“Pair”tinence et autres im”pair”fections

Alors que la polémique fait rage, le besoin se fait chaque jour sentir de trouver de nouvelles voies pour la publication scientifique, ou tout au moins de se donner sérieusement la peine d’explorer et de tester celles qui existent.
Pour l’évaluation de la recherche par exemple, la question est celle de l’évaluation par les pairs. Qui n’est pas la panacée … Ce que de plus en plus de gens sérieux semblent penser, tel Richard Smith de Cambridge (cité dans La Feuille) :

  • "De plus, je crois que la critique par
    ses pairs devrait être un argument scientifique plutôt qu’un jugement
    arbitraire. Cette idée n’est pas radicale, c’est simplement le retour
    aux racines, quand la science était présentée et discutée en réunion
    publique plutôt que publiée dans les revues. (…) Peut-être que nous
    saurons inventer de nouvelles formes de critique par les pairs en
    apprenant d’innovations comme Wikipédia. C’est en quelque sorte une
    nouvelle façon de faire de la peer review, où les critiques entraînent
    des changement directs plutôt qu’un simple commentaire."

Dans la même veine, Ghislaine Chartron évoque une "économie renouvellée de la publication scientifique". Morceaux choisis :

  • "L’économie de l’accès est devenue un élément stratégique important"
  • "Les évolutions de la publication scientifique concernent également un
    ensemble de pratiques innovantes portées directement par les usagers,
    par exemple les nouvelles revues, les archives, les bloc-notes de
    chercheurs. Cette innovation ascendante ne peut plus être ignorée dans
    les transformations en cours"
  • "Sans
    bouleverser fondamentalement les processus de communication et de publication
    scientifique, ces innovations ont introduit, pour la publication scientifique,
    les évolutions significatives suivantes :

    • la création de nouvelles revues,
      exclusivement électroniques, qui s’affirment et traduisent souvent la volonté
      d’occuper un nouveau créneau
    • des canaux multiples pour la
      diffusion des publications – articles stockés dans les archives ouvertes ou sur
      des pages personnelles. Ces nouvelles diffusions sont notamment repérables dans
      les références bibliographiques des articles ;
    • une
      circulation parallèle des idées qui participe à la qualité des débats mais
      aussi à la notoriété de certains chercheurs ; un bloc-notes réactif et pointu
      peut avoir un effet de résonance non négligeable sur la reconnaissance d’un
      chercheur ;
    •  enfin, une ouverture des cercles d’autorité qui
      ne peuvent pas ignorer les échanges informels portés par le réseau ;
      l’autorité désignée (comités scientifiques fermés) doit faire face à l’agora
      ouverte des autres chercheurs.
      "

A must read. Chartron, G., Une économie renouvelée de la publication scientifique. in Perspective documentaire en éducation 62:21-29, (2006-09-01), en ligne.

A propos de validation, d’évaluation de la recherche, il est amusant (ou déprimant, à vous de choisir) de croiser ces quelques citations avec la réalité du terrain, celle dans laquelle d’éminents représentants de conseils scientifiques et autres présidents ou vice-présidents d’universités se réunissent pour parler des "indicateurs de production scientifique des établissements". Parmi toutes les présentations disponibles en ligne, celle de R. Grangousier (.pdf), Vice-président du conseil scientifique de la fac de Thélème. R. Grangousier, je l’ai rencontré une fois. A l’IUT de Picchrocole sur Loire. Il a l’air sympa.  Et il doit l’être. Un peu professeur tournesol. Le genre un peu embêté par le port de la cravatte. Ce qui n’est pas pour me déplaire. Il venait exprès sur le site décentralisé de l’IUT de Picchrocole sur Loire pour causer de la politique de recherche de Thélème et de ses différents sites délocalisés. Rapidement, la question fût celle de la visibilité de la recherche (et des chercheurs) qui comme la plupart de ceux affectés en IUT se sentent un peu isolés, un peu "’parents pauvres". Jeune et fou (et aussi un peu poussé par une collègue), je suis allé "au contact". Pour mettre sur la table l’idée des archives ouvertes. Quand on s’interroge sur la lisibilité et la visibilité de la recherche, ça paraît un peu dommage de faire l’économie d’une réflexion là-dessus. R. Grangousier ne connaissait pas trop ce truc-là. Il en avait vaguement entendu parler. Alors moi, gentil, je lui explique. "Ben … ça permet aux chercheurs de mettre en ligne leurs publications quasi-instantanément, avec plein de métadonnées, que les moteurs de recherche peuvent venir indexer, un archivage pérenne et tout et tout." On est un peu pressé. R. Grangousier repart dans 5 minutes, et je ne suis pas le seul – ni le plus cravatté – à vouloir lui parler. Mais R. Grangousier m’écoute. Et là, il me dit que "bien sûr". Que d’ailleurs il est sur la même longueur d’onde. Qu’il est même sur le coup d’un projet génial qui va permettre … devinez quoi … insoutenable suspens … qui va permettre de compter toutes les publications des chercheurs de Thélème, indépendamment de leur site ou de leur labo d’appartenance. Et tout à sa joie de m’expliquer (rapidement) qu’avec tout ces chiffres, ils vont bien voir (dans les ministères) que notre fac c’est du sérieux rapport à tous ces chiffres. D’où ce genre de présentation lors de la journée "indicateurs scientifiques". Parce que c’est compliqué de compter des publications.

"Bé oui Monsieur Grangousier, d’accord" réponds-je un peu penaud, "mais c’est l’inverse que je viens d’essayer de t’expliquer. Ca ne sert à RIEN de compter ces p—-ns de publications. Ce qui compte c’est de permettre à un maximum de gens de les lire. C’est ça le premier indicateur qui doit ensuite permettre d’attribuer des budgets et de briser des carrières. Hein, M’sieur ? M’sieur ??? M’sieuuuuuur ????????" Parti le monsieur. Envolé. En grande conversation avec un cravatté. Alors moi tenace, je lui ai envoyé un courier à R. Grangousier, doublé d’un mail. Pour lui dire que si il voulait, j’étais prêt à venir lui expliquer à tête reposée et de manière plus circonstanciée ce qu’étaient les archives ouvertes. Que même, s’il voulait, je pourrais lui expliquer (et à d’autres) l’intérêt de mettre en place une archive institutionnelle. Que j’étais prêt à faire ça en sus de mes heures de service. Gratos. Pour la beauté du geste. Et pour l’avenir de la science 🙂 Bé oui. Mais R. Grangousier ne m’a pas répondu. Et maintenant j’ai le coeur brisé c’est trop tard. J’ai une famille élargie, une maison à retaper, et un blog à tenir. R. Grangousier continue sa chasse aux chiffres. R. Grangousier cherche l’ultime martingale qui lui permettra de compter toutes les publications sans-en-oublier-une de ses chercheurs de Thélème.
Pour que vous puissiez les lire, il faudra donc attendre encore un peu. Il doit pourtant y en avoir de passionnantes. Dont probablement celles de R. Grangousier .

Les facultés et leurs instances sont pleines de R. Grangousier. R. Grangousier est à coup sûr quelqu’un de compétent. Quelqu’un qui fait tout son possible pour jongler entre ses cours, son activité de recherche et ses responsabilités administratives et scientifiques en essayant de répondre aux cahiers des charges aberrants qui lui sont demandés par son ministère de tutelle. "Comptez R. Grangousier. Et n’en oubliez pas. Sinon …" Alors quand un jeune chercheur à peine pubère vient lui causer d’un truc dont il n’a jamais ou que très vaguement entendu parler après 3 heures de réunion et à 5 minutes d’un rendez-vous important, forcément, l’échange ne peut que difficilement avoir lieu. Ce R. Grangousier là n’est donc qu’une allégorie. Celle de tous les présidents et vice-présidents d’universités débordés. Celle de logiques comptables que l’on s’obstine à créditer de vertus qualitatives alors même que leur seule valeur quantitative est plus que sujette à caution. Message personnel à tous les R. Grangousier de la terre : arrêtez de compter. Siouplaît 🙂

3 commentaires pour ““Pair”tinence et autres im”pair”fections

  1. Intéressant, je ferai passer le message. Mais cette manie du comptage n’est pas si absurde que ça :
    – c’est l’étape nécessaire pour que les universités françaises se positionnent honorablement dans les classements internationaux.
    – c’est l’étape nécessaire pour que nos chercheurs prennent conscience qu’ils ne peuvent pas faire “n’importe quoi” avec leurs publications. Et que le minimum c’est de faire figurer le nom de l’établissement qui les “paie”.
    – en résumé : il n’est pas tant question dans ce genre de démarche de la visibilité de LA recherche que des universités qui l’accueillent.
    Aussi il est clair que les 2 démarches ne sont pas antagonistes.
    Bonne fin d’année 2007.
    Manuel Canevet.

  2. Manuel> OK sur le point 2.
    Pour le reste, pas d’accord. Le positionnement dans les classements internationaux est illusoire. Il n’est pour s’en convaincre qu’à regarder de près la structure de l’ISI et de ses SCI (Science Citation Index). Je ne parle même pas des classements internationaux eux-mêmes, qui ne fonctionnent qu’au travers de biais que toute démarche scientifique un peu rigoureuse invaliderait instantanément.
    Sur l’antagonisme des deux démarches : je crois qu’elles finiront par l’être (antagonistes). Le déploiement et l’insistance portée vers des logiques d’indicateurs comptables relègue au second plan les logiques d’archivage et de diffusion qualitativement pérennes. Dit autrement, les secondes (archivage) autorisent la prise en compte des logiques comptables des premières et ont également vertu pédagogique sur l’éducation des chercheurs que vous mentionnez. La réciproque n’est pas vraie.
    Tout cela méritant naturellement plus qu’un débat en commentaire d’un billet 😉
    Bonnes fêtes également.

  3. J’étais à un colloque à l’Académie des Sciences où un représentant de l’institut de l’Université de Shangaï qui élabore le fameux classement a expliqué qu’ils savent que leurs critères sont inadaptés pour les universités française et leur organisation (UMR avec EPST etc.) mais qu’ils ne le changeront pas.
    En effet, le but de ce classement est de placer les universités chinoises par rapport aux grandes universités internationales, pas de classer correctement les universités occidentales entre elles et encore moins de se préoccuper d’un cas particulier comme la France. Le but politique de la Chine est en effet de créer quelques universités de classe mondiale.
    En comparaison de tout cela, le classement de l’Université de Thélème munie de son IUT de Pouet-Pouet-les-Oies, le Chinois, il s’en fiche. Et il a raison. Il n’est pas payé pour cela.

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