Le village dans les nuages.

"Le web comme village global", disaient-il déjà il y a plus de 15 ans. Et maintenant avec le Cloud Computing, voilà le village dans les nuages. L'année qui vient va être décisive. Décisive pour les acteurs de l'informatique en nuage, et donc décisive pour chacun d'entre nous. Décisive parce que les choses vont désormais s'accélérer, décisive parce que le web-média entre dans l'âge de la maturité des usages, un âge de la normalisation, de la régulation, de la législation, un âge du politique.

Voilà déjà longtemps qu'autour des livres, de la musique, de la presse en ligne, qu'autour du domaine public comme en plein coeur de la zone d'exploitation commerciale s'affrontent éditeurs, agrégateurs, hébergeurs, prestataires divers et ayants-droit particuliers. De la traduction interdite du vieil homme et la mer à Bruce Willis affrontant les CGU d'Apple, de l'affaire Megaupload comme système jusqu'à chacun de nos usages connectés dans cet écosystème, les exemples sont légion de l'incapacité du politique à statuer de manière claire sur la question pourtant simple de l'appropriation et de la possession de contenus dématérialisés. Encore pour pouvoir statuer lui faudrait-il soit accepter d'appliquer au web des lois différentes de celles du monde physique (dans la logique par exemple des licences creative commons ou plus largement du mouvement des "commons"), soit envisager une "mondialisation" effective des territoires juridictionnels et législatifs à l'échelle du globe (par exemple pour régler la question de l'harmonisation de la durée des droits d'auteurs). Bref, il est à peu près certain que d'un côté comme de l'autre, la réponse ne viendra pas de sitôt. A moins …

A moins que la politique et les majors qui l'accompagnent ne prêtent une oreille attentive aux derniers propos du CSPLA, le Conseil Supérieur de la Propriété Littéraire et Artistique. Dans l'un de ses derniers rapports, celui-ci recommande, comme le rapporte PC Impact, de distinguer trois types de services dans les nuages :

  • "D’abord, les casiers personnels (Dropbox, OVH). Ce sont des mémoires
    déportées où l’utilisateur va stocker ses fichiers. Ensuite, les
    services de synchronisation associés à un service de vente (iTunes in
    the cloud, Google Play). Là, un fichier stocké en ligne va « arroser »
    plusieurs appareils. Enfin, iTunes Match. Le service d’Apple scanne le
    catalogue de l’utilisateur pour proposer ces mêmes fichiers en
    équivalent dans les nuages, en général de qualité supérieure. Quand
    l’équivalent n’est pas trouvé, iTunes « uploade » le fichier de
    l’utilisateur sur le nuage afin d’enrichir son catalogue."

Je vous recommande vraiment très vivement la lecture intégrale de l'article de PC Impact : "Comment tuer le statut d'hébergeur ? Avec la copie privée dans le Cloud". Il contient un très grand nombre de clés pour comprendre les enjeux colossaux qui vont très vite venir modeler l'ensemble des services offerts dans le cloud, et avec eux l'ossature même du réseau qui rend possible ces services, et avec eux surtout, l'ensemble de nos usages culturels connectés.

En France toujours, ce seront finalement non pas un mais deux acteurs qui se partageront le gâteau de l'infrastructure du Cloud "à la française". A ma gauche "Cloudwatt" porté par Orange et Thalès, à ma droite "Numergy" porté par Bull et SFR. La fin de la dépêche AFP qui annonce ce lancement est suffisamment gratinée pour que je vous la reproduise ici 😉

"Alors que les géants informatiques Cisco, IBM, Microsoft, Google ou
Amazon investissent depuis des années des milliards de dollars dans le
"cloud", l'émergence simultanée de deux projets français, garantissant
un stockage des données sur le sol national, s'est faite au forceps. (sic) Un
projet initial, baptisé "Andromède", avait capoté en décembre 2011 à la
suite de la défection d'un membre fondateur du consortium, Dassault
Systèmes, parti fonder un projet concurrent avec l'opérateur SFR avant
de jeter l'éponge (re-sic).

L'Etat, qui devait au départ injecter 135
millions dans "Andromède", a finalement décidé en mai de financer à
parts égales (75 millions) le projet porté par Orange/Thales, et celui
monté par SFR (Vivendi) avec Bull."

Deux "clouds" sur lesquels on voit déjà assez bien au regard des principaux actionnaires porteurs, que la question de la neutralité du net risque très vite de devenir la planche sur laquelle s'abattra le marteau, histoire d'enfoncer le clou(d).

Et donc ?

Donc primo, confirmation de l'avènement prochain et systématique de l'acopie : "L'acopie ce serait alors l'antonyme de la copie. Un terme désignant la
mystification visant à abolir, au travers d'un transfert des opérations
de stockage et d'hébergement liées à la dématérialisation d'un bien, la
possibilité de la jouissance dudit bien et ce dans son caractère
transmissible, en en abolissant toute possibilité d'utilisation ou de
réutilisation réellement privative."

Donc, deuxio, comme Google se plaisait à l'annoncer de manière prémonitoire un jour de 2006 : "En nous rapprochant de la réalité d'un "stockage à 100%", la copie
en ligne de vos données deviendra votre copie dorée et les copies sur
vos machines locales feront davantage fonction de cache. L'une des
implications importantes de ce changement est que nous devons rendre
votre copie en ligne encore plus sûre que si elle était sur votre propre
machine.
" Une copie "dorée" qui, pour reprendre le vocabulaire de l'Open Access, emprunte "la voie dorée" : ce sont les dépositaires de nos copies, de nos "oeuvres" qui s'occupent de leur mise à disposition pour que chacun puisse ensuite y avoir accès. En l'occurence il s'agit pour ces mêmes dépositaires, de la possibilité de s'offrir un accès pérenne à toutes nos copies, ne nous laissant plus qu'un droit de lecture qu'ils monnaieront le temps venu, ou quand la rente publicitaire liée à l'indexation des mêmes copies s'amenuisera un peu trop aux yeux des actionnaires. Une voie dorée donc, pour des copies tout aussi dorées et qui bientôt n'aura même plus besoin du recours à la "voie verte", celle dans laquelle nous mettons nous-mêmes en ligne, délibéremment, l'essentiel de ces copies. De fait, nous pourrions sous peu ne plus avoir le choix : la lecture, l'accès, la diffusion, le partage et l'écriture se trouvant tous confondus, synthétisés dans l'acte fondateur de l'acopie, cet enregistrement d'une dépossession programmée, cette engrammation d'une disparition.

Donc tertio, parce qu'elle reposait précisément sur cette articulation de la question de la copie privée au regard des pratiques d'acopie et autres dispositifs de production ou de reproduction, il va falloir multiplier les copy-party 🙂

Dans la matrice.

<HDR> Donc, in fine, il y a pour les chercheurs en sciences de l'information une urgence à proposer et à "penser" une typologie des services de cloud qui dépasse le triptique à la louche établi par le CSPLA et qui permette d'en rendre toute la complexité, ou à tout le moins d'articuler cette complexité avec les usages qu'elle est supposée initier, brider ou amplifier (de mon côté, ce sera sûrement une suite aux deux tableaux proposés ici et ). Produire une typologie du Cloud comme nouvelle couche matricielle de l'internet. Car jamais à aucun moment depuis la connexion des 2 premiers ordinateurs du réseau, la question des contenus et des tuyaux, la question du web et du net, celle de l'intérêt public et de la copie privée et celle, en miroir, des intérêts privés au service de la copie à usage public, jamais ces questions ne furent si inextricablement mêlées. Jamais nos usages n'en furent si étroitement dépendants. </HDR>

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