Chère Najat Vallaud-Belkacem,
Dans une très récente interview à NextInpact tu as déclaré ceci à propos de l'accord passé avec Microsoft pour l'utilisation de sa suite logicielle dans les écoles :
"Ce n'est pas parce qu'on travailla avec Microsoft un jour qu'on travaillera avec Microsoft toujours, ce n'est pas vrai", dis-tu.
Hé bien figure-toi que justement, si, c'est vrai. Tu parles "d'acculturation" mais tu feins d'ignorer un élément essentiel de ladite acculturation. Accorde-moi 5 minutes que je t'explique.
Derrière un outil (informatique s'entend), il y a toujours deux choses : un marché (ou une audience) et une philosophie. Le marché que tu as accordé à Microsoft est déjà, hélas, dramatiquement contre-productif et parfaitement irresponsable au poste que tu occupes. Mais cela a déjà été largement dénoncé, alors … passons. Et reparlons philosophie.
Signature du contrat entre Microsoft et le Ministère de l'éducation nationale et du logiciel propriétaire
Oui il y a une philosophie derrière un outil propriétaire développé par une entreprise. Il y a une "philosophie" Apple, il y a une "philosophie" Microsoft, il y a une "philosophie" Google, une "philosophie" Facebook, etc. La philosophie d'Apple par exemple, c'est celle de la fermeture. Je te fais la version courte mais il ne t'a pas échappé que les produits Apple était largement incompatibles avec tout matériel, extension, terminal qui ne soit pas de la marque Apple. Apple est connu pour son écosystème parfaitement fermé et hermétique à tout corps étranger. Cela ne veut pas dire que les outils Apple sont pourris, cela veut juste dire qu'ils ne sont pas "interopérables" et qu'il vaut mieux connaître la philosophie Apple avant d'acheter l'un de ses produits.
Microsoft aussi a sa philosophie. Elle est également une philosophie de la fermeture, certes bien moins qu'Apple, mais de la fermeture quand même. Tu me suis ? Bon.
Alors voilà le 2ème point important : les outils logiciels de cette firme sont des vecteurs de cette philosophie. Ils "transmettent" cette philosophie, ils en sont, si tu me permets une métaphore, les prophètes chargés d'en répandre la bonne parole. Je te donne un exemple : pour ton prochain conseil des ministres, prépare un joli diaporama à l'aide de l'outil philosophique Powerpoint de Microsoft. Bien. Et maintenant ouvre ta présentation (si tu l'as enregistrée au bon format) avec un autre outil d'une autre philosophie, Open Office par exemple. Voilà. Normalement tu as compris. Plein d'éléments de la présentation Powerpoint ne "passeront" pas, ou mal, sur Open Office. Parce qu'au-delà du format, ce n'est pas la même "philosophie" dans la conception, l'interface et les possibilités (ou impossibilités) du logiciel. Tu me suis toujours ? OK.
On passe alors au 3ème point. Le point de l'acculturation. Prenons un élève qui aura toujours eu l'habitude de travailler en priorité sur des outils de la philosophie Microsoft. Et accueillons cet élève au collège, au lycée ou à la fac. Et mettons-le devant un outil avec une autre philosophie. Que va-t-il se passer ? Et bien, acculturation justement, cet élève / étudiant va être … perdu. Il va lui falloir réapprendre à utiliser un outil qui permet pourtant de faire la même chose que celui qu'il a l'habitude d'utiliser (des diaporamas), mais avec une autre philosophie. Si ça t'intéresse il existe plein de thèses sur les IHM (interfaces homme-machine) et la psychologie cognitive qui documentent très précisément cet état de confusion qui se présente non pas quand on change "d'outil" mais quand on change de "philosophie", c'est à dire quand on expérimente des outils pensés et conçus différemment, dans une autre logique, avec une autre "philosophie".
Donc il est triplement faux de prétendre que "ce n'est pas parce qu'on travailla avec Microsoft un jour qu'on travaillera avec Microsoft toujours, ce n'est pas vrai". Non seulement c'est vrai, non seulement c'est très bien documenté, mais en plus de cela il existe un dernier paramètre qui s'appelle l'économie de coût cognitif. Les gens (toi, moi) ont tous toujours tendance à préférer des environnements de travail et des outils qu'ils maîtrisent déjà et qui vont donc avoir un coût cognitif d'acculturation quasi-nul. Et je ne te parle même pas du coût cognitif de l'installation et du paramétrage de ces outils d'une philosophie différente de celle des grands acteurs marchands à qui tu réserves une place de choix à l'école. Sinon, à commencer par moi d'ailleurs, on serait tous en train de bosser sous Ubuntu (le système d'exploitation de la philosophie Linux). Donc si on apprend aux enfants, dès l'école primaire, à utiliser les outils et la philosophie Microsoft, ils ne vont pas se prendre le chou à basculer vers des logiciels libres, même s'ils en ont la compétence, même si ces outils permettent de faire la même chose.
Encore un dernier point pour qu'on se comprenne bien : ton exemple des manuels scolaires est tout moisi ("C'est un peu comme si vous me disiez que le fait d'utiliser telle édition d'un manuel scolaire va rendre les enfants addicts à cette édition"). Figure-toi qu'aux Etats-Unis, la plupart des enfants sont éduqués avec des manuels scolaires dans lesquels c'est l'idéologie créationniste qui est mise en avant, et non pas la théorie Darwiniste de l'évolution. Et figure-toi que oui, utiliser ces manuels scolaires rend les enfants addicts. Pas addicts aux manuels scolaires, mais addicts à la philosophie créationniste derrière cet "outil" qu'est le manuel scolaire.
Je m'en voudrais de terminer ce message sans te rappeler que le rôle de l'école / collège / lycée / université c'est bien de former et d'enseigner une philosophie plutôt qu'une autre. De choisir une philosophie plutôt qu'une autre. Et qu'accessoirement c'est un peu la prérogative directe du ministère qui t'es confié que d'effectuer ces choix ou à tout le moins de les guider. Les Etats-Unis ont fait le choix du créationnisme plutôt que du Darwinisme. OK. J'aimerais que notre école républicaine fasse vraiment le choix de celui du logiciel libre et de sa philosophie plutôt que celui que tu lui proposes à grands renforts de juteux contrats léonins avec Microsoft. Vraiment. Mais visiblement tu ne partages pas mon avis. C'est dommage. Très dommage.
Nonobstant tes erratiques choix, j'ai pour toi une forme d'estime car je te crois non seulement parfaitement capable d'entendre ces arguments, mais je suis surtout convaincu que tu les partages. Tu imagines alors à quel point le fait de te voir ainsi t'enfoncer dans une série de successifs renoncements me navre et participe une énième fois au discrédit de la parole politique et de l'engagement de nos élus.
Bisous.
(parce que sur la philosophie des internets on fait toujours des bisous même aux gens qui nous agacent profondément ou dont on ne partage pas le point de vue).
Merci pour ce post , ce sont l’approche et les mots parfaits pour exprimer ce que tant de gens ressentent .
On assiste impuissants à des décisions incompréhensibles de personnes qui semblent pourtant censées.
L’avenir de Microsoft et Apple semble lui aussi être compromis quand on sait que Google vient d’annoncer la sortie de son nouveau système d’exploitation Andromeda , une sorte d’hybride Android et Chrome OS , pour entrer plus encore dans le monde des entreprises et selon moi aboutir à un seul OS pour tous les équipements ,smartphones, ordinateurs portables et fixes, machines à café… au bureau et à la maison.
Et bien sur ce serait gratuit, mais comme nous somme déjà le produit, un peu plus ou un peu moins…
Ce qui est amusant c’est qu’Android et chrome OS ne sont que des distributions de Linux (juste assez modifiées pour que Google puisse garder le contrôle) . On devrait donc tous passer sur Ubuntu pour être mieux préparés à Andromeda. Enfin, pour ma part je suis sur Cubuntu, une distribution Française avec plein d’applis déjà installées et le gestionnaire de bureau Cinnamon qui ressemble un peu à Windows (c’est pour le sevrage 🙂 )
)
Bisou
Même chose pour Phooshop dans les écoles de graphisme
Merci pour cette réponse tellement évidente. C’est effrayant de voir que nos décideurs ne comprennent pas ce qu’ils font, ce qu’ils signent, ce que cela implique…
Tout cela leur échappe… Encore aujourd’hui, et même auprès de jeune politicienne…
comparer les différents systèmes de gestion informatiques avec les philosiphies darwinistes et créationnistes est excessif
j’ai commencé,sur les premiers PC avec textor,multiplan et draw
je suis passe sans difficulté a word exel et architecte 3d
Pour ce qui est d’un traitement de texte, par exemple, on parlait dans les années 90 du « Syndrome du canard » : je connais mon traitement de texte, si un autre produit, même meilleur, existe, je n’en change pas, celui me convient (c.a.d il est le meilleur et puis j’ai pas envie de me casser la tête à re-apprendre). Pourquoi le canard ? Parce qu’un tout jeune caneton dont la maman vient de mourir adoptera facilement en tant que maman une poule et ses poussins, et la suivra partout.
Naja fait fausse route et est sans doute très mal conseillée/renseignée.
Je doute qu’il y ait le moindre renoncement chez Najat Vallaud-Belkacem ni une incompréhension complète des enjeux du numérique de sa part. Cette personne appartient à l’aile droite du PS, pro-capitaliste et hostile aux valeurs du libre. En signant cet accord, elle suit ses convictions. Il faut connecter la question du libre avec l’ensemble des questions économiques et sociales. Bisous,
Merci de ne pas confondre la philosophie GNU/Linux et celle de Canonical avec Ubuntu+Unity.
https://www.gnu.org/gnu/why-gnu-linux.fr.html
L’informatique a fait son apparition dans le mon scolaire à l’aube des années 60, d’abord à l’université puis s’est étendue au secondaire et au primaire. Souvent ralentie car dérangeante et bousculant les traditions. Relancée dans les années 90 grâce à un usage de plus en plus répandu dans la population et l’émergence de l’internet. Aujourd’hui encore avec le plan numérique et l’engagement de nombreux accords il apparaît que le pédagogue éprouve des difficultés à l’utiliser et l’utiliser dans ses pratiques quotidiennes.
Alors Microsoft, Google, Apple tous ces géants de l’informatique seraient à bannir, actuellement ils proposent des solutions que chacun utilisent car le problème n’est pas de savoir quels outils prendre mais quels outils utiliser pour la tâche à accomplir. Ainsi pour cette réponse j’utilise Word, produit Microsoft, avec un ordinateur Asus du type PC pour faire simple, le navigateur Firefox de Mozilla et le réseau social Twitter croyez-vous que nous nous posions toute votre réflexion, j’en doute, d’ailleurs de me demandez-pas quel est le nom de l’opérateur et par quel moyen de transport de l’information parviendra ce message.
Acteur de monde de l’éducation, j’ai à la fin des années 90 participé avec enthousiasme à la mise en place des TICE, Technologie de l’Information et de la Communication dans l’Education, que notre nouveau premier ministre, hasard d’un choix stratégique du Président de la République Française, avait relancé. Quelle misère ai-je découvert dans les écoles, quelle énergie les enseignants mettaient à pouvoir mettre en place le matériel à des fins pédagogiques. Mairie, Conseil général et Conseil régional s’activaient à développer l’usage des TICE avec des moyens très disparates.
Croyez-vous que l’accord récemment signé avec Microsoft nous oblige à devenir et dépendre de la pensée Microsoft. Nous pourrions être tous Appel à ce jour mais le budget de l’Etat est un budget réfléchi, pour le prix d’un matériel Apple nous pouvions à l’époque obtenir au moins trois PC donc du soft Microsoft.
Les usages, oui vous avez raison quant à l’utilisation du logiciel libre, tant dans la qualité que dans l’esprit des créateurs et tous ceux qui participent à leur amélioration. L’accord n’implique pas l’obligation et l’usage des produits Microsoft, il est possible que par facilité certains choisissent cette solution. Nous en arrivons alors à la formation des enseignants, capacité à enseigner, mais aussi missions et devoirs du fonctionnaire… qui aujourd’hui peut se vanter de les avoir rappelés au sein des centres de formation ? N’est-il pas de bon usage que de se vouvoyer, marquant ainsi le respect et la distance nécessaire avec ses partenaires, ses élèves, les parents ainsi qu’avec notre hiérarchie. J’ai lu avec attention et beaucoup de respect vos propos, j’en partage certains mais le citoyen que je suis et l’acteur du monde éducatif émet les siens.
Merci, c’est très juste et très bien expliqué… Je rejoins complètement l’avis de monsieur François Lescoutte sur les logiciels dans les écoles d’arts et d’arts appliqués.
On avait essayé d’encourager une approche comparative des « philosophies » de langages de programmation, avec « Des algorithmes aux langages Basic, LSE, Logo » / Jacques Lopez… (1986)
Flop éditorial et pédagogique complet…
Mais on arrive à en trouver trace :
http://pmb.univ-saida.dz/busegopac/index.php?lvl=coll_see&id=14471
Une expérience à enseigner à quelques hôtes du 110 rue de Grenelle, peut-être ?
Très bon billet, j’aime beaucoup. Merci.
L’enseignement du créationnisme reste minoritaire aux USA (Heureusement) ! cf. http://www.slate.com/articles/health_and_science/science/2014/01/creationism_in_public_schools_mapped_where_tax_money_supports_alternatives.html et https://en.wikipedia.org/wiki/Creation_and_evolution_in_public_education_in_the_United_States#Movements_to_teach_creationism_in_schools
Bonjour,
le choix d’Ubuntu est lui aussi philosophique, tout comme le choix de Suse ou Debian, l’important étant de ne pas présenter la distibution que l’on a choisie comme étant « le système d’exploitation de la philosophie Linux »…
Bisous aussi
En ce moment, j’aime bien LinuxMint !
Bonjour,
J’ai travaillé à l’accompagnement au changement sur du Microsoft Sharepoint dans Un établissement public à caractère administratif et j’ai toujours eu comme philosophie de ne pas utiliser leurs produits à la maison, souvent désuets dans bien des domaines et en particulier sur le web et le travail collaboratif.
Les particuliers ou les petites entreprises peuvent se rendre compte qu’une solution ne correspond pas à leur besoin et changer très rapidement, mais depuis les années 80-90 Microsoft vend sa suite bureautique à de nombreuses grosses entreprises.
Ces grosses entreprises sont des laboratoires ouverts aux innovations, mais les employés ont leurs habitudes et changer les outils n’est pas un pari facile. D’autant plus que les commerciaux de Microsoft récoltent les besoins et proposent des solutions à la source sans effort puisqu’ils sont déjà sur place à observer de l’intérieur les entreprises sous contrat windows et office. De plus ils offrent les logiciels ou proposent des réductions à tous les employés.
La plaquette publicitaire est prête avant même que leurs nouveaux produits inspirés de ce qui existe déjà sur le marché ne deviennent réellement fonctionnels sous le tampon microsoft.
J’appelle ça des produits pompés à moitié fini ou développé avec les pieds, Sharepoint en est l’exemple parfait.
Leurs clients investissent plusieurs millions d’euros en espérant que ces nouveaux produits conviennent à leurs besoins et ne peuvent plus faire marche arrière lorsqu’ils s’aperçoivent de la supercherie, bien souvent celui qui signe le chèque a confiance en “Microsoft” surement à cause de la suite Bureautique et sa notoriété mondiale.
De toute façon les entreprises n’ont pas vraiment le choix lors de l’appel d’offre tout est déjà écrit pour correspondre à ce que Microsoft propose sur sa plaquette et les acheteurs n’ont plus cas signer.
Pourtant les clients se retrouvent à tous les coups contraints de faire développer des outils spécifiques en attendant que la prochaine version corrige et réponde à ce qui était espéré sur le papier… Mais bon comme c’est Microsoft, tout le monde trouve ça normal de se faire couillonner, sauf peut être l’utilisateur qui doit passer 8h par jour dessus.
Le produit est vendu avant même d’exister et c’est comme ça pour beaucoup de choses en informatique sauf que venant de Microsoft on a confiance.
Cette force de vente permet à la marque de formater ses futurs ingénieurs et partenaires dans des écoles de différents pays et d’imposer en effet sa philosophie. Oui j’utilise le terme formaté, j’ai travaillé avec plusieurs jeunes ingénieurs et techniciens incapables d’avoir du recul et de critiquer MS, au contraire ils adorent le Dotnet, Powershell et Sharepoint même quand ça bug. Forcément cela réduit considérablement les chances de voir un autre acteur que Microsoft proposer des outils aux établissements publics mais comme c’est une entreprise lente qui copie les autres on peut espérer que nos enfants ne se feront pas duper et qu’ils s’apercevront rapidement que les outils qu’ils auront à l’école seront beaucoup moins sympas que ceux qu’ils auront sur le smartphone ou la tablette des parents à la maison.
Merci pour l’article.
Bonjour,
je reste attaché à une philosophie qui amène chacun de nous à « penser par soi-même ».
Le recul , le décentrement personnel nécessaire pourront-ils avoir lieu dans et avec un systême éducatif qui cloisonne les enseignements techniques et néglige les formations continues des enseignants?
Que doit présenter à notre jeunesse une école républicaine pour que les ingénieurs formatés soient avant tout des citoyens?
Tout d’abord, Ce n’est pas un ton pour s’adresser à une ministre. Qu’on soit d’accord ou pas avec ses décisions, le tutoiement me semble ici profondément irrespectueux.
Sur le fond, je suis en profond désaccord, les produits de Microsoft sont incontournables en entreprise et le niveau moyen des utilisateurs d’excel et de word en entreprise est absolument déplorable.
Je suis un grand utilisateur de logiciel libre à titre privé, je suis sous fedora pour mon laptop, ubuntu pour mes stations de travail et debian pour mes serveurs. J’utilise openoffice pour editer des docs perso et plein de logiciels libres pour toutes mes taches persos.
Par contre, au travail, il faut des outils qui marchent, qui sont compatibles avec ceux des clients, des fournisseurs et sur ce segment là, seul Microsoft est pertinent sur la bureautique.
Même si ce n’est pas son seul rôle, l’éducation nationale doit aussi préparer les élèves au monde du travail et la maitrise d’une suite bureautique utilisée par 99% des professionnels me semble être un objectif acceptable dans un cursus éducatif.
Militez pour l’utilisation concurrentes des systèmes, qu’on aie des cours d’excel sous windows, de python sous linux et de montage video sous mac. Que les élèves voient les différences entre les systèmes et s’habituent à tous mais arrêtez d’essayer d’imposer le libre comme la seule solution acceptable, parce que ce n’est pas le cas.