L'Internaute, ayant publié et partagé
Toute sa vie,
Se trouva fort dépourvu
Quand d'autres que ses amis firent le portrait d'icelui :
Pas un seul petit morceau
De sa vie qui n'échappe au regard d'autrui.
Il alla crier "droit à l'oubli"
Chez les moteurs et les réseaux sociaux ses voisins,
Les priant de supprimer
Quelques traces collectées
Jusqu'à la saison nouvelle.
"Je vous paierai, leur dit-il,
Avant l'Oût, foi d'internaute,
Intérêt et principal."
Promettant même, si dépourvu,
D'aller relire leurs CGU.
Les moteurs et réseaux ne sont pas effaçables:
C'est là leur moindre défaut.
Que faisiez-vous au temps chaud?
Dirent-ils à cet insouciant.
– Nuit et jour à tout venant
Je pensais converser, échanger, discuter, visionner, écouter,
Oui mais en fait …
Je publiais, ne vous déplaise.
– Vous publiiez ? Nous en sommes fort aise.
Eh bien! oubliez maintenant.
Excuses à Jean. L'original est là.
La fable s'inscrit dans l'actualité du lancement par Google d'un "formulaire" pour le droit à l'oubli sur les interfaces européennes de son moteur de recherche. Je vais vous épargner un énième billet sur le sujet. Juste vous recommander éventuellement la lecture de cet excellent bouquin :-). Ou juste du passage dans lequel j'évoque la question. Et une toute petite revue de liens sur le sujet :
- Le Monde : "Google lance son formulaire d'oubli pour les européens"
- Réaction de Larry Page dans The Guardian : "Right to be forgotten could empower government repression"
- sur Abondance : Google et le droit à l'oubli : un coup d'épée dans l'eau
- sur L'Usine Digitale : 12 000 demandes en 24h pour le formulaire "droit à l'oubli" de Google
Et tant qu'on parle d'oubli, surtout se souvenir que Google et Facebook ne sont pas les seules entreprises à en savoir beaucoup sur nous, et surtout que ce ne sont pas celles … qui en savent le plus.
Alors oui, je demeure convaincu que pour tout un tas de raisons le "droit à l'oubli", en plus d'être parfaitement inapplicable, est l'archétype de la fausse bonne idée. Que davantage qu'un droit à l'oubli, c'est d'un droit à la confiance dont nous avons besoin. Confiance dans ces nouvelles médiations algorithmiques, confiance dans l'adressage et la diffusion de nos données, confiance enfin et surtout dans l'étendue, la nature et l'objet de ce qui est et restera notre seule et unique mode d'expression, d'implication, et de participation numérique : la publication. Cette confiance qui est la condition sine qua non mais également la garantie de notre "attention au réseau".
Je répète :
Publication : "Comprendre enfin que l'impossibilité de maîtriser un "savoir publier", sera demain un obstacle et une inégalité aussi clivante que l'est aujourd'hui celle de la non-maîtrise de la lecture et de l'écriture, un nouvel analphabétisme numérique hélas déjà observable. Cet enjeu est essentiel pour que chaque individu puisse trouver sa place dans le monde mouvant du numérique, mais il concerne également notre devenir collectif, car comme le rappelait Bernard Stiegler : "la démocratie est toujours liée à un processus de publication – c'est à dire de rendu public – qui rend possible un espace public : alphabet, imprimerie, audiovisuel, numérique."
Attention au réseau : "parvenir à subvertir ou à s'abstraire des seules logiques de l'économie de l'attention pour les remplacer par une réelle "attention au réseau". Une attention qui ne devra pas uniquement se décliner sur le mode de la vigilance (= veille) mais à celui du "soin apporté" ; porter attention au réseau c'est aussi en "prendre soin" et l'investir en connaissance de cause, c'est à dire en maîtrisant – par exemple – ses mutations les plus fondamentales (neutralité, protocoles). C'est à partir de ce soin, de cette compréhension portée à la fois vers l'infrastructure technique (le Net) et ses manifestations de surface (le web) que passeront de plus en plus des logiques pérennes de citoyenneté numérique à la fois stables, identifiables, réellement "contributives" plus que simplement "participatives" et, à l'image du réseau lui-même, en reconfiguration permanente.
La première édition de la fable est là (je crois) : http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/btv1b8610825d/f63.image