Ca bouge. Ca bouge même beaucoup dans le monde des livres, de l’édition, du numérique et des bibliothèques. Petite revue d’effectif (en vrac … pas le temps d’un billet d’analyse …) :
- l’un des bastions de la loi Lang est en train de tomber : les livres pourraient être soldés après 6 mois et non deux ans (délai actuellement de rigueur). Tout le monde est – à juste titre – en émoi comme en atteste le communiqué conjoint du SNE, du SLF et de la SGDL (communiqué de presse du 22/05/2008)
- j’Hachette Numilog : Hachette s’offre Numilog. Hachette se distingue déjà par une politique numérique très "offensive" et très en avance, notamment du côté des manuels scolaires, et notamment outre-atlantique. Cet achat s’inscrit donc dans une continuité qui creuse l’écart avec le reste du peloton. Voir l’interview du PDG d’Hachette Livre sur le Figaro. (repéré chez Aldus et Kotkot)
- le SNE crée une commission numérique (communiqué de presse du 21/05/2008). Il était temps diront les mauvaises langues. Le communiqué indique : "Alors que d’autres industries culturelles ont déjà été touchées par
l’arrivée du numérique, le livre fait face aux mêmes enjeux tout en
ayant encore le temps de réfléchir (…)" J’aimerais en être convaincu mais ce n’est hélas pas le cas (cf les points suivants de ce billet). A noter : il s’agit – notamment – pour cette commission, de pérenniser l’offre légale d’ouvrages sous droits dans le cadre de Gallica 2. A noter aussi : "La commission Numérique est présidée par Stéphanie van Duin, directrice du développement du groupe Hachette". Lequel groupe Hachette (filiale du groupe Lagardère), vient – je vous le rappelle – de racheter Numilog, principal fournisseur de la même offre légale d’ouvrages sous droits. Je vous fais un dessin ? - (repéré via Alain Pierrot) Microsoft arrête le service Live Book Search (recherche d’ouvrages numérisés libres de droits, le concurrent de Google Book Search) ainsi que le service Live Academic Search (le concurrent de Google Scholar) : Communiqué de presse. Il y a en fait deux niveaux de lecture dans ce communiqué : Microsoft continuera d’indexer les ouvrages et les articles de recherche, mais dans son index standard, et non plus de manière séparée. En revanche, Microsoft arrête les frais de la numérisation. C’est très clairement le côté financier qui est mis en avant. Le communiqué indique encore : "Nous prévoyons que la meilleure manière pour un moteur de recherche de rendre accessible des ouvrages numérisés est d’indexer les entrepôts créés par les éditeurs et les bibliothèques. Grâce à nos investissements (sic), la technologie pour créer ces entrepôts est désormais disponible à moindre coût pour tous ceux qui ont un intérêt commercial ou une mission de service public dans la numérisation d’ouvrages." Mon analyse (rapide …) est que Microsoft est coincé : d’une part par l’urgence de se positionner clairement sur le secteur du "search" en particulier et du Web en général (cf le récent feuilleton à propos du rachat de Yahoo!), ce positionnement risquant d’engager dans un avenir proche de très importants frais de trésorerie, et d’autre part, le retard du projet Live Book Search par rapport à l’offre Google Book Search est trop important pour pouvoir être comblé (avec là également quelques considérations de trésorerie à prendre en compte). Donc Microsoft arrête. Pour le reste des enjeux, voir le billet d’Alain Pierrot.
- De son côté, non seulement Google continue de déployer son arme de numérisation massive tout en piochant avec délectation, sans retenue et avec notre
consentementbénédiction éclairée dans les entrepôts numérisés existants, mais en sus, il ne manque aujourd’hui plus grand chose au tableau pour pouvoir filer jusqu’à son terme la métaphore de l’ogre dévorant ses enfants. Je m’explique : pour fonctionner en "vase-clos", c’est à dire pour centraliser au maximum les accès (lock-in syndrom) tout en externalisant au minimum ses services**, il ne manque à Google qu’une seule chose, les données catalographiques (métadonnées donc) des ouvrages déjà numérisés (par lui ou par d’autres), ou en voie de l’être (par lui ou par d’autres). Or l’OCLC (organisme derrière l’outil Worldcat) vient de passer (10 Mai 2008) un accord avec Google pour partager avec lui leurs données bibliographiques, lesquelles données sont elles-mêmes gracieusement fournies par la masse des catalogueurs anonymes (en fait c’est même un peu plus compliqué que ça puisqu’il faut parfois payer pour faire "remonter" ses notices dans l’interface de l’OCLC, mais passons …). En échange, Google continuera de faire ce qu’il fait déjà (c’est à dire renvoyer vers les sites des bibliothèques possédant les ouvrages), mais il le fera "mieux" … Et dans l’intervalle il jouira sans entrave du petit bijou qu’il vient ainsi de s’offrir à moindre frais : c’est à dire, ne tournons pas autour du pot, l’ensemble d’une certaine idée de la chaîne du livre, depuis la numérisation des ouvrages jusqu’à leur prescription et leur délivrance aux utilisateurs, en passant par la richesse et la souplesse que confère à cet ensemble la maîtrise de la chaîne de catalogage (= notices bibliographiques). La morale de l’histoire ne dit pas ce qu’en pensent les catalogueurs qui se trouvent ainsi "employés sans être payés" (sinon de reconnaissance symbolique) par la firme de Mountain View. Mais n’est-ce pas là in fine notre lot à tous ? (Via le Chronicle of Higher Ed) - Et puis aussi, on a appris la disparition de la DLL (Direction du livre et de la lecture). Et alors ? Et ben alors … allez lire Olivier Tacheau, Dominique Lahary et l’onctueuse extrême onction de François Bon sur le sujet).
Bon, on résume ?
- En France, les bibliothèques s’éloignent inexorablement de l’Etat (DLL requiescat in pace), alors que dans le même temps les éditeurs multipolaires (Lagardère) s’en rapprochent (dangereusement ?).
- Ailleurs dans le monde, l’insolente réussite de Google condamne les meilleures volontés – OCLC – (et les projets alternatifs pourtant les plus crédibles) à se féliciter d’être – pardonnez le raccourci – corvéables à merci, alors même que les rivaux les plus solides (financièrement) préfèrent botter en touche (Live Book Search).
- En ligne de fond, la loi Lang sur le prix unique du livre est patiemment mais sûrement détricotée au seul profit des éditeurs et des grandes centrales.
- Et au final, et ben au final je ne serai pas très prompt à me réjouir de voir ainsi les destinées du livre (numérique ou non) laissées entre les mains de deux régies publicitaires : Lagardère et Google. Tout cela "me fait penser au prestige du rince-doigts ou du baise-main. Ce n’est pas le rince-doigts qui fait les mains propres, ni le baise-main qui fait la tendresse."
** à l’inverse de toutes (ou presque) les autres organisations qui, elles, externalisent leur activité documentaire vers Google ou les grands firmes proposant une offre Saas (cf le dernier billet de Jean-Michel Salaun à propos de Cloud Computing)
Live Search Book sarrête
Microsoft ny était jamais allé de gaité de coeur. En tout cas, voilà quil arrête Live Search Book et son programme de numérisation imité de Google, nous explique très bien Alain Pierrot. Voilà qui recompose certaines pièces de l…