la quitter trop vite, ou trop longtemps. Non qu'il faille cesser d'apprendre. Je ne dis pas cela. Mais parfois on ne peut pas. On ne veut pas. Ce n'est pas le moment. On n'a pas le temps. C'est autre chose. Un autre temps. La compassion donc. Absente dans les mots. Il y a pourtant des enseignants qui sont aussi malades. Ou morts. Sans masques. C'est la guerre on vous dit. La "nation apprenante" est en ordre de marche. "En marche". Ou crève.

Non pas que l'on attende un systématisme compassionnel morbide qui serait tout aussi suspect. Mais tout cela manque singulièrement de délicatesse. C'est la guerre me direz-vous. Disent-ils en tout cas. Mais sur nos monuments aux morts et nos panthéons de l'après catastrophe, il nous faudra ajouter quelques mots qui ne figuraient pas sur ceux des anciennes guerres : "Aux grands hommes, la patrie reconnaissante, et l'Etat qui fut parfois défaillant." 

 

 

 

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Rappel des épisodes précédents.
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Et aussi pour se souvenir. 

3 commentaires pour “Masque. Nom masculin.

  1. La solution est pourtant simple. Si la France est capable de restreindre le port du niqab au mépris des libertés individuelles, sans doute peut-elle le rendre obligatoire pour la santé de tous ?

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