L’effluve nauséabond des flux migratoires de la guerre. Retour sur un naufrage communicationnel.

Hier soir, Lundi 16 Août 2021 à 20h, le président de la république a tenu une allocution télévisée sur la situation en Afghanistan. Découpée en trois temps : un rappel rapide et se voulant pédagogique de l'historique du conflit et des ces 20 ans de guerre (depuis les attentats du 11 septembre 2001), puis une vague évocation de l'agenda international (il indique avoir téléphoné à la chancelière allemande) et enfin l'évocation de la situation du peuple Afghan et de ce que sera la position de la France.

Chronique d'un shitstorm annoncé.

A 20h16, la chaîne BFMTV publie, sur Twitter, un extrait de ce dernier passage comportant une citation et la vidéo incluant un passage plus large

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Hier soir à minuit elle cumulait à 1,5 millions de vues. Elle est aujourd'hui à midi à 2,5 millions.

Dès la publication de ce tweet et autour de lui, se produit alors un shitstorm tellement considérable qu'à 23h36, la cellule de communication de l'Elysée va se trouver contrainte de publier un autre tweet de "mise au point" depuis le compte officiel d'Emmanuel Macron pour tenter d'atténuer ce shitstorm et d'étouffer l'incendie. C'est déjà trop tard. 

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La vidéo de l'Elysée était hier soir vers minuit et demi à 80 000 vues, elle est aujourd'hui à midi à 400 000 vues. Contre 2,5 millions pour la séquence de BFM (sur Twitter uniquement).

En termes de communication politique sur Twitter, c’est assez inédit (à ma connaissance en tout cas) que la cellule communication d'un président de la république soit obligée de venir reposter des éléments de langage tellement le shitstorm suscité par les premiers est unanime, violent et donc dangereux au moins en termes d'image. Comme dans toute situation de communication de crise, reprendre la parole pour nier, ajuster ou corriger, au moins dans un premier temps, c'est d'abord prendre le risque d'ajouter à l'incendie et de l'entretenir. Mais l'enjeu hier soir, on peut en tout cas le supposer, était triple.

Il s'agit d'abord de se prémunir en installant ce qui est supposé fonctionner comme un pare-feu (= mais non regardez en vrai j'ai insisté sur la protection des plus menacés et pas sur la menace des flux migratoires). Il s'agit ensuite d'atténuer le volume de la polémique en la décentrant (= on pourra venir commenter et s'indigner à 2 endroits différents et non plus uniquement autour de la séquence initialement extraite par BFM TV). Il s'agit enfin de tenter de fixer et d'ancrer la polémique sur le compte officiel du président et non plus sur la séquence BFM initiale afin de mieux être en situation de contrôle et de suivi (ou d'avoir l'impression de l'être).

Dans une dispute familiale comme dans un conflit géopolitique mondial, en termes de rhétorique, le fait de venir contester l'interprétation que l'on fait de vos paroles et de réaffirmer que "mais non j'ai pas dit ça j'ai dit le contraire" doit, pour avoir une chance d'être audible sinon efficace, être fait sans délai. A l'échelle de la viralité de Twitter, les presque 4 heures qui séparent la séquence diffusée par BFM TV et la tentative de reprise du récit par la cellule communication de l'Elysée apparaissent comme une éternité irrattrapable. La tentative de "réamorçage" d'un récit engagée à minuit ne parviendra jamais à combler l'écart entre la potentialité virale des deux vidéos. Je le rappelle : 2,5 millions de vues à midi pour celle de BFM contre 400 000 pour celle de l'Elysée. 

Mais pourquoi un tel naufrage ?

Les réactions au discours de Macron reprenant ce qui avait été depuis déjà plusieurs jours les premiers éléments de langage de l'extrême-droite (c'est à dire d'Eric Ciotti à Renaud Camus en passant par les Le Pen, Philippot et consorts), ces réactions ont eu ceci de particulier qu'elles ne se sont pas limitées aux comptes de ses détracteurs ou de ses opposants politiques habituels mais qu'elles ont émané, en priorité et à l'origine, de tout un tas de personnalités internationales : lanceurs d'alerte comme Edward Snowden, mais aussi journalistes étrangers, ONG, avocats, ou même ambassadeurs

Pourquoi un tel naufrage – en termes d'images en tout cas puisqu'il est encore trop tôt pour mesurer son réel impact politique – de la part d'un président dont on ne cesse depuis longtemps de pointer les errements en termes de communication "verticale" et qui devrait donc être en capacité d'avoir l'intelligence de s'en prémunir au moins un peu ?

D'abord parce qu'il y a bien sûr un agenda politique : les élections présidentielles sont dans moins d'un an, la France penche très à droite, et la marge électorale à chercher est clairement à l'extrême-droite. On ressort et ressert donc le nauséabond discours de l'extrême-droite nationaliste sur le risque de flux migratoires incontrôlables qui viendraient, comme dans la chanson, "égorger nos fils et nos compagnes". Bref, on donne des gages à un électorat encore à convaincre. On fait de la politique intérieure sous couvert d'un discours de géopolitique extérieure. Macron n'est bien sûr pas le premier à faire ça. Mais il n'est pas exclu qu'il soit le dernier dans l'exercice, tant l'accession au pouvoir de l'extrême-droite semble se préciser chaque jour davantage. Les idées et la doctrine de l'extrême droite, en tout cas, s'expriment sans avoir besoin d'aucun fard depuis le compte Twitter officiel de la présidence de la république française. 

Ensuite cette tempête de merde se produit parce qu'Emmanuel Macron fait une erreur rhétorique élémentaire. Ce que l'on retient d'un discours c'est essentiellement le dernier point présenté. Ainsi commencer par affirmer que l'on protégera les plus menacés et enchaîner et terminer sur le risque de flux migratoires incontrôlables c'est accepter que l'on ne retienne que le risque migratoire. Et si ce n'est pas une erreur rhétorique, c'est alors une confession qui renvoie à l'agenda politique décrit ci-dessus. Et cela devient, à mon sens en tout cas, une faute morale.

Sur le plan linguistique, sur le plan de la langue, rien ne va. Des hommes, des femmes et des enfants fuyant la guerre et la barbarie deviennent des "flux" dont il faudrait "se protéger". La technostructure dans toute sa gangue et sa langue.

Sur le plan de l'agenda et de la temporalité, rien ne va non plus. La capitale d'un pays important tombe aux mains d'intégristes et de fanatiques religieux et voilà que l'on parle déjà des flux migratoires et du risque pour l'Europe ? Comme s'il pouvait être des guerres sans réfugiés et des conflits sans exilés. 

Mais la vraie raison de ce naufrage communicationnel (et politique ?), c'est la concurrence et la dynamique des récits et des images.

La concurrence des récits médiatiques.

Que l'on s'abreuve informationnellement aux réseaux sociaux et/ou aux chaînes d'information et d'opinion (continues ou non), lorsque Macron s'exprime à 20h notre imaginaire est déjà structuré par une conjonction de récits et d'images qui sont ceux d'un pays tombant au mains de fanatiques religieux. 

Lorsqu'Emmanuel Macron s'exprime à 20h, chacun a vu la photo de ces 640 Afghans dans un avion militaire C-17 américain qui ne transporte habituellement qu'une centaine de parachutistes et qui reliait Kaboul au Qatar. Chacun a lu et entendu le récit médiatique qui l'accompagne et qui précise que cet avion n'avait pas l'intention de prendre une charge aussi importante, mais que des Afghans paniqués et – semble-t-il – "autorisés" à évacuer, ont réussi à se hisser sur la rampe entrouverte du C-17, selon la version données par un responsable américain de la Défense. Au lieu d'essayer de forcer ces réfugiés à descendre de l'avion, l'équipage a pris la décision de partir. Et chacun en voyant cette photo s'est aussi rappelé des images de l'aéroport de Kaboul en plein chaos, avec  ces Afghans sur les ailes d'autres gros porteurs en train de décoller (et donc la chute causera plusieurs morts).

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Lorsqu'Emmanuel Macron s'exprime à 20h, chacun a vu et entendu le récit de ces femmes afghanes se cachant, s'enfuyant, et expliquant qu'elles se savent pour la plupart condamnées à la mort ou au moyen-âge. Chacun a vu et entendu aussi les récits des journalistes qui en rendent compte comme, parmi tant d'autres, celui bouleversant de Ghazal Golshiri, correspondante du journal Le Monde en Iran et en Afghanistan.

Lorsqu'Emmanuel Macron s'exprime à 20h, beaucoup ont lu le témoignage de Victoria Fontan ou vu son interview, une française vice-présidente de l'université américaine d'Afghanistan, qui s'est littéralement sacrifiée en acceptant de rester sur place pour permettre à des étudiants de partir et pour terminer de détruire des documents pouvant devenir compromettants et qui explique qu'elle ne sait pas si elle sera encore là demain. 

Lorsqu'Emmanuel Macron s'exprime à 20h, beaucoup se souviennent ou voient ressortir (parfois opportunément il est vrai …) l'histoire des Trajumans, ces plus de 800 traducteurs afghans employés par l'armée française entre 2011 et 2014 et dont seulement 250 ont obtenu l'asile en France, les autres ayant été abandonnés au régime en place, pourchassés, tués et torturés par les talibans.

Lorsqu'Emmanuel Macron s'exprime à 20h, chacun commence à voir et à entendre que d'autres pays ont annoncé un accueil important et inconditionnel de réfugiés afghans. Et que même s'il ne s'agit peut-être que d'effets d'annonce … au moins ces annonces honorent-elles en engagent-elles un peu celles et ceux qui les font. Au moins semblent-elles à la hauteur de la crise et de l'émotion suscitée. Ainsi le Telegraph a annoncé l'intention du Royaume-Uni de déroger temporairement aux règles frontalières pour permettre aux demandeurs d'asile afghans de fuir les talibans et de se rendre en Grande-Bretagne sans passeport. Depuis plusieurs jours déjà et sans attendre la prise de Kaboul (par ailleurs prévisible), le Canada a annoncé offrir l'asile à 20 000 réfugiés Afghans. Et si l'Allemagne, par la voix d'Angela Merkel, s'est elle aussi montré très prudente (« Nous devons nous assurer que ceux qui n’ont pas travaillé pour l’Allemagne mais qui vivent dans la peur et l’inquiétude puissent disposer d’endroits sûrs dans le voisinage de l’Afghanistan ») il faut rappeler qu'elle avait eu le courage d'accueillir il y a déjà 6 ans, un million de demandeurs d'asile en provenance de la Syrie et de l'Irak. 

Lorsqu'Emmanuel Macron s'exprime à 20h, chacun se souvient aussi qu'en d'autres temps, la France accueillait inconditionnellement 120 000 réfugiés vietnamiens et cambodgiens, on les appelait les "boat-people" parce qu'ils s'entassaient au péril de leur vie dans des embarcations de fortune en mer de Chine. Alors qu'aujourd'hui il faut l'équivalent d'un Yalta et d'un G7 pour se prononcer avec des semaines de retard sur l'accueil "conditionnel" d'une cinquantaine de personnes fuyant la guerre et les persécutions en Lybie (notamment) secourues dans ce charnier qu'est devenue la Méditerranée par des ONG comme SOS Méditerranée. Personnes dont l'accueil, lorsqu'il se produit enfin, consistera principalement à les entasser dans des camps en les condamnant de fait à entrer dans des formes de clandestinité mortifères.

Lorsqu'Emmanuel Macron s'exprime à 20h, chacun depuis son canapé, sa télé ou son retour de la plage, chacun est nourri d'informations cataclysmiques depuis déjà plus d'un mois : le pire rapport du GIEC vient de sortir, la Turquie fait face à des inondations catastrophiques, la situation après le séisme en Haïti est désastreuse sur le plan humanitaire, nous venons de traverser le mois de Juillet le plus chaud de l'histoire, les méga-feux dévorent la planète en chacun de ses axes et de ses continents, le Liban s'effondre politiquement et économiquement en mettant sa population aux abois. Et donc maintenant pour près de 40 millions d'Afghans, un régime d'intégristes religieux succédant à un régime corrompu après plus de 20 ans de guerre inutile. A ce moment-là du récit qui tient l'humanité toute ensemble, même si chacun demeure parfaitement conscient qu'il est impossible d'accueillir toute la misère du monde, chacun voit bien que la France ne fait même plus l'effort d'indiquer vouloir en prendre sa part. Et puis surtout, chacun voit bien aussi, même si c'est encore de manière un peu sourde et lointaine, que ses propres enfants ou petits-enfants pourraient être les prochains à fuir une catastrophe ou une guerre, et que c'est parce que personne, nulle part, ne sera épargné par les prochaines migrations consécutives aux prochains changements climatiques et géopolitiques, qu'il importe non pas de bâtir des murs ou de dissimuler des charniers en Méditerranée, mais de faire émerger des continents d'accueil pérenne.

Le récit constitutionnel.

De tout cela il ressort deux choses, deux conclusions par ailleurs non-exclusives l'une de l'autre. Soit Emmanuel Macron s'est trompé. Il s'est trompé en intervenant trop tôt, trop mal, trop vite. En intervenant non comme un homme d'état mais comme un logisticien froid en charge de gérer des "flux". Soit l'agenda politique de l'extrême droite a déjà gagné la prochaine élection présidentielle. Et Emmanuel Macron n'a pas l'intention d'être en retard sur cet agenda. Quoi qu'il lui en coûte. Quoi qu'il nous en coûte. De dignité. D'humanité. Et de fraternité.  

"Tout homme persécuté en raison de son action en faveur de la liberté a droit d'asile sur les territoires de la République." Lorsque fut rédigé ce préambule à la Constitution du 27 Octobre 1946, nos aîné.e.s sortaient d'une guerre. Et mesuraient alors plus que nous ne sommes en capacité de le faire aujourd'hui, l'ampleur et la violence de ce que peuvent être des persécutions pour celles et ceux qui les traversent et les vivent. Ils mesuraient aussi la valeur d'un accueil inconditionnel pour garantir à tous, à chacun et en tout temps, la possibilité d'y échapper au prix de son propre exil.

6 commentaires pour “L’effluve nauséabond des flux migratoires de la guerre. Retour sur un naufrage communicationnel.

  1. Une page d’exégèse savante sur une phrase d’un discours de 11 mn. Doit-on y voir comme l’ombre d’un parti-pris? A quand le commentaire aussi soigné du reste ? Rien sur celle-ci par exemple : « Nos interventions militaires n’ont pas vocation en effet à se substituer à la souveraineté des peuples, ni à imposer la démocratie de l’extérieur mais à défendre la stabilité internationale et notre sécurité.  » Ou celle-là encore ? « Tous les employés afghans des structures françaises qui pouvaient être menacés ainsi que leurs familles, ce qui représente plus de 600 personnes, ont ainsi pu être accueillis et pris en charge dans de bonnes conditions dans notre pays.
    La France protège en ce moment le délégué de l’Union Européenne et a apporté protection aux collaborateurs afghans de la représentation européenne. La France a également apporté protection et soutien à tous les personnels français d’Organisations non gouvernementales souhaitant quitter le pays. » Ou encoure cette autre : « De nombreux afghans, défenseurs des droits, artistes, journalistes, militants, sont aujourd’hui menacés en raison de leur engagement. Nous les aiderons parce que c’est l’honneur de la France d’être aux côtés de celles et ceux qui partagent nos valeurs, autant que nous pourrons le faire et en tenant compte de la nécessaire adaptation de notre dispositif. » ?

  2. Ton idolatrie t’aveugle marc 🙂 J’ai bien entendu le reste du discours mais pose-toi cette question simple : lorsque des gens qui n’ont pas « d’intérêt » à condamner par principe le discours ou les positions du présidents, sont, y compris dans des pays éloignés du notre, également choqués et indignés par le recours en pleine évacuation de Kaboul, à l’argument de la « défense contre des flux migratoires », ne peut-on pas acter qu’il s’agit a minima d’une erreur de communication ?

  3. Pourquoi utiliser le terme idolâtrer si ce n’est pour abaisser celui qui t’apporte la contradiction Olivier ? Je n’idolâtre et n’ai jamais idolâtré personne.
    Sinon, pour en revenir au fond, je ne m’insurge ni contre la critique de cette partie du propos d’E Macron, ni contre ton jugement sur la qualité de sa communication, n’ayant pas tes compétences en ce domaine. Je regrette une analyse à charge portée sur une seule formule quand bien même on peut la trouver malvenue.
    Je conteste aussi, puisque tu m’en donnes l’opportunité, l’idée très répandue à gauche que parler d’immigration, notamment clandestine, reviendrait à porter la parole de l’extrême-droite, ses éléments de langage comme tu l’écris, et à faire son lit. Ce sujet préoccupe fortement une partie notable de nos concitoyens. On peut le regretter et ne pas le comprendre, c’est mon cas, mais l’occulter ne sert à mon sens qu’à s’éloigner de ces français, souvent parmi les plus modestes, qu’à renforcer leur sentiment d’être incompris. C’est sur cela que prospère l’extrême droite. Alors oui les propos présidentiels sur la « défense contre des flux migratoires » peuvent choquer mais ils ne me paraissent pas nauséabonds et rassurent certains qui craignent ces flux sans nécessairement être d’extrême-droite pour autant.

  4. Marc Boisson, vous vous payez des mots d’un président , dont on a eu cent fois l’occasion de réaliser qu’ils ne sont que mensonges depuis 2017.
    La France de Macron agit comme celle de Giscard en 1975 qui alors livra aux Khmers rouges les personnes réfugiées dans l’ambassade de France à Phnom Penh.
    Son discours est scandaleux, mais encore bien moins que le fonds idéologique qui le nourrit.
    Empli de mépris pour l’autre, le faible, l’étranger, c’est un personnage sorti d’un livre de Rebatet, Drummond ou Maurras, un vieux jeune homme vaniteux, servile devant les puissants, et haï par son peuple qu’il méprise et dont il foule aux pieds toutes les valeurs.

  5. Raphaël Masetti, je ne vois pas trop l’intérêt de votre message en dehors d’y déverser une haine profonde, bien qu’élégamment tournée, du président. C’est outrancier et donc inutile.

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