La liberté de financer : Estelle est nue dans le Tipeee.

Je crois que je vais ouvrir sur ce blog une rubrique "vieux sage des internets". Déjà parce que ça sonne mieux que "vieux con des internets". Ensuite parce que je suis vieux (au moins sur les internets). Et enfin parce qu'à défaut d'être "sage" j'ai en tout cas l'impression que la plupart des actualités ou des grands débats des internets de nos jours commencent à revêtir un aspect cyclique que j'ai déjà évoqué dans les 16 années d'existence de ce blog et l'un de ses 2840 articles. Exemple (parmi d'autres) la dernière polémique en date concernant le site Tipeee (dont le patron est le fils de Jean-Jacques Goldman qui était le seul portrait que j'avais dans ma chambre d'ado bah oui quand je vous dis que je suis vieux c'est bien que je suis vieux). 

Quelle polémique Victor ?
[Cette blague me fait toujours rire]

Or donc un reportage de l'émission Complément d'enquête, par ailleurs très bien fichu et titré "Fake News : la machine à fric", interroge le fondateur de Tipeee (Michael Goldman) au sujet du financement qu'il a permis de recueillir pour le documentaire complotiste autour du Covid 19 : Hold-Up. Michael Goldman y explique qu'il est juridiquement hébergeur et pas éditeur, et que donc tant qu'un contenu ne contrevient pas à la loi ou n'est pas signalé comme tel, il ne lui appartient pas de retirer ce contenu (c'est vrai). Et que s'il le faisait c'est la liberté d'expression qui serait en danger, et que bien sûr il assume tout ce qui est publié même s'il n'en partage pas les points de vue. Et de citer Voltaire en mode "je ne suis pas d'accord avec vos idées mais je me battrai pour que vous puissiez les exprimer.

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Oui mais ça ne passe pas et donc shitstorm autour de la plateforme Tipeee, quelques gros influenceurs et Youtubeurs qui annoncent la quitter (la plateforme), et grand battage médiatique autour de "mais où qu'elle est la limite à la liberté d'expression et qui qui c'est qui la définit ?"

Retour de Michael Goldman chez Sonia Devillers pour s'expliquer un peu plus en longueur et de manière (me semble-t-il) assez convaincante humainement. Mais pas (à mon avis toujours) suffisamment convaincante pour résoudre ce qui reste un problème économique, politique et démocratique. Michael Goldman rappelle en effet que si Tipeee a bien prélevé et gardé sa marge sur les revenus du documentaire complotiste (à la différence d'autres plateformes de Crowdfunding qui ont reversé cette marge à des associations) cette marge est anecdotique à l'échelle du volume global des revenus de la plateforme. Du point de vue économique c'est … factuel et on peut le croire sur parole, par contre du point de vue moral c'est … plus compliqué 🙂

Alors pourquoi me suis-je auto-désigné en "vieux sage des internets" et surtout, quand ce sujet a-t-il déjà été débattu dans l'histoire des internets ? Plein de fois. 

Retour vers le futur. Episode 1.

Dans un passé relativement récent, la dernière fois qu'une plateforme s'est faite épingler sur des sujets semblables, c'était en 2017 et c'était Paypal qui finançait alors les expéditions punitives contre les migrants du groupuscule identitaire néo-nazi aujourd'hui (heureusement) dissout.

Alors bien sûr Tipeee n'est pas Paypal, un documentaire complotiste n'est pas un appel à tuer des migrants (ou à empêcher qu'ils soient secourus, ce qui revient au même), et Michael Goldman n'est pas Peter Thiel. Mais la question centrale reste exactement la même : quelle est la limite éthique et juridique de ces financements "participatifs" à une époque où ils sont tout à fait déterminants et "performatifs" pour nombre d'individus mais aussi de collectifs organisés ?

Question qui en appelle directement une autre, beaucoup plus ancienne : peut-on encore s'abriter derrière le statut de simple "hébergeur" quand on admet par ailleurs tout à fait sincèrement (comme l'a fait Michael Goldman chez Sonia Devillers) que l'on scrute préventivement une grosse partie des contenus de la plateforme avec tout un tas d'avocats pour s'assurer qu'ils ne contreviennent pas à la loi et que – c'est l'exemple qu'il cite – des antisémites ne tenant pas de propos condamnables ont donc leur place sur la plateforme et que si tel n'était pas le cas alors ce serait la liberté d'expression (à la française, pas à l'américaine) qui serait menacée et la porte ouverte à l'arbitraire et "oui mais alors qui c'est qui fixe les limites ?" etc, etc. 

Retour vers le futur. Episode 2.

Ok. Donc le retour du "vieux sage des internets". Mais cette fois je vous (r)amène en … 1999. La préhistoire ou quasiment. Pour mémoire Google est créé en 1998 et "le web" a été créé en 1989. En 1999 il n'y a même pas 250 millions d'internautes dans le monde (contre 4,5 milliards aujourd'hui) et moins de 6% des français ont une connexion au web, connexion qui est à la vélocité ce que Christine Boutin est au satanisme. Bref le web en 1999, c'est la Corrèze. Sauf que là, en 1999, paf. 

Lacambre

Ce jeune homme sur la photo (à l'époque), c'est Valentin Lacambre. Il est fondateur d'une plateforme, un hébergeur, Altern.org, qui héberge à la louche l'essentiel ou quasiment du web "alternatif" français de l'époque (la Corrèze, tout ça) c'est à dire tout de même autour de 40 000 "sites" (ou pages persos). Et l'un de ses hébergés, va publier un scan pourri de photos volées du top-model Estelle Halliday nue, scan pourri effectué à partir d'un article du magazine Voici (responsable et coupable initial de la diffusion desdites photos volées). Et là …

Cet article d'Amaelle Guiton dans Libé raconte très bien et très en détail l'affaire. Version courte : l'auteur de la page perso qui avait diffusé le scan pourri des photos volées de Voici ne sera jamais inquiété. Par contre Valentin Lacambre va être, pour l'exemple, condamné à une lourde amende, en tant qu'hébergeur. Et quand je dis lourd, c'est lourd : 300 000 francs (45 000 euros …) à verser à Estelle Halliday. Malaise. Même si le web de l'époque, c'est la Corrèze, bah y'a malaise en Corrèze. Et l'histoire finira mal. 

Capture d’écran 2021-09-30 à 08.18.07(cliquez pour agrandir ou allez voir directement l'archive de la page)

A part les vieux comme moi, presque personne ne s'en souvient, et à l'époque toujours, à part dans les milieux autorisés militants et journalistiques (donc 17 personnes à la louche), tout le monde s'en cogne. Pourtant l'affaire est historique et (assez tristement) fondatrice. Et à plus d'un titre : vie privée, différence entre hébergeur et éditeur, confidentialité des données, anonymat en ligne, lien entre les écosystèmes de la presse et du web, neutralité du net … Tout y est. Historique vous dis-je.

D'autant plus historique que nous sommes en France et en 1999, et que François Fillon, alors "ministre délégué à la Poste, aux télécommunications et à l'espace" (sic) avait fait voter à la hussarde une loi qui responsabilisait entièrement les intermédiaires techniques, loi finalement et heureusement retoquée par le Conseil Constitutionnel. Mais cette tentative de passage en force pour faire porter le chapeau aux intermédiaires techniques n'était pas née du seul cerveau de Fillon ou de l'une de ses assistantes (huhuhu), elle était l'héritage direct du "Decency Act" voté 3 ans plus tôt aux Etats-Unis sous la présidence et à l'initiative de Bill Clinton et qui allait donner naissance à ce texte fondateur : la déclaration d'indépendance du cyberespace. Bref. Historique. Le (remarquable) documentaire "Une contre histoire de l'internet" (2013) en parle aussi très bien à partir de la 29ème minute.

Et le lien avec Tipeee qui permet de financer le documentaire complotiste Holp-Up ? Voilà, voilà, j'y viens 🙂

Valentin, Michael et Mark.

A l'époque d'Altern.org, de Valentin Lacambre et de tous les autres, le problème de la révolution en cours, c'est bien celui de la liberté d'expression. Ou peut-être plus exactement celui de la liberté de publication. Comme la célèbre phrase du célèbre et vénérable Benjamin Bayart, "l'imprimerie avait permis au peuple de lire, internet va lui permettre d'écrire". Ecrire, publier. Tout est là.

Mais cette liberté, formidable, absolue, et tout à fait punk, cette liberté ne concerne que finalement très peu de personnes. Très très peu. Moins de 6% des français en 1999. A peine plus de 3,5 millions de personnes, dont l'essentiel se contente d'envoyer des courriels sur Caramail et ne publie rien du tout "sur le web". Les "publiant.e.s", celles et ceux qui écrivent, qui tiennent tribune, la bande de punks et de punkettes, ça reste une bande, une frange, une forme de marge. Et d'aristocratie en même temps. Alors oui, une aristocratie punk, mais une aristocratie quand même.

C'est pour cela qu'à l'époque toujours, faire peser la responsabilité éditoriale sur un hébergeur, alternatif et militant qui plus est (l'hébergement était gratuit pour les assoc et pour plein de gens, et altern.org était pionnier sur la question du respect de la vie privée), c'est pour cela que cette décision de justice fut à la fois un non-sens juridique et une faute politique sinon morale. Et la marque d'une incurie faussement naïve. Personne à part Frédéric Lefebvre sous acide et Nicolas Sarkozy dans son état naturel, personne n'a jamais cru qu'internet était un Far-West qu'il fallait "civiliser". Ni Far-West ni zone de non-droit. Mais à répéter partout que le droit, dans sa dimension punitive ou coercitive, s'y appliquerait différemment ou ne s'y appliquerait pas, on finit par créer les conditions d'émergence d'un déni du droit qui accompagne et nourrit la montée en puissance de centralités supposément plus "contrôlables" mais qui n'ont d'usage du droit commun que celui qui ne contrevient pas aux intérêts arbitraires de chacun de leurs arbitrages.

Aujourd'hui un homme propose une plateforme "alternative" et gratuite qui occupe la vie quotidienne de … 4,7 milliards d'êtres humains. La Corrèze est devenue balèze. Il s'appelle Mark Zuckerberg et comme Valentin Lacambre en 1999, et comme Michael Goldman en 2021, Zuckerberg aussi a longtemps refusé d'être considéré comme un éditeur. Mais même lui, même Zuckerberg voit aujourd'hui l'impasse dans laquelle il est.

C'est l'histoire d'un gars qui voulait juste être hébergeur. Valentin Lacambre avec Altern.org était légitime car il n'était, en fait comme en droit, rien d'autre qu'un hébergeur. Rien d'autre. 

C'est l'histoire d'un gars qui aurait aimé être juste hébergeur mais qui était financeur. Michael Goldman avec Tipeee n'est pas entièrement légitime dans sa ligne de défense car s'il est certes hébergeur il est aussi et avant tout le reste … financeur. Et cela change tout. Cela change tout. Notamment car le fait d'être financeur oblige (comme il le reconnaît d'ailleurs lui-même) à être aussi éditeur avant d'être simplement hébergeur (d'une trésorerie). Et donc à ne pas pouvoir se limiter à la posture consistant à de ne pas vouloir se poser en arbitre des élégances ou de la vérité. 

C'est l'histoire d'un gars qui ne savait jamais ce qu'il voulait. Zuckerberg avec Facebook est dans une impasse (et nous avec) et n'est plus légitime sur rien (ou si peu). Acculé par la force et la répétition de ses errances coupables dans le pilotage économique et politique de son entreprise, il finissait par réclamer l'année dernière d'être traité "comme quelque chose entre un journal (newspaper) et un opérateur télécom (telco)". Mais comme l'écrivait Renaud, on ne peut pas être à la fois Jean Dutourd et Jean Moulin. Et vouloir être quelque chose "entre un journal et un opérateur télécom" c'est être à la fois un journal et un opérateur télécom. C'est à dire quelque chose qui ne doit pas bénéficier d'un régime d'exception, d'un vide ou d'une valse hésitation juridique au motif d'un pseudo statut de go-between ("between a newspaper and a telco") mais au contraire quelque chose qui doit à la fois être soumis aux réglementations des opérateurs de télécommunications (en termes de neutralité du net par exemple), et aussi aux réglementations des éditeurs de presse. Bah oui. Quant à l'argumentaire de Zuckerberg (et d'autres) indiquant que ce serait impossible, ou que les réglementations et obligations juridiques (des éditeurs et des opérateurs) sont ou seraient contradictoires : il est entièrement légitime ! Et c'est d'ailleurs bien pour cette raison qu'il faut démanteler Facebook qui ne peut plus être ce qu'il est, c'est à dire à la fois et du coup uniquement quand ça l'arrange, un opérateur télécom et un éditeur de presse et d'opinion 😉

Valentin (Lacambre) ? Il prêtait gratuitement un espace de stockage (les simples hébergeurs le louent en général contre un peu d'argent). Il était un intermédiaire technique. Et à ce titre ne devait être lié en termes de responsabilité juridique que par la suppression des contenus signalés comme illégaux par la justice. 

Michael (Goldman) ? Il ne prête ni ne loue un espace de stockage. Michael prête de l'argent. Pas directement, nous sommes d'accord. Mais s'il est un intermédiaire technique, c'est un intermédiaire technique qui n'a rien à voir avec de l'hébergement mais tout à voir avec du financement. C'est donc un intermédiaire technique financier. Ou alors n'importe quelle banque peut prétendre être un hébergeur. 

Et Mark (Zuckerberg) ? Bon ben Mark n'est donc pas "quelque chose entre un journal et un opérateur télécom", Mark est un hébergeur, Mark est un éditeur (de presse et d'opinions), et Mark est aussi un cablo-opérateur de télécommunications. 

Free Speech, Free Reach, Free Funding.

L'histoire de la polémique Tipeee est intéressante car en plus d'être un énième round du débat fondamental opposant et articulant les questions de liberté d'expression (Free Speech) et de libre audience (Free Reach), elle apporte un élément relativement nouveau qui consiste à subordonner l'approche des deux questions précédentes à une troisième : celle de la liberté de financer (Free Funding).

Rappelons-en rapidement les enjeux :

  • Free Speech : si c'est gratuit (de pouvoir s'exprimer en ligne) c'est toi le récit
  • Free Reach : si c'est gratuit (d'atteindre de telles audiences) c'est toi le produit.
  • Free Funding : même quand c'est toi qui finance, ce n'est toujours pas toi le banquier.

Et maintenant détaillons un peu. Dans l'affaire Tipeee (et dans plein d'autres), il est une nouvelle fois impossible d'avancer ou de trancher si on envisage isolément ces trois questions. Sur le plan de la liberté d'expression, l'existence du "documentaire" Hold-Up ne pose pas de "problème" en droit, et ne contrevient en tout cas pas à la loi (même si ça n'empêche pas de rappeler que l'un de ses principaux protagonistes est actuellement en hôpital psy et que son "producteur" tient régulièrement des propos à côté desquels les Raëliens sont les dignes héritiers de Descartes). Sur le plan de sa libre audience, le fait que des gens aient la possibilité (et même l'envie) de le visionner ne pose pas non plus de problème juridique. Enfin, le fait que des gens aient envie de donner de l'argent pour que le documentaire existe, comme on paie sa place au cinéma, cela non plus n'a rien de condamnable en démocratie. 

Il est où le bonheur problème il est où ?

Le problème vient de l'intrication de ces trois phénomènes. Qu'une même plateforme puisse être le garant financier (Free Funding) de l'existence d'un documentaire s'appuyant principalement sur des mensonges (Free Speech) tout en permettant et en assurant sa diffusion la plus large possible (Free Reach), voilà le problème. Et c'est un vrai putain de problème majeur dont on ne peut pas se sortir en invoquant la défense de la liberté d'expression ou celle du statut de simple hébergeur.

Imaginez un seul instant que votre banquier "rende visible" l'ensemble des projets financés grâce à votre argent et à votre épargne (ce que certaines banques "éthiques" font plus ou moins péniblement et à grands traits depuis quelques années) : vous seriez alors probablement stupéfaits – et dégoûtés – de découvrir que c'est en partie grâce à votre épargne que ce projet d'usine aux rejets toxiques a pu voir le jour, ou que vous contribuez à la spéculation sur des matières premières dont beaucoup d'êtres humains se trouvent pourtant privés. Bref. La traçabilité de l'argent que nous mettons à la banque, si elle était totale et transparente, serait par ailleurs une révolution extraordinaire mais elle demeure aujourd'hui hélas tout à fait utopique. Je ne suis bien sûr pas en train de dire que la solution serait que Tipeee "cache" les projets qu'elle finance ou "dissimule" les plus problématiques. Ce que je suis en train de dire c'est que dès lors que vous agissez comme un garant bancaire, dès lors que vous êtes financeur ou organisme collecteur, vous ne pouvez plus prétendre que le régime juridique qui fait de vous un simple hébergeur est un régime adapté. 

Alors que faire ?

Pour tous les services et toutes les "instances" que l'on trouve sur le web (des réseaux sociaux aux plateformes de crowdfunding en passant par les moteurs de recherche et le blog de l'entreprise de tata Jacqueline) et que l'on ne peut pas unanimement qualifier "d'éditeurs", il faut arrêter de penser qu'ils seraient alors :

  • soit uniquement des hébergeurs,
  • soit uniquement autre chose que des hébergeurs,
  • soit uniquement des go-between (genre "un truc entre un journal et un opérateur télécom"). 

Il faut donc sortir (et vite) de la dichotomie entre "hébergeur" et "éditeur". On peut avoir un statut "éditeur" et clairement faire aussi fonction d'hébergeur. Et réciproquement. Et on peut être hébergeur-éditeur ou éditeur-hébergeur mais aussi et avant tout financeur. 

Quand votre banque se met soudainement à vous vendre des prestations relevant de l'assurance, elle change de métier, de corpus déontologique et de positionnement en terme d'éthique. Au moins en théorie 🙂 Même chose dans le sens inverse lorsqu'un assureur se met à vous vendre des prestations de crédit bancaire. Ses responsabilités changent, ses instances de régulation et de contrôle changent aussi. C'est, ou plutôt, cela devrait être exactement la même chose à l'échelle des services numériques.

Il ne fait aujourd'hui absolument aucun doute sur le fait que Tipeee (mais aussi HelloAsso et tout un tas d'autres) ont pour principale fonction d'être des organismes bancaires collecteurs de crédit. La responsabilité qui doit donc leur incomber en premier est celle qui réglemente ces professions du secteur bancaire et financier. Et pour le reste, s'ils ont envie de citer du Voltaire ou de défendre la liberté d'expression, pourquoi pas, c'est leur droit, on peut en discuter éventuellement mais surtout, surtout, on s'en fout parce que ça n'a rien avec voir avec la question de leur périmètre d'action. Périmètre d'action qui, je le répète, est totalement subordonné à leur statut de financeur. 

On a le droit de se battre pour que des gens qui ne pensent pas comme nous puissent s'exprimer. C'est même tout à fait nécessaire. Mais ce droit n'implique ni n'englobe le fait de financer leur propagande ou de leur faciliter l'accès à des audiences massives (qui n'avaient par ailleurs rien demandé). La liberté d'expression ne signifie plus rien si on lui ôte la proportionnalité de l'audience ; ou si la dimension artificielle et hors de contrôle de cet accès à des audiences invisibles mais massives repose entièrement entre les mains d'intermédiaires qui s'imaginent ou se disent simplement "hébergeurs" alors qu'ils sont évidemment acteurs d'une éditorialisation performative du monde, des idées et des infrastructures du pouvoir et du débat public. 

One more thing ?

Puisque pendant toutes les années de l'internet naissant – rappelez-vous : je suis vieux – on nous a bassiné avec la métaphore tout à fait moisie des "autoroutes de l'information", alors permettez-moi de la prolonger en guise de conclusion : les sociétés de gestion (concessionnaires) d'autoroute n'ont pas vocation à organiser ou à prioriser la circulation des chauffards, pas davantage qu'elles n'ont vocation à financer l'entretien de leurs véhicules au seul motif de la défense de la liberté de circulation.  

8 commentaires pour “La liberté de financer : Estelle est nue dans le Tipeee.

  1. Il me semble qu’une coquille s’est glissée dans la citation de Bejamin Bayard.
    « L’imprimerie avait permis au peuple de **lire**, internet va lui permettre d’écrire », semble beaucoup plus sensé.

  2. J’ai également connu Altern et cette époque, merci pour cet article très intéressant, et qui ne manque pas de touches humoristiques.

  3. Dire que le ‘crowdfunding’ est une activité bancaire est une assertion juridique – comme vous ne fournissez aucun argument juridique, voici le résultat d’une recherche de 2 minutes:
    https://entreprises.banque-france.fr/sites/default/files/bdf_reffin_chap3_332__0.pdf
    Je pense qu’il s’agit d’une référence digne de confiance. Le texte est catégorique: les plateformes ne gérant que des contributions sous forme de dons ne sont absolument pas concernées par les réglementations bancaires.
    Donc si le documentaire qui a déclenché votre ire a été financé par des dons, il est évidemment faux que ce genre d’activité soit réglementé. Vous avez le droit de le souhaiter mais c’est un voeu politique, pas la constation d’une évidence juridique.

  4. Bjr Gérard, vous me faites un mauvais procès. Je pose la question de la réglementation des plateformes. Et je précise que si l’on veut être efficace et cohérent, alors il est temps de sortir de la seule dichotomie entre « hébergeur » et « éditeur ». Et qu’en effet, les plateformes de crowdfunding ont une activité première de financement et d’intermédiaire dans la mise à disposition des fonds (comme un organisme de crédit). Je ne pose jamais « d’évidence juridique ». Mais je plaide en effet pour que cela en devienne une 😉

  5. Très intéressant à lire, merci ! Mais j’ai du mal a considérer tipee & autres comme des banques, puisque contrairement aux banques elles ne prennent pas de décision sur ce qui sera ou non financé. Et si je ne me trompe pas, leurs bénefices ne viennent pas du succès de la suite du projet … mais juste de la levée de fond

  6. Merci pour ce retour « en arrière » sur l’histoire d’Altern et cette mise « aux goûts du jour » … Cela ne nous rajeuni pas … mais bon c’est pas ça le plus important !

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