Commissions de spécialistes et SNCF

J’avais il y a quelques temps de cela mis en ligne sur ce blog mon dossier de qualification aux fonctions de maître de conférences. Pour mieux toucher la communauté intéressée (les doctorants en sciences de l’info et de la comm), j’avais relayé cette mise à disposition sur la Sicliste, liste de diffusion destinée auxdits doctorants. J’ai reçu trois commentaires sur mon blog, et une petite vingtaine de courriels de remerciement en provenance de la Sicliste, ce qui prouve bien que ce n’était pas une initiative inutile.
Après la phase de qualification, vient logiquement la phase des entretiens de recrutement durant lesquels vous êtes auditionnés par des commissions de spécialistes pour ensuite être recruté par vos "pairs". Le site psychologie-sociale indique qu’un document officiel du Ministère sur le fonctionnement de ces commissions est disponible. Je ne saurai que trop en recommander la lecture à TOUS ceux (et celles) qui s’apprêtent à passer par là. Ne serait-ce que pour mieux connaître leurs droits et pouvoir, le cas échéant, les défendre. Le fonctionnement de ces commissions est en effet trop souvent soumis à des logiques claniques dans lesquelles s’expriment toute la puissance des potentats et des mandarins locaux. Mon expérience personnelle me permet de vous narrer (avec le sourire que permet le recul) quelques-unes de mes plus belles séances d’audition :

  • celle à laquelle je fus convié dans une ville du centre de la france (ou pas loin) et où, alors qu’entraient dans la salle d’audition les 8 membres de la commission, la candidate auditionnée avant moi fit la bise à non pas 1, non pas 2, non pas 3 mais aux huit membres de ladite commission. Autant vous dire que quand ce fût mon tour, je savais que j’avais autant de chances d’être recruté que de gagner au loto sans acheter de billet. Tout cela pourrait prêter à sourire (surtout une fois qu’on a un poste …) si auparavant je n’avais pas grillé l’intégralité de mon salaire mensuel (je touchais à l’époque un peu plus de 5000 francs par mois) rien qu’en billets de train pour me rendre sur les 7 universités dans lesquelles mon dossier avait été retenu. Parce qu’évidemment, on ne vous avertit pas à l’avance, des fois que l’idée saugrenue de profiter des offres Prems de la SNCF vous viendrait à l’esprit …
  • Je pourrais aussi vous parler de cette fac du Nord de la France qui pour 2 profils de poste sensiblement identiques mais dont l’un est basé" à la Fac et l’autre à l’IUFM, prennent grand soin d’espacer les deux auditions de 10 jours, pour vous donner la chance de vous rendre 2 fois à plein tarif sous le si hospitalier climat nordique.
  • Je pourrai également vous parler de ces commissions dans lesquelles vous entrez dans un silence de mort et où personne ne prend le soin de se présenter au candidat (Merci à la fac de Lyon pour laquelle avant même l’audition, la présidente de la commission de spécialiste présente au candidat tous les membres présents de la commission avec leur titre (prof ou MdC) et leur spécialité (nombre de commissions sont des commissions mixtes, c’est à dire avec des gens d’Infocom, d’anglais ou de sciences de l’éducation par exemple).
  • Je passe aussi sur celles qui vous reprochent d’avoir utilisé un support powerpoint pour votre présentation, ou de celles qui vous reprochent de ne PAS avoir utilisé de support powerpoint, alors que pour les deux précédentes, quand vous les aviez appelées au téléphone pour savoir quelles modalités de présentation leur siéeraient le mieux, vous avaient gentiment envoyé sur les roses.

Autre anecdote croustillante : celle des profils de poste. Quand vous candidatez sur un poste, le profil doit vous permettre de savoir si vous correspondez aux critères d’enseignement et de recherche (+ quelques fonctions administratives). Et là … la parution au JO desdits profil varie d’une demi page à une ligne. Un de ces jours, il faudra que je prenne le temps de faire un best-of des profils de poste les plus courts de l’histoire. De mémoire : "Sociologie des médias", "Ecriture interactive", "Théorie de la communication", "Communication des organisations", j’en passe et des plus succincts. Vous venez de vous taper 3 ans (au mieux) de thèse, vous avez produits une demi-tonne de papier entre les impressions de votre thèse et les 17 articles publiés depuis, vous venez de faire deux ans de recherche et d’enseignement sur un poste d’ATER et on vous demande d’entrer dans la case "sociologie des médias" ou "communication des organisations".  Un peu comme si une entreprise recrutait sur des profils genre : "Relationnel marchand". On m’objectera (à raison) qu’il est ensuite possible d’obtenir des profils plus détaillés directement auprès de l’université. Ce qui est effectivement parfois le cas. Mais pas toujours. Le "pas toujours" l’emportant outrageusement sur le "parfois".
Avec tout ça on peut légitimement se demander ce que font les chercheurs.
D’autres, comme Baptiste Coulmont, maître de conférences en sociologie analysent le recrutement à l’aune de ses petits arrangements et proposent quelques solutions pour améliorer le fonctionnement des commissions de spécialistes.
Je vais à mon tour proposer 1 seule mesure, simple, voire simplissime : 

  • que soient pris en charge les frais de déplacement des candidats, auditionnés mais non retenus, sur les crédits de l’université (lors d’une autre de mes auditions, encore dans le centre de la France, nous fûmes en tout 7 candidats à avoir été convoqués pour apprendre qu’au final, AUCUN n’avait été retenu). Ceci permettrait une réelle égalité des chances pour TOUS les candidats, et éviterait nombre de situations dans lesquelles l’hypocrisie confine au pathétique et où l’on convoque 4 ou 5 candidats alors que le poste est en fait déjà attribué à un candidat local, mais pour ne pas que cela se voie trop, on convoque du monde …

Et pour finir 3 conseils aux futurs auditionnés :

  • Passez TOUJOURS un coup de téléphone à la personne figurant comme responsable sur le profil de poste ou essayez de joindre celle responsable de la filière d’enseignement ET celle responsable du profil recherche (laboratoire d’affectation) : cela vous permet de vous présenter, de tâter habilement le terrain (je me suis entendu répondre 2 fois qu’il y avait bien un candidat local, ce qui m’a évité 2 trajets SNCF supplémentaires).
  • Arrivez TOUJOURS avec votre petit speech ET un powerpoint léger : vous verrez bien sur place s’il y a ou non un ordinateur pour utiliser votre pauvrepoint. Si on ne vous dit rien, posez la question, et si on ne vous répond pas de suite un OUI franc et massif, passez vous de pauvrepoint.
  • Demandez SYSTEMATIQUEMENT les rapports d’audition.

A tou(te)s, bon courage, et n’oubliez pas, "ce n’est pas à l’université de vous faire préférer le train" 😉

8 commentaires pour “Commissions de spécialistes et SNCF

  1. Malheureusement, je peux confirmer que le fonctionnement des commissions de spécialistes est souvent catastrophique en France.
    On peut tirer quelques leçons des pratiques de ce côté de l’Atlantique. Voici le fonctionnement du recrutement à l’Université de Montréal :
    – on ne recrute pas un professeur-adjoint issu directement de son université ;
    – on demande aux candidats au recrutement sélectionnés de présenter une conférence publique sur un sujet de leur choix, avant de passer en entretien devant l’ensemble des profs du département ;
    – un prof-adjoint ne peut obtenir sa permanence qu’après un contrat de six années. Il est alors évalué par ses pairs du dépt, le directeur, et une commission de la faculté sur dossier complet et précis, comprenant des avis d’experts extérieurs et l’ensemble des évaluations annuelles, à partir de critères définis ;
    – chaque professeur est évalué à la fin de chaque session (trimestre) selon des critères précis par les étudiants ;
    – chaque professeur peut demander une formation et un accompagnement en pédagogie ;
    – la première année un prof-adjoint n’a qu’une charge de cours ; la deuxième année, deux ; puis son service complet de quatre cours.
    – au bout de trois années, il a une première évaluation globale qui généralement pointe les éventuels points à corriger.
    J’ajoute qu’un poste est ouvert au recrutement cette année 😉
    http://www.fas.umontreal.ca/postes/pdf/EBSIarchivjuin07.pdf

  2. Quand je pense que je me lance dans cette voie!
    Tout cela n’est pas sans évoquer de douloureux souvenirs quand je parcourais la france pour obtenir un poste de bibliothécaire territorial après la réussite au concours. J’ai passé 20 entretiens…et rien au bout…Mais j’avais la carte 12-25 à l’époque!

  3. Merci du lien ! J’avais aussi, en son temps, proposé un Guide du CV analytique ( http://coulmont.com/blog/2005/11/10/redaction/ ) suite à mon expérience de membre d’une commission de spécialistes.
    Un petit rectificatif. Vous écrivez « Demandez SYSTEMATIQUEMENT les rapports d’audition. » Or il n’y a pas de rapport rédigé *après* les auditions, mais juste des rapports rédigés *en vue* de l’audition (après examen des dossiers). Même les candidats non-auditionnés (surtout, dirais-je) doivent (peuvent) demander communication d’une copie du rapport des « spécialistes ». Rappelons que l’absence de rapport est un motif d’annulation de la procédure.

  4. Jean-Michel> Souhaitons que l’ensemble des modes de fonctionnement que tu décris puissent un jour arriver en France. A une exception près qui me fait bondir : tu indiques qu’il faut 6 ans avant d’obtenir sa permanence … Si on met l’âge de soutenance à 26 ans, que l’on ajoute 1 ou 2 ans de post-doc et les 6 ans indiqués, on arrive à une titularisation à 40 ans ! Ca ressemble fort à de la précarisation … En france, la moyenne d’entrée sur un poste de MdC (pour Infocom mais cce doit être sensiblement pareil dans les autres disciplines) est de 33 ans et demi (ajouter un an pour la titularisation qui, sauf faute grave, est systématiquement accordée). Est-ce que l’obtention de la permanence dont tu parles est également systématique ?

  5. Olivier,
    Je confirme les six années. Les âges que tu donnes sont bien ceux-là. La permanence n’est pas systématique accordée, les dossiers sont étudiés avec le plus grand sérieux. Les avis sont rédigés et motivés sur les quatre critères : enseignement, recherche, participation au département et rayonnement. Un prof adjoint qui a suivi sérieusement les remarques faites à mi-parcours a toutes les chances d’y arriver, mais il arrive aussi que la permanence ne soit pas accordée. Le professeur doit alors obligatoirement quitter son poste.
    C’est effectivement dur, même s’il faut nuancer, car la souplesse du marché du travail est bien plus grande. Un échec n’est pas ici infamant et l’Université de Montréal a une politique d’excellence que d’autres universités n’ont pas.
    Je n’ai pas encore beaucoup de recul, mais mon sentiment aujourd’hui est que ces mesures forment un tout. Sans pression sur les carrières, la qualité pédagogique et en recherche est laissée au bon vouloir de chacun.
    Les dérives que tu dénonces peuvent-elles être redressées par la simple bonne volonté des individus ? Mon expérience française m’en fait douter. Peut-être est-il possible de trouver un moyen terme entre les situations, mais la défense jalouse de l’autonomie des universitaires français s’apparente parfois à une volonté de préserver des avantages indus. N’oublions pas qu’il s’agit des personnes qui ont pour responsabilité de bâtir et maintenir le capital intellectuel du pays.

  6. Pour le CNRS, je confirme. Pour un poste de documentaliste à la Direction juridique du CNRS, on m’a posé des questions, totalement inutiles pour le poste, sur le XML (vous avez vu beaucoup de documentalistes — pas de bibliothécaires ni de conservateurs, mettons nous bien d’accord — qui ont le temps de coder en XML ? allez, une dizaine sur la France peut-être ?).
    Après discussion avec une autre candidate, celle-ci m’a dit avoir des infos comme quoi il y avait de grandes chances que le poste soit réservé à qqn qui avait fait déjà un long CDD auprès de la personne qui était sur le départ. Toutes mes impressions lors de l’audition et mes constatations ultérieures (j’ai découvert qu’une personne tenait en effet depuis environ deux ans ce poste, de facto, sans en être titulaire) allaient dans le même sens. Très humainement et logiquement, mais aussi très hypocritement, la commission ne faisait donc qu’entériner un choix fait depuis déjà longtemps.
    Il faut savoir que, comme beaucoup de gens, les personnes en poste dans les organismes publics préfèrent pouvoir choisir les gens avec lesquels ils vont travailler. Et préfèrent des gens qu’ils connaissent bien, qu’ils ont déjà cotoyés ou fait travailler. Ils vont donc respecter les apparences pour mieux contourner le système officiel.
    Comme je dis souvent dans pareils cas avec un mélange de résignation et de lassitude : « On est France … » (Façon de sous-entendre : on a de beaux principes et de respectables tabous et on les viole par derrière à l’envi.) AMHA, la dureté anglo-saxonne qui ne se cache n’est pas pire que celle, masquée, française.

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