Passage très rapide (une seule journée) mais très riche en rencontres et en échanges cette année (et en dédicaces).
Et une table-ronde en tant que participant au sujet des harmonies possibles ou impossibles en ligne, notamment au travers des médias sociaux. En compagnie du créateur de contenus Maxestlà, de l’écrivain Christopher Bouix et avec Romain Mc Killeron comme modérateur.
Je n’ai rien dit de très nouveau par rapport à ce que j’écris sur ce blog ou dans mes livres et articles mais je veux revenir ici sur deux points.
Le premier faisait suite à la question de comprendre et d’expliquer en quoi les médias et réseaux sociaux créent et redéfinissent nos liens (sociaux). Et la réponse est que là où l’économie du web initial s’était construite autour des pages web et au travers des liens hypertextes baptisés hyperliens, l’économie des réseaux sociaux s’était bâtie autour des profils envisagés comme autant de documents, en tentant d’en tracer les affects mobilisés et déposés dans chaque échange, lors de chaque signalement d’appartenance. Soit un passage des hyperliens à ce que l’on pourrait qualifier des hyperaffects. C’est tout con mais je ne l’avais jamais formulé comme ça et je trouve … que cela fait sens 🙂
L’autre point qui fut celui de la conclusion, était de savoir s’il était possible d’envisager un monde numérique reposant sur une logique d’harmonie universelle. Interrogation à laquelle j’ai répondu « oui ».
Oui parce que nous savons très exactement ce qu’il faut faire pour réduite drastiquement et quasiment supprimer l’essentiel des interactions toxiques et autres « biais de négativité algorithmique ». Il faut introduire de la friction, de l’adhérence dans les interactions pour leur rendre un coût cognitif significatif et permettre à chacun de simplement réfléchir à ce qu’il fait autrement que par un arc réflexe conditionné ; il faut effacer les métriques dites « de partage » pour tout le monde sauf pour celles et ceux qui sont à l’origine de la publication ; il faut diminuer la portée de propagation de l’ensemble des publications ; il faut principalement casser les chaînes de contamination virales ; et il faut quelques autres choses encore mais oui, nous savons très exactement ce qu’il faut faire pour retrouver des contextes principalement harmoniques.
Mais j’ai également répondu « non » à cette question. Non car je ne crois pas à l’universel de l’harmonie de communautés humaines massives et numériquement agencées et rassemblées. Je crois qu’il est des effets de seuil au-delà desquels (et y compris en coupant l’ensemble des chaînes de contamination virales) plus aucune forme d’harmonie n’est possible car balayée par des architectures techniques toxiques. Personne, aucun et aucune d’entre nous n’est fait pour vivre dans un monde d’information à ce point entropique. Personne. L’information c’est normalement ce qui « met en forme » et c’est, dans les systèmes complexes, du vivant comme du mécanique et de l’informatique, ce qui permet de lutter contre l’entropie ; l’information c’est un facteur de néguentropie, d’ordre et d’organisation. Bien plus que notre seul rapport à l’information c’est la naturalité de l’information elle-même en tant que facteur néguentropique qui s’effondre dans la dimension plus que massive des populations et des discours en présence à l’échelle des grandes plateformes de médias numériques.
Il existe heureusement d’autres plateformes, moins massives, plus libres et libristes, mais aussi des marges, des canaux, des seuils, des espaces liminaires précieux, et qui sont soit indépendants des grandes plateformes numériques, soit qui s’y nichent et s’y tissent comme autant de repères (« d’heureux pairs ») et d’étranges attracteurs. C’est à l’ensemble de ces espaces liminaires et marginaux qu’il faut consacrer toute notre attention et toute la gamme de nos hyperaffects.
Merci à Roland Lehoucq et à l’ensemble des équipes qui bossent sur ce festival pour le maintenir, lui aussi, comme une marge nécessaire et un étrange attracteur, un grand festival de science-f(r)iction.
(Merci à Skirata pour la photo)