Cours de rue : on continue !

[Voilà le texte que j'ai lu aujourd'hui aux étudiant.e.s présent.e.s, en préambule de mon … premier cours de rue.]

Bienvenue à ce cours de rue. Ce cours de rue c’est le premier. Alors forcément il sera un peu spécial. J’espère surtout que ce sera le dernier. Et que d’ici Jeudi nous aurons enfin des nouvelles du ministère de l’enseignement supérieur, et que nous pourrons de nouveau tous et toutes vous accueillir à l’université. Peut-être pas tous et toutes en même temps. Mais tous et toutes rapidement, alternativement, régulièrement. Régulièrement.

Mais malheureusement il est aussi possible que ce cours de rue ne soit que le premier. Malgré notre détermination. Si nous sommes là aujourd’hui c’est d’abord parce que vous, et puis nous aussi vos profs, nous avons tous et toutes pris un énorme coup de massue en découvrant que le président de la république faisait de vous, et de nous, les derniers de cordée. Celles et ceux qui reprendraient une activité "normale" 15 jours après … tout le monde. Peut-être en février. Peut-être. Après les commerces essentiels, après les commerces pas essentiels, après les cinémas, après les salles de spectacle, après les églises et les lieux de culte, et même après les restaurants ! Fin Janvier ne devraient rester confinés que les universités et les discothèques.

Vous n’avez pas compris. Et vous nous l’avez dit. A votre manière. Avec souvent beaucoup de pudeur, beaucoup de sincérité aussi. Et puis beaucoup de colère, de désespoir. Beaucoup de maturité. Et beaucoup de résignation aussi. Et nous vous avons écouté. Comme depuis Mars l’année dernière. Mais maintenant ça suffit. On ne peut pas juste se contenter de vous écouter et vous regarder vous enfoncer dans des "études" qui sont normalement là pour vous porter, pour vous permettre de vous épanouir et qui ne font que vous recroqueviller, que vous inquiéter, que vous angoisser.

Alors chacun fait ce qu’il peut. A son niveau. Beaucoup de collègues depuis le début se mobilisent. Sont à vos côtés. Tous les jours. Réclament davantage de moyens pour vous aider. Mettent en place ces moyens. On se débrouille. On bidouille. Les équipes techniques et administratives sur site font aussi le maximum. On a tout essayé. On a même déposé un recours devant le conseil d’état. Qui a été rejeté. Mais rien n’y fait. A chaque fois, que la demande vienne des profs, des étudiant.e.s, même des président.e.s d’université, à chaque fois on trouve une raison pour que ce ne soit pas possible, ou pas tout de suite. Et on nous dit "plus tard", toujours "plus tard". Et nous, vos enseignant.e.s on a peur qu’à un moment ce "plus tard" ne devienne un "trop tard". Je lisais hier l’interview d’une collègue, qui est directrice du service de santé universitaire de Lyon 1, qui évoquait les problèmes de santé mentale des étudiants et qui disait quelque chose de très juste, elle disait, en parlant de vous :

"ce sont nos futurs médecins, infirmiers, chercheurs  … comment voulez-vous qu’ils prennent soin de nous demain si on ne prend pas soin d’eux aujourd’hui ?"

Alors aujourd’hui on arrête de demander gentiment et on fait quelque chose de concret, d’urgent, de nécessaire. On fait le truc qu’on sait faire le mieux. Normalement 😉 On fait un cours. On essaie en tout cas. On aurait pu le faire dans l’église Saint-Louis puisque les lieux de culte ont eu l’autorisation que n’ont pas eu les universités. Je voudrais d’ailleurs adresser un salut républicain au curé Dominique LUBOT, que j’ai contacté pour lui demander de nous prêter son église et qui m’a gentiment répondu qu’il appréciait … "mon audace" et qu’il allait faire une prière pour nous. Donc on fait un cours. Et puisqu’on nous interdit de le faire à l’université, on le fait là où il y a déjà quelques siècles les premiers cours ont commencé, dans la rue, dans un espace public et qui appartient donc à chacun.

Et en le faisant on se rend visibles. On vous rend visibles. C’est important de vous rendre visibles. Il n’y a pas de combat, pas de lutte, pas de négociation possible si on n’est pas visible. Si ceux qui luttent ne sont pas visibles. Et depuis Mars dernier, toutes ces visios nous ont tous et toutes rendus invisibles.

On fait un cours pour que vous puissiez être en cours et pas simplement "avoir" des cours. Parce que "être" en cours c’est aussi et surtout tout un ensemble de micro-sociabilités et d’échanges tout à fait covid compatibles, des micro-sociabilités et des échanges qui vous permettent de tenir, de vous épanouir, de vivre, d’apprendre et pas simplement "d’avoir cours".

Comme enseignant et comme chercheur, je pense que l’essentiel de ce que j’ai de plus important à vous transmettre, à vous apporter, à partager avec vous, ce sont des connaissances. Et que ces connaissances sont des outils pour vous aider à mieux comprendre une partie de ce monde. Pour mieux y trouver, si possible, votre place, pleine et entière. Aujourd’hui comme enseignant et déjà depuis le mois de Mars l’année dernière, depuis 9 mois donc, mais tout particulièrement aujourd’hui, ce que j’ai de plus important à vous transmettre c’est un peu de temps et une possibilité. La possibilité d’avoir le de temps pour vous retrouver un peu. Entre vous. Alors je vais faire un cours, rapide, parce que c’est ce qui était prévu. Et puis après je vais me taire et vous laisser profiter de ce temps là.

Et puisque la presse et les médias sont présents aujourd’hui, merci à eux, le message pour le président de la république et son gouvernement c’est qu’il y a 2,5 millions de jeunes gens et de jeunes filles, qui n’ont presque aucun poids électoral, presqu’aucun poids économique non plus mais qui méritent la même attention que n’importe quel autre citoyen ou citoyenne de ce pays. Et qui ont besoin de se retrouver. Qui ont démontré qu’ils étaient capables de le faire avec une grande responsabilité, avec une grande maturité, avec un grand respect de toutes les consignes sanitaires. Dans des lieux qui eux-mêmes, comme les églises, comme les supermarchés, et peut-être bien mieux d’ailleurs, sont capables de les accueillir.

Alors ouvrez les universités, entièrement, dès maintenant. Faites un geste qui ne soit pas juste un geste barrière. Fournissez-nous des tests antigéniques. Mettez en place une campagne nationale de vaccination si nécessaire. Et laissez-nous nous occuper du reste. De tout le reste. Merci à toutes et tous. Vous êtes des jeunes gens et des jeunes femmes formidables et on va continuer de faire en sorte que ça se sache. Et maintenant … et bien on va commencer le cours. 

 

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Au regard des dernières déclarations de Vidal Frédérique il est hélas probable que ce cours de rue n'ait été qu'un commencement et que la reprise des étudiant.e.s ne soit pleine et effective que mi-février … :-/ Si cela se confirme c'est totalement désespérant. Mais ne ne lâcherons rien.    

Quelques liens

(que je mettrai à jour au fur et à mesure d'ici la fin de la semaine)

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Un commentaire pour “Cours de rue : on continue !

  1. Merci, merci !
    On a besoin de gens comme vous. Tous ces étudiants dont la vis sociale est complètement bousillée sont les grands laissés pour compte oubliés de nos médias.
    Je suis bien plus âgé que vous mais le sort des jeunes durant cette crise me scandalise : de victimes ils en deviendraient presque coupables…

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