La nouvelle qui tourne en boucle sur les internets est donc l'annonce de la fermeture prochaine de Vine, plateforme de vidéos limitées à 6 secondes pour une pas si mystérieuse raison que ça, expliquée ici par Lionel Maurel. Vine avait été racheté par Twitter et, une nouvelle fois, c'est suite aux ennuis financiers de la maison mère qu'une "succursale" en son temps rachetée pour des raisons d'audience va faire les frais desdits ennuis de ladite maison mère.
Je dis "une nouvelle fois" car cette histoire est tout sauf inédite. En 2012, suite aux ennuis respectifs de Delicious et de FlickR, propriété de Yahoo!, je publiais un article intitulé "Le jour où YouTube fermera." Trois ans plus tard, Yahoo! est en train d'être vendu à la découpe, Vine va fermer définitivement et l'avenir de Twitter est de plus en plus incertain faute d'avoir trouvé un modèle économique viable depuis sa création. Trois ans plus tard, toutes les questions que je soulevais dans cet article restent d'actualité. Le jour où Twitter fermera, qu'aurons-nous perdu collectivement ? Et que serait cette perte si la bibliothèque du congrès n'avait pas mis en place un archivage de l'ensemble des tweets émanant de comptes publics ?
Les réponses, il faut à mon avis les chercher dans plusieurs directions qui ne peuvent fonctionner que si elles sont simultanément mises en place.
D'abord il ne s'agit pas de tout garder, il faut donc, en amont, disposer de normes et de protocoles techniques laissant à l'utilisateur la possibilité de décider de l'effacement des contenus qu'il met en ligne. Inventer une sorte de licence Creative Commons de l'oblitération, de l'obfuscation, une licence qui confère un droit et une responsabilité réelle à l'utilisateur, c'est à dire tout le contraire de la fausse promesse marketing d'un web éphémère.
Ensuite il faut – et c'est déjà heureusement en partie le cas – s'appuyer sur les gens qui ont les compétences (les bibliothécaires par exemple) pour inscrire dans le domaine du patrimonial les ressources concernées. Le faire sur le modèle du dépôt légal du web et coupler cela avec une politique d'archivage plus systématique et moins sélective, un peu à la manière de l'Internet Archive (qui fête ses 20 ans ce mois-ci). Car le web fonctionne sur une logique de flux et non de stock, laquelle logique oblige à sortir d'une sélection en amont pour tendre vers une captation optimale de contenus qui pourront, le temps venu, être livrés aux curieux, aux chercheurs, aux analystes.
Enfin il est plus que temps de reposer la question d'une forme de "nationalisation" du code, et celle d'une mise en oeuvre de plateformes et/ou de licences publiques qui permettront à la fois d'inscrire la logique des CGU (contenus générés par les utilisateurs) dans un cercle vertueux qui ne soit pas celui du Digital Labor (à l'image de ce que tente de faire FreeYourStuff.cc à l'échelle des commentaires), mais également de développer des modèles économiques et sociétaux, et donc une culture, qui ne soit pas uniquement dépendants de telle ou telle plateforme privée. Le préalable étant de créer un index indépendant du web, ce qui est, comme je l'avais déjà longuement expliqué, parfaitement réalisable dans des délais raisonnables et à un coût tout aussi raisonnable.
Faute d'être capable de mettre en oeuvre cette série de mesures, nous nous condamnons à voir s'étendre le cimetière des services web que nous fréquentons au quotidien et à aliéner chaque jour davantage nos comportements et nos usages aux quelques oligopoles qui survivront, et nous nous condamnons surtout à renoncer à ce qui depuis déjà 25 ans est probablement le plus beau patrimoine mondial de l'humanité : celui des internets.
<Mise à jour du soir> Internet Archive annonce justement bosser en urgence sur l'archivage de Vine :
The amazing @archiveteam is working on archiving Vine and will upload their work to the Wayback Machine. https://t.co/XBYHnNTZPU
— Internet Archive (@internetarchive) October 28, 2016
</Mise à jour du soir>
