Reproduction d’un texte d’Hervé le Crosnier.
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Il y a longtemps que cela fait partie des peurs, certainement irrationnelles n’est-ce pas, de ceux qui
regardent l’évolution du secteur économique des publications scientifiques….
Mais c’est fait. Ce week-end, Elsevier, numéro un mondial de la publication scientifique, vient d’ouvrir le premier site spécialisé financé par la pub.
OncologySTAT (http://www.oncologystat.com/) vise les cancérologues en leur apportant toute l’information sur leur discipline, et l’accès gratuit aux publications de Elsevier (et aux autres, si elles sont aussi d’accès gratuit).
Financement : la publicité et la gestion des profils des cancérologues.
Extrait du "The New York Times" aujourd’hui :
- "Elsevier hopes to sign up 150,000 professional users within the next 12 months and to attract advertising and sponsorships, especially from pharmaceutical companies with cancer drugs to sell. The publisher also hopes to cash in on the site’s list of registered professionals, which it can sell to advertisers."
Ce nouveau portail est la tentative de Elsevier de faire face au croisement des courbes d'usages. Une enquête de Manhattan Research indique que le nombre de médecins et pharmaciens qui lisent les revues en ligne a augmenté de 27 % dans les deux dernières années, alors que la lecture des versions imprimées décline de 14%.
C'est une tendance générale : les individus, dans toutes les professions s'habituent à la lecture sur écran, et peuvent donc de plus en plus aisément appréhender des textes, parfois fort longs, sur ce médium. Et imprimer à la demande les textes qu'ils jugent les plus important, grâce au format pdf.
Comme la musique aujourd'hui, l'heure des revues imprimées est comptée. Editeurs et bibliothéques scientifiques doivent se préparer à ce grand chambardement.
Mais le web est de son côté en train d'évoluer vers un système global de gestion de l'identité. Nos profils valent, et les systèmes capables de les enregistrer et les valoriser auprès de tiers intéressés à un contact ciblé sont en train de devenir le nouveau filon d'or pur du réseau.
Quand nous devons nous décrire pour accéder "gratuitement" aux revues scientifiques de Elsevier, nous offrons beaucoup :
- la possiblité d'être contacté (influencé donc) par les marchands... en l'occurence les vendeurs de médicaments anti-cancéreux
- nos yeux pour lire (subir ?) la publicité qui est sur le site
- la trace de nos actions sur le site (i.e. les "mises en relations, en correspondance qu'un chercheur effectue quand il croise ses propres lectures)
- la liste de nos mots-clés, de nos équations de recherche, tous instruments pour anticiper sur les travaux... une mine pour la fouille de données, qui ne permet pas seulement d'améliorer notre profilage, mais aussi de découvrir des "fronts de recherche" et d'anticiper. Je n'ai pas encore dit "espionage industriel", mais j'y pense fortement ; il faudra suivre de près....
Enfin, toutes les interrogations qui existent déjà sur la validité des publications scientifiques dans le domaine des médicaments, très fortement soumises à la pression des grands laboratoires, vont se trouver reposées. Soyons réalistes : si l'industrie de l'influence investit dans la publicité au point de soutenir la croissance d'un mastodonte économique comme Elsevier, c'est bien qu'elle en espère des retombées sur sa propre activité.
La science peut-elle y gagner quelque chose ?
L'indépendance des recherches est-elle encore nécessaire ? Si nous croyons que oui, que la science est une activité qui met en cause l'ensemble de l'organisation sociale et qu'elle est trop sérieuse pour devenir un quelconque "programme" susceptible de capter l'attention des "tranches de cerveau [spécialisé] disponibles"... alors il est temps, et plus que temps, de réfléchir au modèle qui se met en place.
Le libre-accès aux publications scientifiques, tel qu'il a été défendu par les chercheurs depuis plus de dix ans, et qui est défini dans l'Appel de Budapest de 2000 ne peut pas se confondre avec "l'accès gratuit financé par la pub et le profilage".
Le "gratuit" n'est pas toujours "libre". De moins en moins d'ailleurs, avec la mainmise de l'industrie de l'influence sur le réseau informatique.
Caen, le 10 septembre 2007
Hervé Le Crosnier
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Tiens, « l’industrie de l’influence », je crois que c’est la première fois que je rencontre cette apposition. A méditer…
J-M
Jean-Marie> Oui, c’est exact. Et c’est à croiser avec les déjà connues « Industries culturelles » et l’apposition joliement oxymorique d’ALain Giffard à propos de « l’industrialisation de l’intime ».
http://alaingiffard.blogs.com/culture/2005/06/skyblogs_et_blo.html