Depuis à la louche 17h30 heure française, l'ensemble de l'écosystème Facebook est "Down". "Down" Facebook, "Down" Instagram, "Down" Messenger, "Down" Whatsapp.
Down Down Down Down. La 5ème symphonie. Celle du destin. De l'inéluctable panne.
Techniquement il semble qu'il s'agisse d'une panne majeure touchant l'une des pierres angulaires de toute l'architecture du web et d'internet : les serveurs de noms de domaine. Les noms de domaine de Facebook ne répondent plus. Croquignolet pour le livre des visages et des noms de plus de quatre milliards de profils, de ne plus répondre à son propre nom. Les mécanos sont déjà à l'oeuvre. Ils nous expliquent la panne.
La panne est toujours le meilleur point d'observation de la part réelle qu'occupe une technologie dans nos vies. De quoi sommes-nous d'abord privés ? Et que fait-on quand Facebook est en panne ? Fait-on autre chose que déplorer la panne ?
Que fait-on quand Facebook est en panne ? Et Messenger ? Et WhatsApp ? Et Instagram ? On va le raconter sur Twitter.
Pour râler, pour s'en étonner, pour s'en moquer, pour en parler. Simplement pour en parler. Pour refaire ailleurs la société dont nous prive la panne. Parler de la panne. Parler de la panne c'est se réparer soi, c'est oublier qu'il y a une panne et réinstaller ce qui ne marche plus dans un environnement fonctionnel, dans un environnement qui marche encore. Il y a dans la panne et dans les petites cérémonies sociales qui la suivent, quelque chose de semblable aux enterrements : on fait communi[cati]on dans l'absence, c'est celui ou celle qui manque qui nous relie. On mesure alors aussi ce qui en elle et en lui nous liait vraiment. Le poids de la panne c'est aussi cela.
Pourquoi parle-t-on de la panne ? Et surtout pourquoi la panne nous oblige-t-elle à parler d'elle ? Au tout début d'un excellent bouquin toujours en vente, il y a cette citation de Paul Saffo :
"La valeur d'un réseau social n'est pas seulement définie par ceux qui sont dedans mais par ceux qui en sont exclus."
Depuis 17h30 aujourd'hui, des milliards d'individus sont exclus. Peut-être n'ont-ils d'ailleurs jamais autant fait communauté qu'à ce moment là. Mais ils ne le sauront jamais. Ils n'auront pas le temps. La panne finira bien par s'arrêter. "La valeur d'un réseau social n'est pas seulement définie par ceux qui sont dedans mais par ceux qui en sont exclus." Mais de quoi sommes-nous ce soir exclu.e.s ? D'une infrastructure sociale. En cela au moins Zuckerberg avait vu juste.
"Dans des temps comme ceux que nous traversons actuellement, la chose la plus importante que nous puissions faire chez Facebook, est de développer les infrastructures sociales qui donneront aux gens la capacité de construire une communauté globale qui fonctionne pour chacun d'entre nous."
Une "infrastructure sociale". Quelque chose "qui fonctionne" … mais pas ce soir. Ce soir c'est panne. Ce soir c'est en panne.
Facebook est américain mais sa panne est une poupée russe. La grande panne du grand Facebook comme superstructure, mais il y a toujours l'infra. Facebook qui tombe et c'est l'effet domino sur toutes les petites choses de nos vies qui elles ne sont pas en panne mais qui pourtant ne fonctionnent plus. Il fallait vous identifier d'abord "via" Facebook pour ici allumer votre télé ou là régler votre thermostat connecté. La télé et le chauffage marchent pourtant. Ils ne sont pas en panne, mais ils dépendent d'une panne première et alors rien ne les dépanne. Paradoxe de la panne.
Il y a de la galère dans la panne. Sans Whatsapp je vais galérer à planifier le déplacement pour le match de Hand de ce week-end et le co-voiturage qui va avec. Sans Instagram je vais perdre le fil de cette conversation entamée avec la collègue à l'étranger pour discuter d'un projet commun. Sans Messenger je ne sais pas qui roule demain matin pour amener les gars au lycée. Chacun son manque. Chacun sa panne. Nichée au coeur d'une infrastructure sociale qui nous délimite et fait de nous des êtres sociaux fonctionnels. Qui fonctionnent et qui font fonction. Mais de quoi ?
La panne désigne d'abord ce qui reste en marche. Ce qui n'est pas en panne. Il n'y a qu'au moment de la panne, dans le temps et dans l'expérience de la panne, que nous réfléchissons à ce qui fonctionne à côté, à la marge, dans nos périphéries immédiates. Si le train est en panne, je prendrai la voiture. Si la voiture est en panne, alors je prendrai le train. Et ceux qui m'aiment ?
Il y a dans la panne de Facebook un peu de la grève. Une part de grève. La panne et la grève. La grève et la panne : les trains ne circuleront pas aujourd'hui. Mais alors comment s'y rendre là où nous devions aller ? La grève et la panne : l'école ou l'accueil périscolaire ne fonctionneront pas aujourd'hui. Mais alors que faire des enfants ? Et que font-ils sur Instagram quand ils n'y sont pas ? Quand ils ne peuvent pas y être ? En panne. Ils fonctionnent toujours, les enfants ? Sur la grève. Echoués. Toujours vivants. Tic-Tac le coeur qui bat. TikTok n'est pas en panne. Les enfants jouent là-bas.
Si la panne dure trop longtemps, comme si la grève dure trop longtemps, alors l'incompréhension deviendra colère, énervement. On tape sur la borne SNCF en grève, on tape sur le guichet automatique en panne, on clique et tape sur le smartphone ou le clavier comme si le bruit des chocs sourds allait aider la panne à se résoudre et la grève à cesser. On sait que ça ne marchera pas mais on clique et tape quand même. On clique et tape. Un clic "étape". En attendant la fin de la panne. La fin de la peine ? Ce n'était qu'une panne. A peine, une panne.
En tendance Twitter ce soir il y a deux fois Facebook. Il y a #FacebookDown. La panne. Une sacrée panne. Et puis il y a #FacebookWhistleblower. Le coup. Un sacré coup.
Le coup. Et la panne. Le coup de la panne.
Il est 23h57. Fin de la panne. Facebook me demande : "Quoi de neuf Olivier ?" Il a déjà oublié sa panne.
La vie reprend. Comme avant ?
J’ai beaucoup les références. Merci pour ce texte.
#FacebookWhistleblower https://gizmodo.com/9-horrifying-facts-from-the-facebook-whistleblowers-new-1847791184