"Déclaration d’indépendance du cyberespace." Un beau texte qui date pourtant d’il y a plus de 11 ans. J’en ignorais l’existence et le découvre via un billet de Carlo Revelli sur AgoraVox.
Riche d’enseignements, de contradictions aussi parfois, et surtout d’éclairages pour comprendre la vision de quelques pionniers, les enjeux et les menaces actuelles.
Bonne lecture 🙂
DECLARATION D’INDEPENDANCE
DU CYBERESPACE
"Gouvernements
du monde industriel, géants fatigués de chair et d’acier, je viens du
cyberespace, nouvelle demeure de l’esprit. Au nom de l’avenir, je vous demande,
à vous qui êtes du passé, de nous laisser tranquilles. Vous n’êtes pas les
bienvenus parmi nous. Vous n’avez aucun droit de souveraineté sur nos lieux de
rencontre.
Nous n’avons
pas de gouvernement élu et nous ne sommes pas près d’en avoir un, aussi je
m’adresse à vous avec la seule autorité que donne la liberté elle-même lorsqu’elle
s’exprime. Je déclare que l’espace social global que nous construisons est
indépendant, par nature, de la tyrannie que vous cherchez à nous imposer. Vous
n’avez pas le droit moral de nous donner des ordres et vous ne disposez d’aucun
moyen de contrainte que nous ayons de vraies raisons de craindre.
Les
gouvernements tirent leur pouvoir légitime du consentement des gouvernés. Vous
ne nous l’avez pas demandé et nous ne vous l’avons pas donné. Vous n’avez pas
été conviés. Vous ne nous connaissez pas et vous ignorez tout de notre monde.
Le cyberespace n’est pas borné par vos frontières. Ne croyez pas que vous
puissiez le construire, comme s’il s’agissait d’un projet de construction
publique. Vous ne le pouvez pas. C’est un acte de la nature et il se développe
grâce à nos actions collectives.
Vous n’avez
pas pris part à notre grande conversation, qui ne cesse de croître, et vous
n’avez pas créé la richesse de nos marchés. Vous ne connaissez ni notre
culture, ni notre éthique, ni les codes non écrits qui font déjà de notre
société un monde plus ordonné que celui que vous pourriez obtenir en imposant
toutes vos règles.
Vous prétendez
que des problèmes se posent parmi nous et qu’il est nécessaire que vous les
régliez. Vous utilisez ce prétexte pour envahir notre territoire. Nombre de ces
problèmes n’ont aucune existence. Lorsque de véritables conflits se produiront,
lorsque des erreurs seront commises, nous les identifierons et nous les
réglerons par nos propres moyens. Nous établissons notre propre contrat social.
L’autorité y sera définie selon les conditions de notre monde et non du vôtre.
Notre monde est différent.
Le cyberespace
est constitué par des échanges, des relations, et par la pensée elle-même,
déployée comme une vague qui s’élève dans le réseau de nos communications.
Notre monde est à la fois partout et nulle part, mais il n’est pas là où vivent
les corps.
Nous créons un
monde où tous peuvent entrer, sans privilège ni préjugé dicté par la race, le
pouvoir économique, la puissance militaire ou le lieu de naissance.
Nous créons un
monde où chacun, où qu’il se trouve, peut exprimer ses idées, aussi singulières
qu’elles puissent être, sans craindre d’être réduit au silence ou à une norme.
Vos notions
juridiques de propriété, d’expression, d’identité, de mouvement et de contexte
ne s’appliquent pas à nous. Elles se fondent sur la matière. Ici, il n’y a pas
de matière.
Nos identités
n’ont pas de corps ; ainsi, contrairement à vous, nous ne pouvons obtenir
l’ordre par la contrainte physique. Nous croyons que l’autorité naîtra parmi
nous de l’éthique, de l’intérêt individuel éclairé et du bien public. Nos
identités peuvent être réparties sur un grand nombre de vos juridictions. La
seule loi que toutes les cultures qui nous constituent s’accordent à reconnaître
de façon générale est la Règle d’Or [de l’Ethique]. Nous espérons que nous
serons capables d’élaborer nos solutions particulières sur cette base. Mais
nous ne pouvons pas accepter les solutions que vous tentez de nous imposer.
Aux
États-Unis, vous avez aujourd’hui créé une loi, la loi sur la réforme des
télécommunications, qui viole votre propre Constitution et représente une
insulte aux rêves de Jefferson, Washington, Mill, Madison, Tocqueville et
Brandeis. Ces rêves doivent désormais renaître en nous.
Vous êtes
terrifiés par vos propres enfants, parce qu’ils sont les habitants d’un monde
où vous ne serez jamais que des étrangers. Parce que vous les craignez, vous
confiez la responsabilité parentale, que vous êtes trop lâches pour prendre en
charge vous-mêmes, à vos bureaucraties. Dans notre monde, tous les sentiments,
toutes les expressions de l’humanité, des plus vils aux plus angéliques, font
partie d’un ensemble homogène, la conversation globale informatique. Nous ne
pouvons pas séparer l’air qui suffoque de l’air dans lequel battent les ailes.
En Chine, en
Allemagne, en France, en Russie, à Singapour, en Italie et aux États-Unis, vous
vous efforcez de repousser le virus de la liberté en érigeant des postes de
garde aux frontières du cyberespace. Ils peuvent vous préserver de la contagion
pendant quelque temps, mais ils n’auront aucune efficacité dans un monde qui
sera bientôt couvert de médias informatiques.
Vos industries
de l’information toujours plus obsolètes voudraient se perpétuer en proposant
des lois, en Amérique et ailleurs, qui prétendent définir des droits de
propriété sur la parole elle-même dans le monde entier. Ces lois voudraient
faire des idées un produit industriel quelconque, sans plus de noblesse qu’un
morceau de fonte. Dans notre monde, tout ce que l’esprit humain est capable de
créer peut être reproduit et diffusé à l’infini sans que cela ne coûte rien. La
transmission globale de la pensée n’a plus besoin de vos usines pour
s’accomplir.
Ces mesures
toujours plus hostiles et colonialistes nous mettent dans une situation
identique à celle qu’ont connue autrefois les amis de la liberté et de
l’autodétermination, qui ont eu à rejeter l’autorité de pouvoirs distants et
mal informés. Nous devons déclarer nos subjectivités virtuelles étrangères à
votre souveraineté, même si nous continuons à consentir à ce que vous ayez le
pouvoir sur nos corps. Nous nous répandrons sur la planète, si bien que
personne ne pourra arrêter nos pensées.
Nous allons
créer une civilisation de l’esprit dans le cyberespace. Puisse-t-elle être plus
humaine et plus juste que le monde que vos gouvernements ont créé."
Davos (Suisse), le 8 février 1996.
John
Perry Barlow
Electronic Frontier Foundation
Seule l’erreur a besoin d’un soutien
gouvernemental. La vérité sait se défendre elle-même. Thomas Jefferson, Notes sur la Virginie.
Traduction de Jean-Marc
Mandosio.
Grande utopie d’un monde virtuel qui échaperait à toutes contraintes et qui réunirait dans un même élan les cybercitoyens du monde entier…On pourrait également dire :
« l’internaute est bon, c’est le cyberespace qui le corrompt… »