La domestication de l’algorithmie sauvage : Sérinsipidité et écholaliste.

Quelques définitions.

Sérendipité : "La sérendipité, parfois appelée découverte accidentelle, est originellement le fait de réaliser une découverte scientifique ou une invention technique de façon inattendue, accidentelle, à la suite d'un concours de circonstances fortuit et très souvent dans le cadre d'une recherche concernant un autre sujet." (voir mes nombreux billets et articles scientifiques sur le sujet)

Insipide : "Qui n'a aucune saveur, aucun goût."

Écholalie : "Répétition automatique, par un sujet, des paroles que vient de prononcer son interlocuteur."

Liste : "Suite continue, hiérarchisée ou non, de noms (de personnes ou d'objets) ou de signes généralement présentés en colonne."

Quelques remix.

Sérinsipidité :

"Dans un paysage médiatique où tout le monde publie peu ou prou la même information, le «plus-produit» n’est plus l’information, mais l’étonnement. Les sites d’info produisent du haussement de sourcil à la chaîne. Un étonnement dont la vigueur ne cesse de baisser, tendant inévitablement vers 0."

Néologisme de moi-même, mais définition de Vincent Glad dans son très bon, "Cet article va vous surprendre (si vous en avez encore la force)".

Écholaliste :

"Répétition automatique, par des individus ou des collectifs organisés (principalement des rédactions de journaux) de sujets présentés sous forme de listes de choses "à faire", "à savoir" ou "à ne pas faire"."

Définition de moi-même dans le très bon article que vous êtes en train de lire 🙂 Illustration(s).

10choses

Même chose sur les plateformes sociales que sont Facebook et Twitter et dont les "10 choses" s'égrennent comme une assourdissante litanie :

Fb10choses

Twt10choses

Sports, finance, société, technologies, gastronomie, mode, politique, économie, aucune rubrique, aucun sujet n'échappe à son "10 choses". Et n'allez pas croire que Démotivateur, Topitos et autres Buzzfeed en ont l'exclusivité.

Et alors que l'on voit déjà apparaître des solutions de filtrage permettant de "nettoyer son mur Facebook des sujets pénibles", on en vient à se demander à quoi il ressemblerait, ce mur Facebook, si en plus d'en faire disparaître les sujets pénibles, on se mettait aussi à enlever les lolcats viraux et les publicités ciblées. A quoi il ressemblerait … et à quoi il (nous) servirait …

La raison économique : la domestication de l'algorithmie sauvage.

Dans "La raison graphique, la domestication de la pensée sauvage", Jack Goody décrit 3 stades dans l'évolution de l'écriture : celui de la liste, du tableau, puis de la formule.

Notre écriture, "les écritures" du web comme d'ailleurs ses lectures, sont aujourd'hui des écritures "formulistes", c'est à dire qu'elle utilisent des formalismes, des "formules" que sont les algorithmes pour produire essentiellement des listes (et afficher ces listes – de titres – sous forme de liste – de résultats). La raison n'est pas graphique mais économique : parce qu'il y a une économie de l'écriture, une place de marché du vocabulaire, des mots vendus aux enchères, de maudites métriques merdiques de mots.

Et une nouvelle rhétorique du clickbait :

Buzzfeed-600x900

S'ensuit un phénomène "d'écholaliste" visible dans la copie d'écran de Google reproduite plus haut. Les gens – et les rédactions – produisent des listes dont les formules algorithmiques des moteurs et des réseaux sociaux nous renvoient la liste. La litanie de la liste.

Mais il n'y a pas ici, de vertige de la liste. Ou ce vertige s'est déplacé. Il est non pas le vertige de la liste mais le vertige de l'affichage des listes. Le vertige de l'incessant défilement de listes dans lesquelles on liste les infos qui se délitent plus qu'elles ne se donnent à lire, laissant, littéralement, aux algorithmes maîtres, le sens de la formule, celui que tant de rédactions revendiquaient, et devant lequel elles semblent aujourd'hui avoir abdiquées. 

Et retour.

Laisser la parole à Umberto Eco pour finir :

"Une liste c’est l’énumération de choses essentielles ou futiles, c’est l’arrangement aléatoire ou structuré d’éléments cohérents ou disparates, c’est un classement toujours provisoire, c’est l’organisation incongrue ou harmonieuse d’objets réels, virtuels, imaginaires ou symboliques, c’est  l’entassement volontaire ou hasardeux d’ensembles homogènes, c’est l’accumulation de définitions nécessaires ou chimériques, c’est l’aboutissement dialectique du dialogue utopique entre le rêve et la raison. C’est le vertige qui nous prend devant l’agencement impossible du monde etc, un processus utilisé par les artistes."

Remplacer "liste" par "algorithme". "Un algorithme c'est l'énumération de choses essentielles ou futiles, c'est l'arrangement aléatoire ou structuré d'éléments cohérents ou disparates, …"

Continuer. "Un algorithme c'est le vertige qui nous prend devant l'agencement impossible du monde".  Trouver qu'il s'agit là d'une définition acceptable, et belle, d'un algorithme. Se dire qu'au fond, une formule, même algorithmique est d'abord faite d'une liste. D'une liste de critères, de paramètres et de choix.

10 choses que vous ne savez pas sur les algorithmes, et qui vont vous surprendre.

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