L’ORS (l’Officiel de la recherche et du supérieur, magazine en ligne de l’agence de presse L’AEF) vient de mettre en ligne un beau et gros boulot de synthèse et d’explication (.pdf) sur la loi Pécresse, dite loi LRU. 18 fiches thématiques qui couvrent tous les aspects de la loi, présentent des extraits des textes de loi sur le mode "avant / après" et exposent à chaque fois un argument "pour" et un argument "contre". C’est un document qui se lit en 10 minutes et qui devrait permettre d’évier le syndrôme de l’étudiant gnan-gnan au discours formatté dont nous abreuve en ce moment les différents médias (spéciale dédicace à France Inter …).
M’étant déjà exprimé sur la question, je redis mon opposition ferme à cette loi et serai donc au nombre des grévistes, mais certainement pas en portant des revendications salariales. J’ai fait neuf ans d’études, voilà désormais trois ans que j’ai été titularisé et je touche 1800 euros nets par mois pour un nombre d’heures annuel de 192 heures équivalent TD, plus autant d’heures réservées à la recherche (beaucoup plus en fait …), plus les tâches administratives non décomptées (beaucoup trop, et encore je suis un vrai professionnel de l’esquive en la matière), plus mon activité de blogging scientifique (mais là c’est encore du free-lance :-). Donc pas de revendication salariale. A condition naturellement que l’on ne touche pas à mon statut de fonctionnaire.
Et maintenant, laissez-moi vous raconter une histoire …
====Toute ressemblance avec des éléments présents dans la loi LRU n’est pas purement fortuite====
(les passages soulignés sont directement issus des dipositions nouvellement prévues par la loi, le reste est un exercice de fiction … pour l’instant …)
C’était il y a de cela une semaine. Mon téléphone sonne. C’est John Faber, le président de l’université Lagardère (anciennement Paris 5, rebaptisée depuis que la fondation Lagardère est devenue le principal donateur de cette université). Le président en question a lui-même été un grand industriel. Il a longtemps dirigé l’un des tout premiers groupes pharmaceutiques anglais, ce qui lui a permis d’être invité à donner quelques cours en tant que professionnel, ce statut de "personnel assimilé" lui offrant un droit d’accès à la présidence. Il a 67 ans, de nationalité anglaise, et on dit de lui qu’il est redoutable en négociation et en affaires. Mais c’est aussi grâce à lui et grâce à son prédécesseur, Pierre Bouygues (le petit-fils du célèbre entrepreneur Martin Bouygues), que l’université Lagardère est l’une des plus côtées. Elle se classe dans les dix premières places de tous les classements internationaux. Autant dire que j’ai sauté de joie quand j’ai su "qui" m’appelait ! Les universitaires l’appellent "le boss". On raconte que bien qu’il ait la possibilité de déléguer sa signature, il ne l’a jamais fait. Tout particulièrement pour les recrutements. Tout passe par lui et seulement par lui. Oh bien sûr, il y a bien encore un CA, mais avec le droit de véto du président, et vu la composition du CA (8 enseignants chercheurs et 8 personnalités extérieures nommées par le président … ) …Au téléphone, John Faber, avec sa pointe d’accent anglais, m’a dit qu’il m’avait "repéré" grâce à son secrétaire général, un ancien chasseur de tête, spécialiste en recrutement de top-managers.
– "J’ai besoin de chercheurs. J’ai regardé le Pagerank de votre blog. Et on m’a dit que vous aviez écrit quelques articles intéressants. Vous n’avez pas l’air de compter vos heures, et j’aime ça. Vous avez déjà une toute petite notoriété, péniblement acquise. Vous méritez mieux. Je vous offre ce mieux." Sans que j’ai le temps d’en placer une, il renchérit : "Alors nous sommes d’accord, je vous envoie vos billets d’avion classe affaire pour votre entretien d’embauche. On prend en charge votre déménagement. Et j’ai appris que votre épouse était orthophoniste, pas de problème, on se débrouillera pour lui trouver une place dans la crèche de l’université. Naturellement, votre salaire est triplé, et vous bénéficierez comme tous nos employés d’une prime d’intéressement aux résultats de la recherche. Ces primes, c’est moi qui les attribue. Et moi seul, tâchez de vous en souvenir. (il rit) Ainsi, si vous bossez bien, si vous comptez pas vos heures, et si vos résultats correspondent à ceux escomptés par nos partenaires, vous pourrez vous payer tous les voyages au bout du monde que doit vous réclamer bobonne, vu que les femmes sont bien toutes les mêmes hein ?" (il rit) "Ne vous inquiétez pas, j’ai l’habitude de soigner mon personnel. Mais je ne recrute que des champions. On se voit donc dans 8 jours sur le centre d’affaire de l’université. Et n’oubliez pas, vous n’êtes plus fonctionnaire, vous êtes juste un winner." (il rit encore, puis raccroche) Ah euh, oui, bon, bien, merci. Voilà les seuls monosyllabes que j’ai réussi à placer durant tout l’entretien téléphonique …
… 5 ans plus tard …
Voilà maintenant 5 ans que j’ai accepté la proposition d’embauche de l’université Lagardère. Je me souviens avec amusement de mon entretien avec "le boss". 15 minutes en tout. J’avais amené mon dossier scientifique, mes publications, et quelques exemplaires de ma thèse pour le jury. Il n’en a jamais été question. "Le Boss" avait déjà été briefé sur mon profil par le DRH de l’université. Il avait besoin de quelqu’un qui s’intéresse aux interfaces homme-machine. L’objectif du pôle de compétitivité dans lequel est inscrite l’université est de créer une nouvelle gamme de téléphones portable à destination spécifique de l’industrie pharmaceutique. Le Boss m’a dit que c’était un marché juteux mais que l’université Serge Dassault (anciennement aix-marseille) était en train de lui damer le pion sur ce terrain. Bref, j’ai été embauché.
Dans ma spin-off (les anciens "laboratoires" ont été remplacés par des spin-off qui développent librement des produits valorisables dans le programme de compétitivité dont ils sont partenaires), j’ai tout le temps nécessaire pour me consacrer à ma recherche et je bénéficie d’équipements à la pointe de la technologie. Les plus grosses entreprises du bassin d’emploi dans lequel est implantée l’université étant nos partenaires ou nos commanditaires pour l’ensemble de nos programmes de recherche-terrain et de recherche-innovation (désormais les seules à être habilitées par le programme de compétitivité). Depuis 5 ans, je n’ai plus croisé que des étudiants en "thèsemploi". C’est le nom des nouvelles thèses qui ont remplacé nos poussiéreuses thèses de doctorat.Le directeur de thèse est le PDG de l’entreprise qui la fnance, et je suis le référent scientifique, chargé de former l’étudiant en thèsemploi aux méthodologies de la recherche et de l’orienter si les résultats trouvés ne sont pas conformes à ceux espérés ou risquent de porter atteinte à l’un de nos partenaires industriels, lesquels sont les plus représentés dans toutes les nouvelles instances décisionnaires de l’université.
Ne plus croiser du tout d’étudiants à Bac + 3 ou + 5 ne me manque pas. Ils ne m’apportaient finalement rien et mes charges d’enseignement étaient une pure perte de temps. Comme le dit notre top-manager dans nos réunions de spin-off :
– "putain les gars, vous vous êtes pas cognés 9 ans d’étude pour aller apprendre à compter à des crétins boutonneux de 19 ans qui ne savent même pas quel poste ils occuperont plus tard. Sérieusement, laissez ça aux autres bouseux". Les "bouseux", c’est comme ça qu’il les appelle les profs de collège et de lycée ou même les agrégés : ils n’étaient déjà pas bien haut, ils sont maintenant tout en bas de l’échelle sociale. Au départ, les agrégés des concours de l’enseignement supérieur, étaient les seuls pour lesquels le président n’avait pas de droit de véto lors de leur première affectation. Du coup, à force de se refiler la patate chaude, et vu les salaires de misère qu’ils touchaient au regard de ce que je palpe aujourd’hui, ils ont rapidement déserté les concours. Ce qui a permis de les supprimer en quelques années, et sans que personne n’y trouve à redire. Bref, comme je vous le disais, c’est le boss qui définit les tâches à effectuer. Pour moi ça a été clair dès mon recrutement :
– "Vous, vous ne ferez que de la recherche. On a déjà plein de tâcherons pour les basses oeuvres administratives, et ces cons d’agrégés sont trop contents de faire de l’enseignement, mais ne vous inquiétez pas, on leur colle aux basques des vrais professionnels pour éviter qu’ils ne bourrent trop le mou à nos chères têtes blondes." (rires).
Et encore heureusement que le niveau est un peu remonté grâce à nos "talents-seekers", nos "découvreurs de talents". C’est comme cela qu’on appelle les anciens "conseillers d’orientation". Avec l’obligation de demander une préinscription avant d’entrer à l’université, on arrive facilement à repérer les bons éléments, et les fumistes ou les rêveurs. Nos talents-seekers établissent donc des profils types en fonction des grandes orientations de l’université, et on va directement chercher, via des "stages de découverte", les bons éléments des lycées de notre pôle de compétitivité pour leur donner quelques clés d’entrée. Comme dit le boss "quand on connaît bien les gens, on les recrute mieux". Bref, aujourd’hui à l’université Lagardère, comme dans les 15 autres centres d’excellence qui subsistent en France, ce sont des enseignants du second degré, des DRH et des industriels qui assurent désormais l’essentiel des cours en parcours Licence et Master auprès d’étudiants choisis, sans que jamais le terme qui fâche de "sélection" n’ait été prononcé. De toute façon, comme dit le boss, "la sélection, ils ont tout le temps de la découvrir à la fin de leur première année." et d’éclater de son rire tonitruant. C’est d’ailleurs pour cela et uniquement pour cela que l’on maintient encore sous tente à oxygène les vieilles filières genre "Lettres", "Géographie" ou "Langues anciennes". Faut bien recaser quelque part ceux qui n’ont pas le niveau de l’élite. Et comme ça tout le monde est content.
Bref ça me va. Je bosse beaucoup, je ne voie plus trop ma femme et mes gosses mais on se paye un beau voyage chaque année, et je ne vous parle même pas de ma bagnole :-). Même qu’avant, il m’aurait fallu économiser 10 ans pour me le payer. Mais comme le boss m’a à la bonne, et que j’ai tenu mes promesses (je compte pas mes heures et je fâche pas ses potes), j’ai droit à ma double prime d’intéressement. Et puis sérieusement, quand je me rappelle des conditions dans lesquelles je bossais avant d’entrer chez Lagardère Université, c’était vraiment la mine. Tiens pas plus tard qu’hier, j’étais avec d’autres managers-recherche et quelques gros industriels locaux en réunion-contrat, à la BU. On en est sorti à Minuit. Grâce aux étudiants qu’on peut embaucher pour une misère à la place de ces faignasses de bibliothécaires qui voulaient pas bosser le soir ou le WE, la BU reste ouverte tout le temps. Et pareil pour la crèche universitaire, la cafétéria et le reste. On forme même des étudiants à des stages de Vigiles pour venir filer un coup de main la nuit aux équipes de sécurité qui patrouillent sur le campus pour protéger nos équipements.
Non vraiment, quand je pense à tout ce qu’à permis Valérie Pécresse et surtout Nicolas Sarkozy pour la recherche française, je me dis qu’elle est vraiment à sa place, et j’espère qu’elle restera encore longtemps ministre de la recherche industrielle (le ministère de la "recherche industrielle" a remplacé l’ancien ministère de l’enseignement supérieur et de la recherche, la partie "enseignement" étant maintenant dévolue au "Ministère de l’identité nationale et de l’enseignement des valeurs républicaines"). Allez faut que je vous laisse maintenant. J’ai du taf, et j’ai promis au boss de pas compter mes heures 🙂
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Donc voilà, maintenant les deux étudiants qui m’ont demandé l’autre jour si je serai gréviste disposent de quelques éléments de réponse 🙂
Vous trouvez que je force le trait ? Oui, mais c’est dans un but pédagogique. L’essentiel des réformes et changement présentés dans ce court texte, sont directement repris des extraits des textes de lois cités dans le synthèse et d’explication (.pdf) sur la loi Pécresse publié par l’ORS. Le reste bien sûr, nous appartient collectivement.
(Via Manuel Canevet)
Bonjour,
L’ORS (l’Officiel de la recherche et du supérieur, magazine en ligne de l’agence de presse L’AEF) est ravi que vous citiez ses travaux sur la loi Pécresse! Notre dossier, qui se veut le plus objectif possible, a vocation à éclairer et susciter le débat, quitte à déboucher sur des anticipations…radicales comme la vôtre.
Si vous le permettez je joue un instant le jeu en relevant une contradiction dans votre texte :
_ pour présider l’établissement, le grand industriel doit avoir enseigné dans l’établissement. Il ne peut donc pas être arrivé à l’université pour la première fois le jour où il en a pris la tête 🙂
Enfin, sachant l’audience de votre blog, je me permets de rectifier ici l’orthographe du nom de la ministre, Valérie Pécresse…
Haberbush> Merci de cette juste précision. J’ai modifié mon petit exercice d’anticipation radicale (et corrigé le nom de notre Ministre, honte à moi …)
Et encore bravo pour le boulot de l’AEF, sur ce dossier, et sur d’autres.
ça m’énerve un peu cette carricature de l’entreprise…on avance par beaucoup avec ce genre de préjugés…comment être acteur de ce que vous souhaitez ou ne souhaitez pas…la grève c’est franchement pas mon truc…sans travail collaboratif, ça mène à quoi..
Florence> Je comprends votre énervement. Ceci étant ce n’est pas l’entreprise que je caricature mais bien l’université 🙂
Ce qui est valable dans un monde ne l’est pas nécessairement dans l’autre. Et ce qui est efficace, bien perçu, et non nécessairement générateur de dérives dans l’un (entreprise) ne l’est pas non plus nécessairement dans l’autre (université).
Alors inventons des voies pertinentes !
Florence> Oui, et avant que de réformer, mettons en place de réelles concertations avec les premiers concernés. Et puis évitons également de faire voter lesdites lois quand les premiers concernés sont en vacances (Août 2007)
Bref, des hybridations (université et entreprise) sont possibles. Elles existent par ailleurs dans nombre de pays, et elles ne fonctionnement pas trop mal dans certains d’entre eux. Mais cette loi cadre (à mon avis) n’aurait pas du faire l’économie d’une réflexion autrement plus approfondie du sujet …
J’espère que cette fiction restera dans le domaine des romans d’anticipation ! car, ancienne étudiante en Lettre, et travaillant dans le « privé » je constate tous les jours, à quel point la rationalisation de l’enseignement à des fins d’employabilité, (quel joli mot ;)) provoque une certaine errance intellectuelle chez certains de mes collègues (issus d’autres formations que la fac) pour ne pas dire une tendance à la bêtise crasse dès qu’il s’agit de sortir un peu des sentiers battus, très peu de positions critiques face au rouleau compresseur médiatique, peu de réflexes face à la manipulation idéologique… Bref, en plus d’être inquiétant pour l’avenir de notre société, le souci majeur, c’est qu’on s’ennuie franchement à l’heure du déjeuner !!
Mais vous savez bien que justement c’est cet avant/après qui empêche systématiquement d’avancer…comment décider de ce que nous ne savons pas ? chaque contexte est différent…et si les acteurs chacun a leur niveau prenaient le contre-pied…agir, collaborer, essayer ET réformer le système en même temps dans ce nouvel espace qui s’ouvre ?
Merci pour le document qui est très bien fait.
Moi je la trouve plutôt pas si mauvaise cette loi. J’imagine pleins de possibilités intéressantes.
Evidemment il y aura quelques arrangements douteux mais ça ne devrait guère changer de maintenant.
Le vrai problème c’est quels sont les projets qu’on nous proposera suite aux diverses restructurations pour faciliter et financer la mobilité étudiante. Ensuite la réflexion devra se poursuivre pour mettre en place des formations de niveau licence qui soient mieux valorisées.
vous avez oublier le restau U Mac Do où sera offert à chaque repas un hamburger ;-)(histoire de fidéliser une clientèle).
Blaque à part, attention à la caricature du monde de l’entreprise, vos étudiants seront les salariés de demain et l’entreprise sera ce qu’ils en feront, pas forcément des « boites à faire du fric à tout prix » (il n’y a pas que le commercial dans la vie;..)
OLD> J’espère que tu as raison. De mon côté, je persiste à croire que cette loi est dangereuse. Pas tellement en elle-même d’ailleurs. Mais davantage du côté de ce qui en sera fait au travers de décrets d’application non encore parus. Bref, c’est le grand flou.
Rémy> Bonne idée le MacDo:-) Pour la caricature, mon texte en est une et se veut tel. Il est donc à lire comme tel. La caricature a de nombreuses vertus pédagogiques ;-). OK avec vous pour dire que l’entreprise de demain sera ce que os étudiants en feront. Ce que je refuse (et que je crains) c’est que l’entreprise d’aujourd’hui nous dise quoi faire avec nos étudiants de demain 🙁
Je trouve cette anticipation pas aussi caricaturale que cela.
La grande qualité du texte étant de substituer une forme narrative légère à la lourdeur de maint textes syndicaux ou politiques.
On peut toujours chipoter sur l’impossibilité pour un grand industriel de parvenir à la tête d’une université sans y avoir été enseignant.
L’essentiel réside dans la mise en place d’un mécanisme de dérégulation appuyé sur l’autonomie , donc la concurrence (non-faussée ?) et la modification de la gouvernance de l’université qui vise à dégager son président du contrôle de sa communauté et à sceller l’alliance/dépendance avec les milieux d’affaires.
Je m’en vais donc de ce pas recommander dans mon petit réseau et mes amis universitaires cette humoristique anticipation.
Blog très intéressant…félicitations pour la « fiction » qui pourrait malheureusement devenir réalité.
Tout nouvellement chercheur, je serai moi aussi demain dans la rue car les solutions proposées sont véritablement dangereuses.
J’y serai à double titre car je ne me vois pas à 70 ans continuer mon activité professionnelle…surtout si je suis au chômage dès la cinquantaine !
Premier com ici… j’aime bien prendre un peu de recul/hauteur par rapport à mon métier de documentaliste et venir vous lire mais là j’en ai froid dans le dos. Jeudi, je vais revoir mes poussinous de 6è et je me demanderai, accablée, ce que l’avenir leur réserve, ce que nous avons fait pour eux, ce que nous pouvons encore faire pour eux, ce que nous pouvons leur offrir comme forces afin qu’ils ne souffrent pas trop du « formatage » prévu pour eux plus tard.
FD, prof-doc, au front tous les jours…ou comment faire rentrer des boules de différentes tailles dans un cube à taille unique.
C’est mignon cette petite fiction. Mais, deux petites choses seulement franchement.
1)On peut aussi écrire des histoires sordides et malheureusement bien plus réelle sur l’université d’aujourd’hui : recrutement par cooptation ; manipulation des com de spé au profits de ses amis ou de ses amants ; refus absolu de l’évaluation de la recherche ; refus tout aussi catégorique de l’évaluation des enseignements ; refus non moins farouche du suivit professionnel des étudiants ; masquage de la désaffection des filières par l’inscription trop bienveillante d’étudiants ne venant chercher qu’une bourse, ou par le remplissage avec des étudiants moldaves ou chinois bien loin du niveau requis…
2)Surtout, cette petite histoire passe sous silence un problème de taille : ce qui est décrit, à quelques exagérations près, existe déjà ! Je ne parle pas des USA, mais de notre beau pays : les écoles de commerce et d’ingénieurs sont co-financées par l’Etat, les entreprises (les chambres de commerce et d’industries + les taxes prof + les chaires spécialisées)… et les étudiants. On considère souvent que les grandes écoles sont une questions à part, indépendantes des universités. Et pourtant, ce sont les grandes écoles et non les universités qui forment l’essentiel les cadres de notre pays. Je pense très sincèrement que l’enseignement supérieur en France souffre d’un mal très profond : le mensonge qui fait croire à chacun que l’enseignement supérieur est pleinement public et quasi-gratuit, alors que l’enseignement supérieur de qualité est sélectif, financé aux 3/4 par le privé et payant.
Par ailleurs, il ne faut pas se leurrer : les facultés qui marchent en France, fonctionnent déjà sur un mode dérogatoire : Qui croit que les prix nobels de physique-chimie et les médailles fields de la fac d’Orsay font leurs 192 heures d’équivalent TD, payés 3500 euros, et doivent de temps à autre s’occuper de faire les emplois du temps de première année ? De toute façon, le ministère n’a pas le choix : soit il ferme les yeux sur les pratiques illégales dans ces facs, soit il tue ce qui marche dans le système universitaire français. Et quand les fac en veulent plus (comme par exemple sélectionner leurs étudiants) et que les dérogations au système général sont trop visibles, et bien, elle quittent le système : c’est le cas de science-po et de Dauphine, devenus grands établissements, mais qui ne sont plus des universités… Ces établissement universitaires vivent déjà sur un mode qui est bien au-delà de la loi Pécresse, mais bizarrement personne ne s’en insurge…
Alors quoi ? On peut laisser le système inchangé. Mais les étudiants ne sont pas fous. S’ils sont bons, et s’ils ont de l’argent, ils vont continuer de plus en plus à migrer vers les grandes écoles. Le champ couvert par ces dernières va s’étendre peu à peu, et le jour où ils obtiendront l’autorisation de créer des écoles de droit, de pharma et peut-être de médecine, il en sera fini des dernières spécialités qui marchent à l’université (parce qu’en monopole, et parce que – soit dit en passant – hyper sélectives). L’université pourra alors se concentrer sur ce qu’elle sait bien faire : donner des cours dans des conditions minables, aux étudiants les moins bons, les plus pauvres et dans les filières qui ont le moins de débouchés. Ca peut marcher comme ça. Mais alors, (a) il faut arrêter de se mentir en laissant entendre que l’enseignement supérieur français offre un enseignement de qualité, gratuit et ouvert et (b) il faut repenser le système de la recherche. En effet, les grandes écoles n’ont pas d’obligation de recherche, et – sauf pour les plus grandes – pas d’incitation à en faire. En orientant les meilleurs étudiants et les meilleurs enseignants vers des lieux ou il ne se fait pas de recherche fondamentale, on tue assurément les capacités scientifiques de notre grande Nation.
Qu’on le veuille ou non, le système universitaire français est en concurrence. Et il n’a que très peu d’outils pour se défendre. Je ne suis pas un chaud partisant de la loi Pécresse, je pense que l’université a besoin d’un effort financier massif, mais aussi d’une profonde réforme de sa gouvernance et de sa gestion. Sutout, tout ce qui le maintiendra l’illusion que l’unversité peut vivre en dehors de la concurrence renforcera in fine les écoles et creusera les inégalités.
Roidelapampa> Vous êtes mignon aussi, mais je suis un peu fatigué de l’abus des pseudonymats et autres masques de carnaval (étrangement plus fréquents dès qu’il s’agit peu ou prou de défendre la loi LRU, ce qui est au demeurant votre droit le plus strict). D’autant que votre commentaire n’est ni scabreux ni injurieux et qu’il est argumenté. Je me ferai donc un plaisir de vous répondre dès que vous aurez dit qui vous êtes et d’où vous parlez 🙂
J’ai 33 ans et je suis professeur d’université (sciences économiques).
Internet est pour moi un outil de travail ; je veille donc à ne pas trop disséminer mon nom sur la toile (mais je peux le donner en privé, s’il n’y a que ça)
Roi de la pampa> Et ben voilà, c’est déjà mieux 🙂 (même si au demeurant je ne comprends pas bien cette volonté d’anonymat sur des débats pour lesquels vous comptez pourtant au rang des premiers concernés.) Bref …
– le système de recrutement des comm de spé est loin d’être idéal (la lecture de quelques billets sur ce blog ovus donnera mon opinion précise et désabusée à ce sujet)
– Sur l’évaluation de la recherche en revanche, je ne vous suis pas. Ayant (ce qui est probablement votre cas aussi) participé au montage de différents projets de recherche, l’évaluation a bel et bien lieu en amont (cf les dossiers et le nombre de critères requis dans lesquels entrer), et en aval (cf les dossiers refusés par divers experts et rapporteurs).
– l’évaluation des enseignants : là d’accord Mais laisser cette évaluation au seul président (ou a son aréopage choisi ce qui revient au même) et fixer comme paradigme de ladite évaluation le « mérite », ne me semble pas non plus une réponse appropriée.
– le suivi professionnel des étudiants : il est assuré dans les filières et institutions qui ont les moyens de le faire (en IUT par exemple). Mais forcément, quand on est 3 maîtres de conférences pour gérer des cycles complets L & M comportant près de 200 étudiants, on a moins de temps. Du coup, l’idée de ne pas créer de postes ne me semble pas non plus vraiment une bonne idée …
– « ce sont les grandes écoles qui forment l’essentiel des cadres de notre pays » : peut-être (bien que cela mériterait d’être démontré statistiquement, si vous avez des chiffres, je suis preneur), mais l’université n’a précisément pas pour seule mission de former des cadres.
– Sciences PO et les autres : certes elles ont anticipé la loi. Ce genre d’école continuera de tirer son épingle du jeu quel que soit le cadre législatif régissant l’enseignement et la recherche. Ce qui m’inquiète, ce sont toutes les autres (universités)
– « L’université pourra alors se concentrer sur ce qu’elle sait bien faire : donner des cours dans des conditions minables, aux étudiants les moins bons, les plus pauvres et dans les filières qui ont le moins de débouchés. » Et ben, votre enthousiasme fait plaisir à voir … J’ai moi aussi enseigné et été étudiant dans des facs crasseuses et délabrées. Je n’ai pas trouvé que les étudiants y soient plus nuls que dans des facs pimpantes et suréquipées. Et en tant qu’étudiant, j’ai eu quelques excellents enseignants-chercheurs dans les mêmes facs délabrées.
D’accord avec roidelapampa, qui n’objectait ni sur la critique des pouvoirs des présidents, ni sur le manque de moyens et de postes (au contraire !) mais bien sur l’hypocrisie qu’il y a à faire croire que les tares qu’on dénonce, de façon plus ou moins fantasmatique, dans la loi Pécresse APRES consultation (même hyper rapide et insuffisante) des universitaires et des étudiants, n’existent pas déjà dans notre beau système.
On a tous d’excellents souvenirs de facs délabrées, mais on espère tous qu’elles seront moins délabrées un jour, non ?
Mes aïeux! les gouttes de sueur perlent encore sur mes tempes…La fatigue aidant, je pensais que cette « nouvelle » d’anticipation était bien réaliste…Beau travail, je compte bien le faire connaitre au plus grand nombre. Signé une étudiante en sciences humaines qui n’a pas le niveau de l’élite!
Voyez-vous, j’ai l’impression depuis mon recrutement à la fac. de vivre une fiction quotidienne. Alors celle-ci ou une autre! Tout cela pour dire que la question est-elle vraiment de savoir si cette fiction est probable, assurée, virtuelle. Elle vaut par ce qu’elle énonce et dénonce. Vivre et enseigner dans une fac. de Province n’est pas une sinécure, les conditions de travail se sont dégradées, les profs. ont tendance à repprocher à leurs étudiants de premier cycle de ne pas avoir le niveau… Pourtant, la pression à la publication est déjà réelle. Mes collègues et moi vivons un paradoxe incroyable : être l’élite du point de vue de la recherche, être les larbins des tâches administratives, être des bons samaritins pour les étudiants. Entre pragmatisme, moralisme, sacerdoce… tout ce mélange. Je ne suis pas sûre (je pense même le contraire) que l’arrivée de l’entreprise sera une solution radicale pour éradiquer tous les pb. D’une part parce que l’université française n’est pas prête à ce changement (doit-elle l’être ?), d’autre part que fera-t-on de tous ceux qui attendent meilleur sort avant d’entrer sur ce fameux marché du travail et qui ne sont bons pour aucune des filières financées. Petite question subsidiaire, les entreprises ne peuvent-elles pas elles aussi développer leurs formations internes et recruter des personnels ouverts, imaginatifs et prêts à apprendre la culture et les techniques de leur future entreprise ?
Que ce soit les enseignants-chercheurs, les étudiants, les personnels administratifs, tous perdons énormément d’énergie à nous battre en permanence contre des moulins à vent. Finalement, comme vous je ne me résout pas vivre l’épreuve du réel, et me lance dans l’écriture fictionnelle. J’aurais sans doute mieux à faire, car d’étudiante brillante, je suis devenue enseignante qui s’éteind.
Triste constat. Malheureusement je ne suis pas la seule à entrevoir avec grande difficulté un parcour de 40 ans au sein de cette institution. Et oui, étudiante de 18 à 27 ans, ATER de 26 à 28 ans recruté à 29, 35 ans déjà et combien d’années à tenir !
Tout n’est hélas pas fiction dans ce récit.
Christian Velot, enseignant-chercheur à l’Université Paris Sud, est menacé d’exclusion de son laboratoire de recherche (Institut de génétique et microbiologie, UMR CNRS-Université) pour avoir pris position publiquement dans le débat sur les cultures de plants génétiquement modifiés en plein champ. Contraire aux intérêts financiers du CNRS ? http://sciencescitoyennes.org/
Moi-même, professeur d’Automatique à l’Université Bordeaux 1, j’ai été exclu du laboratoire d’automatique de cette université en 2002, pour avoir critiqué la validité scientifique de transferts contractuels du directeur de ce laboratoire. Dès le début de la controverse initialisée par des chercheurs CNRS de Toulouse (LAAS), un directeur de la recherche d’un grand groupe industriel français écrit à la direction générale du CNRS : « … Il convient de veiller à ce que les communications n’entravent pas la bonne marche des travaux que nous menons ensemble … ».
A la suite de quoi les chercheurs toulousains sont priés de se taire, l’un d’entre eux attaqué en justice pour injures privées. Il avait écrit « canular scientifique ». http://perso.numericable.fr/benoit-be/
Prenant acte du mauvais fonctionnement de l’Université (dû pour beaucoup au manque de moyens financiers), Mme la Ministre Valérie Pécresse signe une loi dont les effets (sinon les objectifs) sont de généraliser et de régulariser ce genre de dysfonctionnement. Les mises en cause des statuts des personnels et enseignants-chercheurs (modulation des services, recrutements sur contrat), s’ajoutant à l’évaluation permanente sur critères « objectifs » dont tout le monde connaît les biais et les insuffisances ne vont pas dans le sens de l’amélioration de la qualité des universités, que ce soit dans leur mission de formation ou dans leur mission de recherche scientifique.
Loin d’être une loi pour l’autonomie, la loi LRU renforce la dépendance des universités vis à vis des financeurs privés, et la dépendance des chercheurs vis à vis de leur hiérarchie.
Je suis un peu stupéfait par ma lecture. J’avoue ne pas avoir eu le temps de lire les (très) nombreux commentaires.
Pour avoir de nombreux amis normaliens doctorants en France ou aux Etats Unis (Harvard et Columbia), je ne peux que m’insurger contre cette caricature! Harvard s’appelle toujours Harvard, quand bien même les fonds en sont privés.
Aucune entreprise n’a racheté d’université, et les étudiants continuent d’y étudier aussi bien la linguistique que la philosophie ou la sociologie et ce à très haut niveau.
Je rappelle que le système américain fait comme principal critère de réussite la production de savoir (et non la collaboration à des projets privés que vous exposez) et que la réputation et le salaire des professeurs est fonction du nombre de parutions et de la qualité des journaux dans lesquels ils paraissent.
Enfin, je connais trop de Normaliens (en lettres) profondément déprimés à leur retour d' »échanges » en université américaine de retoruver l’université française, qu’ils trouvent sclérosée, manquant de moyens, et minée par une gérontocratie refusant toute forme d’innovation. je précise que les gens qui tiennent ces discours sont largement de gauche, voire très à gauche et donc 😀 très intelligents.
Par ailleurs, répondre à Florence que « Ceci étant ce n’est pas l’entreprise que je caricature mais bien l’université 🙂 » ce doit être de l’ironie tant la description de l’entreprise correspond aux pires caricatures généralement proférées par des personnes qui n’en n’ont que peu d’expérience. Non les dirigeants ou les cadres ne sont pas tous des gros beaufs qui parlent comme des traders et n’ayant comme seul critère de réussite la rentabilité avant tout et ce au mépris des salariés ou subalternes (et pourtant le monde de l’entreprise est loin d’être rose, mais à ma connaissance, celui de l’université française, de ses modes de cooptation n’est pas non plus exempt de courbettes et autres jeux politiques…).
Bref, je comprends les inquiétudes légitimes, mais moins cette vision dystopique du futur de l’enseignement supérieur. Refuser sa réforme, c’est laisser le monopole de l’emploi et des formations professionnalisantes (ouh là là, des gros mots) aux grandes écoles. Et on sait combien ce système est favorable à la reproduction sociale et à la permanence des inégalités inter-générationnelles… (et j’en sais vaguement quelque chose, ayant fréquenté les bancs de l’université comme ceux d’une grande école de commerce).
François> Le le répète, ce texte est une CARICATURE, un exercice de style. On peut l’aimier ou ne pas l’aimer, le trouver ressemblant ou non, mais il reste une caricature : le trait est grossi, déformé, parfois légèrement, parfois à outrance. C’est le principe de la caricature 🙂
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