Le PRISM de la mauvaise foi : la guerre de l’édition scientifique expliquée à mes enfants.

Rappel des épisodes précédents :

Episode 1 : "Je vais bien tout va bien."
Le Pitch : les chercheurs écrivent des articles, les éditeurs les publient. Et revendent aux chercheurs, notamment par le biais des bibliothèques universitaires, les articles qu’ils ont écrits, mais en réalisant une marge substantielle. C’est l’âge d’or (des éditeurs).

Episode 2 : "La rebellion."
Le Pitch : les chercheurs, un peu énervés par l’augmentation des marges des éditeurs, décident d’entériner certaines pratiques consistant à s’échanger des articles, entre chercheurs, juste pour voir. Et tant qu’à y être, se disent que puisque c’est eux – les chercheurs – qui écrivent les articles, eux encore qui choisissent quels articles sont ou non recevables, eux enfin qui les lisent – les articles –  et bien ils n’ont qu’à continuer de faire ça entre eux, que ça ne devrait pas marcher beaucoup plus mal, et que ça coûtera moins cher à tout le monde. Le mouvement de l’Open Access et des archives ouvertes est né.

Episode 3 :  "Touche pas au Grisbi."
Le Pitch : les éditeurs observent les chercheurs faire mumuse dans leur coin, avec leurs petits articles et leurs petites revues. Mais petit à petit, les revues des chercheurs, les articles des chercheurs passent de moins en moins par les éditeurs, qui ne peuvent pas les revendre très cher aux chercheurs, via les bibliothèques notamment. Et là, les éditeurs font une erreur. Au lieu d’aller voir les chercheurs, de leur demander gentiment ce qui se passe, de leur expliquer que le métier d’éditeur c’est aussi un métier qui apporte quelque chose dans la production et la diffusion des connaissances scientifiques, au lieu d’essayer de voir avec les chercheurs comment s’arranger, au lieu d’écouter la demande du public (essentiellement d’autres chercheurs), les éditeurs se moquent, et pour combler leur manque à gagner, ils augmentent encore le prix des revues qu’il leur reste à vendre aux chercheurs.

Episode 4 :  "Le Pitbull."
Après avoir ignoré le mouvement de l’open access, après l’avoir assez largement sous-estimé et parfois aussi méprisé, et ne pouvant décemment pas augmenter encore le coût de la revente des articles des chercheurs, les éditeurs boudent et ne savent plus trop quoi faire. C’est alors qu’ils décident d’aller voir quelqu’un dont le métier consiste à trouver des arguments pour expliquer que fumer des cigarettes permet de réduire le trou de la couche d’ozonne, aide les fleurs à pousser dans les jardins, et permet d’éviter la réintroduction des ours dans les pyrénées (si c’est un fabriquant de cigarette qui le paye pour dire ça).

Episode 5 : "La zizanie."
Le ptich : sur les bons conseils – chèrement payés donc – de ce Tullius Detritus, les éditeurs décident donc de raconter partout que les chercheurs sont des méchants, qu’ils copient sur leurs autres copains chercheurs, que ce sont des trouillards qui veulent même pas donner leurs articles à lire à d’autres chercheurs pour que eux, les éditeurs, puisse en publier certains. Les éditeurs racontent à qui veut l’entendre que c’est le méchant gouvernement public qui fait faire des dictées aux chercheurs, pour leur indiquer quoi mettre dans leurs articles.

(A SUIVRE …)

Cette histoire, c’est celle de l’initiative Prism, véritable opération de com(mando) qui consiste à mettre en pratique les conseils d’un sulfureux cabinet de Relations Publiques. Cette histoire c’est surtout l’histoire de la mauvaise foi. Une mauvaise foi d’autant plus absurde que – mis à part le cas de ceux qui ne se préoccupent en aucune manière de l’économie du document numérique, et qui représentent la majorité des enseignants-chercheurs – d’autant plus absurde que les chercheurs – ceux qui restent – sont des gens relativement "déniaisés" sur la question, conscients du rôle important que joue l’édition dans la collecte, le filtrage et la dissémination des connaissances, des gens qui s’efforcent de ne pas caricaturer le débat en acceptant de débattre de modèles hybrides, comme celui d’une barrière flottante permettant de fixer après un délai de temps variable, le passage en libre accès de tout ou partie d’une revue ou d’une collection (principe du "libre accès maîtrisé"). Des gens qui sont prêts à mettre clairement tous les arguments sur la table, y compris ceux (d’arguments) qui jouent a priori en faveur de l’adversaire (à titre d’exemple, on ne peut pas continuer de laisser se multiplier à l’infini le nombre de "revues" en Accès ouvert).
Alors naturellement, l’initiative PRISM fait grincer beaucoup de dents. Mais pas encore de ce côté-ci de l’atlantique. Les réactions et les débats sont donc à suivre là-bas. Pour l’essentiel sur le blog de Peter Suber, ainsi que chez Stevan Harnad. Et si vous n’avez pas le temps de tout suivre ni de tout lire, alors ne manquez surtout pas cette parodie splendide.

3 commentaires pour “Le PRISM de la mauvaise foi : la guerre de l’édition scientifique expliquée à mes enfants.

  1. Stevan> Oui c’est exact, de ce côté-ci de l’atlantique également, le lobby des éditeurs est très puissant comme en témoigne l’épisode que vous relatez dans votre billet. Ce que je voulais pointer, c’est le manque de réactions à l’initiative Prism de ce côté-ci de l’atlantique, et plus globalement, la méconnaissance des enjeux de l’Open Access de mes collègues chercheurs. Même s’il est en la matière difficile de généraliser ou d’obtenir des statistiques fiables, et mis à part certains acteurs de premier plan sur ce terrain (Ghislaine Chartron, Jean-Michel Salaun, Gabriel Gallezot, Jean-Max Noyer et quelques autres), la communauté des chercheurs et des bibliothécaires, particulièrement en sciences humaines et sociales, me paraît très “en retrait” sur ce débat, probablement par manque de connaissance des enjeux qu’il couvre, et par manque également d’espaces de formation et de débat sur ces questions au sein même de nos universités.
    Cordialement.

  2. En tant que chercheur, l’internet et l’accès libre à un nombre grandissant d’articles est une merveilleuse chance de découvrir plus facilement de nouvelles références (on ne peut aller à toutes les conférences, ni lire tous les revues).
    Or ce qui manque quand on recherche ces références, ce sont des moteurs de recherche efficaces et intelligents. Aujourd’hui le contenu est presque moins important que la façon dont y accède. L’article le plus génial du monde n’est rien si on ne peut le trouver rapidement. Ce que les éditeurs devraient faire c’est investir dans l’accès intelligent au contenu plus que de ses battre sur les droits de publication. La plupart des universités et des centres de recherche n’aurait aucune difficulté à accepter de payer des droits d’accès à des bases d’article si cet accès est efficace, et correctement indexé… La valeur ajoutée dans ce cas est fondamentale. Le monde numérique est un immense labyrinthe dans lequel chacun entasse pèle-mêle tout et n’importe quoi. Le maître du labyrinthe, celui qui en détient les clefs, est devenu plus important que celui qui y a déposé ses trésors.

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