Un billet en date du 26 septembre sur le blog officiel de Google est titré : "Notre approche du contenu".
La société y développe un argumentaire en 3 points :
- "nous respectons les droits d’auteur
- nous laissons les ayants droits / propriétaires choisir s’ils veulent ou non que nous indexions leurs contenus
- nous nous efforçons de rendre des bénéfices aux propriétaires des contenus par le biais de partenariats"
Comme l’on peut s’en douter, les points 1 et 2 vont faire gricer plus d’une dent … Je laisse de côté le point 3 qui est le moins discutable et rend compte des partenariats de type adwords ou adsense, pour m’intéresser aux deux premiers points.
- "Nous respectons les droits d’auteur" et d’expliquer : "Tout en protégeant ces droits, les mêmes lois encouragent également les autres à faire usage de ces contenus de manière limitée. C’est pourquoi les journaux sont autorisés à inclure de courtes citations d’ouvrages sous droits dans leurs articles. C’est aussi la raison pour laquelle les moteurs de recherche peuvent afficher de courts extraits (snippets) de ces textes dans leurs résultats. Les détenteurs des droits bénéficient de ces types d’usage parce qu’ils les aident à faire de la publicité autour de leurs oeuvres." On apprend donc ici au moins deux choses. Premièrement que respecter les droits d’auteur c’est s’autoriser à ne pas les respecter (cf les procès engagés outre-atlantique et les récents échos de l’affaire des journaux belges) au nom du principe de publicité. Et deuxièmement que Google a, de manière très Freudienne, franchi le pas consistant à se reconnaître comme un authentique site de presse (et non un simple "aggrégateur") : en témoigne le glissement sémantique dans le déroulé des exemples choisis : "Les journaux sont autorisés à inclure de courtes citations d’ouvrages (…) C’est aussi la raison pour laquelle les moteurs de recherche (…)"
- "nous laissons les ayants droits / propriétaires choisir s’ils veulent ou non que nous indexions leurs contenus" et d’expliquer plus loin que c’est évidemment l’inverse qui est mis en oeuvre, c’est à dire une procédure d’opt-out et non d’opt-in, cette dernière étant, selon Google, la seule "permettant aux propriétaires de choisir". L’exemple que je vais ici m’autoriser est celui de la ménagère de moins de 50 ans et du vendeur d’aspirateur. Si une enseigne d’aspirateur vous envoie un prospectus vous proposant de venir vous démarcher à domicile, c’est effectivement vous qui choisissez : vous refusez ou vous acceptez (opt-in). Mais si un vendeur d’aspirateur se présente chez vous et sonne à votre porte en appliquant la célèbre technique du "pied dans la porte", alors là vous êtes déjà beaucoup moins libre de choisir : bien sur vous ne vouliez pas d’aspirateur, mais bon, maintenant que vous le voyez, que le vendeur est là, qu’il est prêt à vous faire une démonstration gratuite et un crédit en trois fois sans frais ne démarrant que dans 2 mois, finalement, finalement, vous en avez peut-être besoin de cet aspirateur (opt-out).
Venons-en maintenant au deuxième point du titre de ce billet : "Fractale ou fatale". La théorie des fractales désigne (en gros) des formes qui présentent des détails similaires à des échelles d’observation arbitrairement petites ou grandes : que l’on regarde un objet fractal à une distance de 10 000 km ou bien à quelques centimètres de distance, on verra se reproduire les mêmes formes ou les mêmes détails de forme (exemple, et voir sur Wikipedia pour une "vraie" définition). Et là vous vous dites : "Mais que vient faire la théorie des fractales après cette si belle allégorie de la ménagère de moins de 50 ans et du vendeur d’aspirateur ??" J’y viens.
La politique de gestion des contenus de Google pose problème non pas dans l’absolu (quoique …) mais surtout au regard des usages fractals de lecture que nous mettons en place. Exemple : le fait de reprendre les titres et manchettes de la presse quotidienne est tout à fait recevable si l’on suit la ligne argumentative de Google. Mais quand vous lisez un quotidien, vous n’êtes pas en mode fractal. Vous êtes libre de tout lire ou non, de survoler ou de ne lire que par fragments, mais vous disposez d’un support référent qui se suffit pour faire sens et pour donner un sens à votre lecture ou à votre survol. Quand vous lisez ou parcourez une page de contenus aggrégés sur Google News, vous basculez d’ans l’illusion fractale. C’est à dire que vous avez l’impression (occasionnée notamment par la redite des mêmes sujets traités par différents quotidiens) que cette vue à courte distance sera la même que celle que vous pourriez avoir si vous lisiez l’article complet. Ou, pour prendre les choses à l’envers, qu’une lecture de l’article complet ne vous apportera pas grand chose de plus. (Cette illusion fractale étant par ailleurs celle qui fait aussi le succès de la presse gratuite du genre 20 minutes). Oui mais voilà, les vrais lecteurs de quotidiens le savent, le contenu d’un article ou d’un quotidien n’est naturellement pas réductible à la somme de ses manchettes et de sa titraille. Illusion fractale donc. La même qui va venir plus insidieusement s’insinuer dans l’affichage d’extraits de livres : les "snippets" de Google Books. Là encore, mais selon une autre procédure, en allant directement au contenu au plus près de notre requête (le mot-clé saisi est celui affiché dans l’extrait) on a l’impression de lire dans l’extrait affiché tout ce que l’on pouvait avoir besoin de savoir sur le contenu de l’ouvrage en question. Ce qui n’est une nouvelle fois pas le cas.
Cette illusion fractale n’est en elle-même ni une bonne ni une mauvaise chose. Elle est d’abord le reflet d’usages qui doivent s’adapter :
- à une masse d’information et de contenus de plus en plus denses, de plus en plus "maillés"
- et à des usagers disposant de moins en moins de temps et qui se trouvent placés dans un environnement cognitif qui conditionne leurs modes de consommation en ligne (informationnels ou autres)
Ce qui est problématique, c’est la combinaison de cette illusion fractale à la formidable machine à contenu qu’est Google et à la revendication affirmée de cette même machine de considérer la publicité comme du contenu ("ads are content"). Cette approche du contenu ne pourra donc à terme que s’avérer fatale (la presse belge francophone étant la première victime publique). Reste à savoir pour qui.