Love computer and recommandation engine

Mythique.

Dans les années 80, le modèle fantasmé de l'informatique comme prothèse amoureuse et relationnelle était rose, plein de petites lumières, occupait l'espace d'une pièce et s'appelait le Love Computer. Guy Marchand chantait, Daniel Auteuil était rigolo, Grace de Capitani était connue. C'était bien les années 80.

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Meetic.

Dans les années 2000, le modèle incarné de l'internet comme prothèse amoureuse était toujours rose et s'appelait Meetic. On choisissait sa partenaire comme un bon steak chez le boucher, comme un beau meuble dans le catalogue de La Redoute : telle taille, telle couleur des yeux, telle religion, telle tolérance à la fumée. Le système avait une limite. Il était encore possible de dire que l'on était blonde aux yeux bleus si l'on était brune aux yeux marrons ; il était encore possible de se taper un paquet de brunes par jour (les cigarettes, pas les femmes) en se déclarant non fumeur ; il était encore possible d'avouer une passion pour l'art amérindien du 4ème siècle sans avoir jamais foutu les pieds dans un musée ni ouvert une page d'encyclopédie.

U like me

Nous sommes en 2020. Les moteurs de recommandation et les algorithmes de prescription sont omniprésents. Les réseaux sociaux je t'en parle même pas. Y compris dans nos relations amoureuses. Et les choses se sont compliquées. Parce qu'il n'était presque plus possible (à part sur Meetic) d'exister en ligne sous pseudonyme. Et que du coup, le gars, il pouvait vérifier ailleurs (que sur Meetic) si t'étais vraiment blonde aux yeux amérindiens non-fumeurs. Et le réseau (social) ou le moteur (de recommandation) ou l'algorithme (de prescription), il pouvait aussi vérifier si tu avais liké l'oeuvre de Phillip Morris plutôt que celle de la ligue contre le cancer, il pouvait aussi vérifier si tu ne confondais pas un ornement de coiffe Kalacha du sud Soudan avec un étui pénien en vente dans le Marais. Et du coup c'était devenu compliqué de tricher. Sauf sur Meetic. Et du coup c'était pratique pour le gars qui voulait vraiment être sûr de tomber sur une non-fumeuse pratiquante, mais pas pratique pour la fille qui voulait continuer d'entretenir son cancer tout en affichant une passion pour le sport extrême et la vie sans tabac. Et puis un jour BIM.

"Des chercheurs en informatique ont développé un moteur de recherche de rencontres qui vous associe à des partenaires que vous trouvez attractives, mais seulement celles qui vous trouvent également attractif."

Ça ce n'est pas en 2020 mais il y a un mois, le 18 novembre 2013 très exactement que la MIT TechReview se faisait l'écho de cette découverte. Pour fonctionner le machin analyse en gros les réponses reçues suite à une demande de mise en contact, corrèle ça avec les autres types de réponses envoyées à d'autres demandes de mises en contact suivies ou non d'accord, infère que "plus tu as de réponses, plus tu es attractif", et utilise les propriétés particulière et la topologie spécifique des liens dans des réseaux de rencontres hétérosexuelles (dans lesquels – toujours en gros – les hommes envoient beaucoup d'invitations et reçoivent peu de réponses, à l'inverse des femmes) pour achever de boucler son cycle algorithmique et te refiler uniquement les contacts des meufs qui sont susceptibles de te trouver susceptible, euh non, attractif.

Décliné dans les années 80 cela donne la scène des 10 adolescents mâles hormonalement dépendants qui reluquent 2 adolescentes femelles également hormonalement dépendantes dont l'une est un canon absolu et dont l'autre est sa copine, en sachant bien que de toute façon c'est encore Tony, première ligne de l'équipe de rugby des moins de 20 ans à Bayonne et en terminale F3 pour la 2ème année consécutive qui va encore pécho et que les 9 autres ils vont recommander une bouteille de Malibu au bar. Sauf que là, avec le moteur de recontre qui t'associe à des partenaires attractives qui te trouvent aussi attractif, et ben Tony, c'est toi, à chaque fois !!!!

Recommandez-moi. Mais pas tout de suite. Pas trop vite.

<HDR> Plus sérieusement, ce qui me fascine dans cet article (et dans les sites de rencontre en ligne), c'est qu'il répond à une question que je me pose depuis longtemps dans le cadre de ma réflexion sur les stratégies algorithmiques de prescription et de recommandation et qui est la suivante :

"Quelle est la phase d'après ?"

On peut aujourd'hui inférer, géolocaliser, tracer, postuler, créer artificiellement le moindre de nos goûts, de nos désirs, de nos envies, de nos déplacements, de nos routines quotidiennes. Et après ? Peut-on encore aller plus loin dans l'inférence ?

Il semble – hélas – que la réponse soit oui. La boucle rétroactive paradoxale de la recommandation poussée à l'extrême, le moteur de recommandation ultime,c'est celui qui ne te recommande plus "des choses" ou "des gens" mais qui te recommande … toi. Ce qui est à la fois simple, facile, logique et cohérent. Logique et cohérent parce que l'on savait déjà que "si c'est gratuit, c'est que tu es le produit." Simple parce que celui que ces moteurs et algorithmes connaissent le mieux, c'est moi. Facile parce qu'il leur sera demain effectivement plus facile de me vendre moi, plutôt que de me vendre des trucs, à moi. </HDR>

Simple, facile, logique, cohérent. Et extrêmement flippant.

"Destinée, inutile de fuir ou de lutter …"

 

 

<Le petit plus pour la route> A noter également que Kleinberg (LA star intergalactique de l'analyse des réseaux) a également démontré qu'il était possible, simplement en analysant notre réseau d'amis de prévoir de futures ruptures dans les couples déclarés ("A couple in a declared relationship and without a high dispersion on the site are 50 percent more likely to break up over the next two months than a couple with a high dispersion, the researchers found.") </Le petit plus pour la route>

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